GENERALE D'ESPAGNE, TRADUITE DE L'ESPAGNOL DE JEAN DE FERRERAS; Par M. D'HERMILLY. PREFACE DU TRADUCTEUR POUR LE NEUVIEME TOME ES événemens les plus rares & les plus finguliers caufent fouvent moins d'admiration, que de furprise. Accoutumés à ne chercher qu'à contenter notre propre ambition, à laquelle nous faisons communément tant de facrifices de toute efpéce, nous ne pouvons comprendre comment un homme peut fe refoudre à fe dépouiller de fon vivant & de plein gré de tout ce qu'il poffede. Plus il eft puiflant & élevé en dignité, plus notre étonnement eft grand; bien loin de l'admirer, nous le traiterions volontiers d'infenfé. Curieux de démêler la caufe d'un fi grand défintéreffement, nous mettons notre esprit à la torture, pour la découvrir. Nos propres affections font communément nos guides dans les recherches, & la bafe de notre jugement. C'est ce qui eft arrivé à l'égard du grand Empepereur Charles-Quint, lorfqu'on lui a vu abdiquer fes Tome IX. * Roïaumes & Etats héréditaires en faveur de Philippe fon fils, & céder ensuite l'Empire à Ferdinand son frere, pour ne plus vivre qu'en fimple particulier dans la retraite qu'il fe choifit en Efpagne. Tout le monde fut frappé de cet abandon général, & trèspeu de gens y applaudirent. Chacun voulut interpréter & motiver cette action, & la plupart prévenus. que ce Prince avoit toujours été dévoré du defir ardent de régner, comme fes envieux ne ceffoient de le publier, la regarderent comme le trait de la politique la plus raffinée. Ils prétendirent que ce Potentat ne pouvoit digérer la perte des trois Villes de Metz, Toul & Verdun, qui avoient été démembrées de l'Empire fous fon Régne, ni deux autres affronts qu'il avoit reçus, l'un à Infpruck de la part de Maurice, Electeur de Saxe, à qui il n'étoit échappé que par un bonheur fingulier, & l'autre à Metz, dont il avoit été contraint de lever le fiege, après avoir perdu trente mille hommes, & prefque toutes les munitions d'artillerie. D'autres ajoutent le chagrin qu'il eut en 1555. de l'élection de Jean-Pierre Caraffe à la Thiare fous le nom de Paul IV. parce qu'aïant une puiffante faction dans le Conclave, il s'étoit flatté de faire créer un Pape attaché à la Maison d'Autriche, & de donner l'exclufion à Caraffe, qui lui avoit toujours été contraire. A ces mortifications ils en joignent d'autres, telles que le peu d'égard des Allemands pour fes ordres, & les mauvais bruits que les Partifans du nouveau Pape faifoient courir pour le décrier. De-là ils inférent, qu'il comprit que la fortune, qui lui avoit prefque toujours été favorable, commençoit à l'abandonner, & fon autorité à décheoir. En fin ils veulent que ç'ait été là ce qui lui fit prendre le parti de fe retirer, de crainte que quelque grand revers ne lui ravît toute la gloire qu'il s'étoit acquis.. Quelques-uns marquent auffi, que la mort de Doña Jeanne fa mere, Reine d'Espagne, qui arriva en 1555. & une Cométe flamboïante, qui dans le commencement de Mars de l'année fuivante, fe fit voir durant douze jours, au huitiéme dégré de la Balance, & qu'il regarda comme l'annonce que la fin de fa vie approchoit, acheverent de le déterminer à renoncer entiérement aux pompes & aux grandeurs de ce monde. Ce ne font-là cependant que des raisonnemens, & de pures conjectures, denuées de toutes preuves même de vraisemblance. Les abdications de Charles Quint ne furent point un projet enfanté, ni exécuté avec précipitation. Depuis très-longtems ce Prince l'avoit conçu, & le nourriffoit dans fon cœur. Guillaume Godelevæus dans fon Hiftoire de l'Abdication de l'Empire, rapporte, qu'on affuroit qu'il y avoit plus de trente ans qu'il l'avoit formé Confilium hoc eum cæpiffe etiam ante triginta annos affirmabatur. Sandoval dit, qu'il étoit convenu avec l'Impératrice Doña Ifabelle fa femme, de fe retirer tous deux dans des Maifons Religieufes, & que comme cette Princeffe avoit terminé fa vie dès l'an 1539. il ordonna en mourant, par fon Teftament, de les mettre tous deux, l'un proche de l'autre, fous le Maître-Autel du Monaftere de Saint Juft, afin que ce qui n'avoit pû être fait de leur vivant, fût du moins exécuté après leur mort. Quoique l'Impératrice fa femme n'exiftât plus, il n'en perfifta pas moins dans fa réfolution. En 1542. il en avoit fait ij 列 |