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un peu de reflexion fur ce qui fe pafle dans notre cœur à ce fujet pour être convaincu que nous avons un attachement dereglé aux biens, aux richeffes, aux commodités de la vie, & que nous ne nous y portons que par amour propre. 2. Quant aux plaifirs, qui peut dire qu'il n'ai=me purement que pour Dieu les plaifirs qu'il trouve dans le manger, dans le boire, dans le fommeil, dans les consverfations, dans les promenades, dans les divertiffemens, dans tout ce qui plaît à la vûe, à l'ouie & aux autres =fens? Qui peut fe vanter que lorsqu'il fe permet quelqu'un de ces plaifirs, ce n'eft que pour plaire à Dieu & pour accomplir fa volonté, qu'il n'en ufe que pour foutenir la foibleffe de fon corps, afin qu'il ait enfuite la force de remplir les obligations & de fournir au travail, & nullement pour contenter fes inclinations? Où eft celui qui n'a nulle peine quand la providence par divers éve nemens le prive de ces plaifirs, & qui les retranche luimême à fon corps autant qu'il le peut par un esprit de mortification, s'ils ne lui font abfolument neceflaires? Qui eft-ce qui gemit dans le fonds de fon ame de fe voir aflujetti à la neceffité de prendre ces plaifus, & qui fouhaiteroit de tout fon coeur pouvoir s'en difpenfer? Qui eft ce encore une fois qui prend les plaifirs d'une manicre fi pure & fi defintereffée ? On ne voit au contraire que des gens qui prennent ces plaisirs avec un extrême empreffement fans aucune retenue, & fans autre vûe que de fe fatisfaire. 3. Nous ne fommes pas plus defintereffés pour les honneurs & l'eftime des hommes; car lorfque nous nous voyons confiderez, diftinguez, refpectez, qu'on loue notre fagefle, notre vertu, notre habileté, que tout ce qui vient de nous eft reçu avec aplaudiffement, de quelle maniere prenons-nous tout cela? Ne nous plaifons-nous pas dans le fonds de notre cœur à cette eftime, à ces louanges, à cet honneur independamment de la gloire qui en revient à Dieu ? N'avons-nous pas un veritable chagrin, lorfque quelqu'un s'oppose aux louanges qu'on nous donne, lorfqu'on nous mar que du mépris, que l'on détruit, ou que l'on bleffe notre réputation? Ne fommes-nous pas ardens à la deffendre quelquefois même aux dépens de la verité? Or de quelle

fource, finon de l'amour propre, peut venir cette vivacité fur tout ce qui flatte ou ce qui choque notre vanité ?

5. A l'égard de nos emplois, les prenons-nous & les exerçons nous purement pour la gloire de Dieu & parce qu'il le demande de nous? Lorfqu'on nous donne quelque rang,quelque autorité, quelque occupation où la na. ture fe plait,n'y avons-nous pas de l'attache:N'y vaquonsnous pas plutôt pour nous contenter que pour plaire à Dieu? Et n'aurions-nous pas de la peine qu'on nous les ôtat? Au contraire lorfqu'ils font bas, penibles, fatiguans & qu'il y a d'autres defagrémens à fouffrir, n'en avons nous pas de l'éloignement? ne faifons-nous pas tout ce que nous pouvons pour nous en décharger ?N'en négligeons. nous pas les fonctions ? & tout cela parce qu'ils ne nous plaifent pas, fans nous mettre en peine de la volonté de Dieu; mais qu'eft-ce que tout cela? qu'amour propre.

6. Pour ce qui eft de nos actions ordinaires, pouvons. nous dire qu'elles font exemtes d'amour propre & que l'amour de Dieu en eft le feul principe? Ne nous portonsnous qu'à celles que Dieu demande de nous & qui lui procurent le plus de gloire? N'eft-ce pas plutôt à celles qui favorilent notre humeur & notre inclination? Et lors même que nous vaquons à celles que Dieu demande de nous, comme font la priere & les autres exercices de pieté, n'eft-ce pas avec une lâcheté qui nous en ravit tout le merite & les convertit en peché ?Or d'où vient cette lâcheté, finon de notre amour propre, qui nous empêche de nous apliquer & de donner à nos actions la perfection que Dieu demande de nous,& que nous pourrions leurdonner.

7. Si nous paffons des chofes fenfibles aux fpirituelles, nous verrons qu'elles font également fujettes à l'amour propre. Car 1. pour ce qui eft des talens naturels de l'ef prit, quoique nous n'ayons rien que nous n'ayons reçu de Dieu, & que nous ne devions lui raporter, où eft celui qui voyant qu'il a de la penetration, du jugement, de l'étendue d'efprit, de la prudence, du difcernement, de la fermeté, de la capacité & d'autres talens semblables, n'en reffent pas dans le fonds de fon ame une fecrette joye, dont Dieu n'eft pas le principe, d'où il prend fujet de fe preferer à ceux qui n'ont pas de femblables talens, & qui ne fe donne quelque vaine louange là-dessus, & ne s'en

ferve pour attirer l'eftime des hommes & s'acquerir de la reputation? Où eft celui au contraire qui fe voyant privé de ces dons naturels, n'en reffent pas quelque trifteffe dans le fonds de fon ame, fouhaitant d'égaler ou même de furpaffer ceux qui les poffedent, fans néanmoins que ces fentimens naiffent d'un défir fincere de plaire à Dieu & de procurer fa gloire: 2. Quant aux dons de la grace, qui eft celui qui fe voyant favorifé de Dieu & diftingué des autres par des lumieres, des fentimens, des fecours, des qualités qu'il a reçues de fa bonté, ne s'en réjouit qu'au Seigneur, fans aucun retour fur foi-même ? Qui ne fouille pas la pureté de fes graces par quantité d'infideli tés, de recherches de la nature, qui l'empêchent de fuivre le mouvement de la grace de Dieu & de marcher dans fes voyes, & qui ne quitte bien fouvent ces voyes pour fuivre celles qu'il fe fait lui-même; ou s'il ne les quitte pas, qui y marche avec l'ardeur, le zele & la conftance qu'il devroit? 3. De quelle maniere recevons-nous les confolations fpirituelles? & comment fouffrons-nous les épreuves du Seigneur dans les obfcurités, les tenebres, les peines, les tentations? Lorfque le faint Esprit répand fur nous fes divines confolations, les recevons-nous avec humilité & comme des fecours que fa bonté accorde à notre foiblefle? Ne nous attachons-nous pas au plaifir que la nature y trouve ? N'abufons-nous pas de fes faveurs, en prenant de-là occafion de nous eftimer plus parfaits que les autres ? En témoignons-nous à Dieu notre reconnoiffance en nous privant pour fon amour des confolations de la terre, & en embraffant avec plus d'ardeur la mortification & la penitence? Helas, que notre amour propre nous fait commettre de manquemens fur tous ces chefs! Pour ce qui eft des aridités, des peines, des tentations, les fuportons-nous avec paix & fans inquiétude ? Marchons-nous avec une égale joye par cette voye, quoique épineufe & difficile, perfuadés que nous devrions être,que la volonté de Dieu doit être la regle de la nôtre? Som• mes-nous difpofez à y marcher tant qu'il lui plaira? Ah! dans combien'de fautes l'amour propre ne nous engage-til pas encore fur ce fujet?4.Quant à la pratique des vertus, que de mélange d'amour propre n'y découvrons-nous pas,

lorfque nous fondons un peu notre cœur? Que d'amour propre dans l'obéiflance ! puifqu'il faut que nos Superieurs étudient nos inclinations,& ne nous commandent que ce qui nous plait. Que s'il n'eft pas de notre goûr, ou nous ne le faifons pas, ou fi nous le faifons, ce n'eft qu'à contrecœur, en murmurant & de fort mauvaise grace. Que d'amour propre dans la pratique de la charité envers le prochain! Ce n'eft point en vue de Dieu que nous l'aimons, mais par fimpathie, par interêt & par d'autres motifs tout humains : & d'ailleurs l'amour est fi foible, qu'il ne produit prefque rien : il n'eft pas affez fort pour nous engager à facrifier nos interêts pour le fervice & l'utilité du prochain, & à contraindre notrena, turel pour fuporter fes défauts. Que d'amour propre dans la pratique de l'humilité, contens d'un exterieur modefte nous ne pallons jamais jufqu'à un veritable mépris de nous mêmes, ni à un défir fincere d'être méprifés des hommes: au contraire nous nourriffons dans notre cœur une fecrette eftime de notre mérite, & quelque grimace que nous faffions pour perfuader le contraire, nous avons un veritable défir d'être eftimés & honorés des autres, & nous fentons fort vivement le mépris & l'injure la plus legere. Dans la pratique de la mortification, que d'amour propre ! Nous nous difpenfons de la mortification exterieure, fous pretexte qu'elle n'eft pas neceflaire, ou que Dieu ne demande pas cela de nous: ou fi nous nous mortifions, ce n'eft que d'une maniere très-legere & trèsfuperficielle. A l'égard de la mortification interieure, nous épargnons le principal, nous ne reprimons point notre paffion dominante, nous ne nous corrigeons point de nos vices favoris. Enfin que d'amour propre dans l'exercice de toutes les autres vertus, puifque nous en tet niffons l'éclat par des motifs corrompus & tout humains, par la tiédeur & par la négligence avec laquelle nous nous y apliquons, & par quantité d'autres défauts que nous y melons, qui nous en raviflent prefque tout le merite, & font que ce font plutôt des vices que des vertus.

Travaillons fans ceffe à combattre & détruire en nous l'amour propre que nous devons regarder comme notre plus grand ennemi, puifqu'il ne tend qu'à nous ravir pour

jamais le fouverain bien, & à nous précipiter pour une éternité dans un abîme de malheur.

&

Pour combattre notre amour propre,il faut non feulement ne pas fuivre fes mouvemens: mais il faut faire tout le contraire de ce qu'il nous infpire. S'il nous porte à fouhaiter la gloire & l'eftime des hommes, bien loin de rien faire pour nous attirer cette gloire & cette eftime, embraffons tout ce qu'il y a de plus vil & de plus bas, failons-nous un plaifir de fouffrir l'humiliation & le mé. pris. S'il nous porte à défirer les plaifirs & les douceurs de la vie, exerçons-nous dans les aufterités & les mortifications. S'il nous porte à defirer les richeffes & les commodités de la vie, prenons pour notre part ce qu'il y a de plus pauvre & de plus incommode. Enfin étudions tous les penchans de notre amour propre, afin de les combattre, & à proportion que fes défits dereglés font ardens & empreffés pour la recherche de quelque chofe, à proportion faut-il que notre oppofition foit forte & vigoureufe pour l'empêcher d'en jouir & pour lui faire embraffer le contraire. Prions Dieu inftamment qu'il nous fortifie par le fecours de fa grace,& qu'il nous aide à bannir l'amour propre de notre cœur pour y l'amour divin. De l'amour du prochain.

E

faire regner

N vain croyons-nous aimer Dieu, fi nous n'aimons notre prochain. Celui qui ferme fon cœur à son prochain, qui refufe de le fecourir dans la neceffité n'aime ni fon prochain ni Dien même, dit l'Apôtre faint Jean; comment aimeroit-il Dieu, puisqu'il défobéit à Dieu dans un de fes plus grands commandemens?

Nous devons aimer notre prochain, non par des vues d'interêt ou de plaifir, parce qu'il nous eft neceffaire, utile ou agréable: car fi nous n'aimons notre prochain que parce qu'il eft notre parent ou notre bienfaiteur, ou parce qu'il nous eft agréable par fon humeur ou fes talens, ou fon merite naturel, ou fa complaifance pour nous, ou parce qu'il nous aime, nous loue, nous flare, c'eft un amour naturel tour humain, & femblable à celui des payens; ce n'eft pas un amour chrétien,ce n'eft point charité, mais c'eft cupidité. Il faut l'aimer comme JefusChrift nous a aimé, c'eft fon falut que nous devons prin

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