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qu'il peut nous tirer de la neceffité où nous nous trouvons, par une infinité d'autres moyens que nous ne pou vons prévoir; & s'il ne nous en tire pas, nous ne lui en avons pas moins d'obligation, parce qu'il nous procu re par là une délivrance plus prompte, plus assurée & plus entiere de tous les maux de la vie.

Ainfi quoique la cupidité & la charité foient fouvent affez femblables à l'exterieur, l'une & l'autre appliquant les hommes au travail, elles font fort differentes dans l'efprit, par lequel elles s'y portent. La cupidité met toute fon efperance dans le travail humain; la charité la met toute dans la benediction que Dieu donne à ce travail. La cupidité veut réuffir à quelque prix que ce foit: la charité ne demande point d'autre fuccès que l'o béiflance même qu'elle rend à Dieu. La cupidité fe don ne totalement au foin des chofes temporelles ; la charité fe referve toujours le tems de rendre à Dieu fes devoirs. La cupidité croit tout perdu, quand les moyens humains viennent à manquer, & defefpere absolument; mais la charité qui cherche la juftice de Dieu dans l'application aux chofes temporelles, conferve la mêine efperance dans le manquement des moyens humains; parceque Dieu, fur qui elle fe fonde uniquement, ne lui manque jamais; ainfi elle demeure toujours dans une affiéte tranquille, quel que foit le fuccès de fon travail.

5. Il faut examiner fouvent quel est le principe & la

fin de nos actions, même de nos bonnes œuvres. Il est bien important d'examiner fouvent & ferieufement fi nous ne nous conduifons pas par caprice, par humeur; fi notre propre volonté n'eft pas la regle de nos actions; fi nous ne cherchons pas à fatisfaire nos inclinations & nos paffions; fi nous ne raportons pas à nous-mêmes ce que nous faifons, en agiffant par des vues humaines & par des defirs fecrets d'interêt, d'ambition & de vanité, même dans les actions les plus faintes en apparence.

Combien de vertus ou de bonnes œuvres font ou im. parfaites ou fauffes par ces deux défauts, je veux dire, pour n'être pas faites par un principe furnaturel & divin, & pour une bonne fin? En effet notre conftance & notre fermeté n'eft fouvent qu'opiniatreté & entêtement : notte

humilité,

humilité qu'hipocrifie, notre prudence que fineffe, notre fimplicité que bêtife, notre épargne qu'avarice, notre generofité ou liberalité que diffipation & prodigalité, notre force que temerité, notre complaifance que lâcheté, notre patience qu'infenfibilité, notre filence que ftupidité, notre charité qu'amour propre. Par le défaut de ces qualités nous fommes patiens, mais c'eft quand on ne nous choque pas: humbles, mais quand on ne nous humilie pas: doux, mais quand on ne nous injurie pas : :chaftes & fobres, mais quand on ne nous tente pas : civiles & honnêtes, mais quand on ne nous méprife pas: penitens, mais quand on ne nous gêne & qu'on ne nous contraint pas. Nous fommes devots par interêt, modeftes par orgueil, integres par vanité, affables par bienfeance, genereux par reconnoiffance, obéillans par neceffité, temperans par épargne, vaillans par fureur, refervés par politique, officieux par complexion, vertueux enfin par la bonté de notre temperamment, ou par l'honnête édu⚫ cation que nous avons reçue.

Il ne faut donc pas feulement craindre nos pechés, mais auffi nos bonnes œuvres, craindre que le bien qui y paroit, ne foit que fuperficiel, & que l'ouvre exterieure de la vertu ne foit comme un voile qui couvre le venin des vues humaines, & particulierement d'une complaifance fecrette qui infecte le cœur, qui corrompt les meilleures actions, qui les rend inutiles pour le falut & même mauvaifes aux yeux de Dieu.

Quel regret à la mort & au jugement de voir tant d'œu vres perdues pour avoir cherché l'eftime des hommes ! Que d'actions bonnes en aparence feront rejettées & même punies de Dieu, à caufe de l'impureté fecrette du cœur de ceux qui les ont faites!

6. Il faut eviter l'orgueil dans nos talens & dans nos bonnes œuvres, & en raporter à Dieu toute la gloire.

Souvent l'éloignement des vices exterieurs ne fert qu'à nourrir notre orgueil, à nous donner du mépris pour les autres; de forte qu'après avoir vaincu les tentations de la chair & des richeffes, nous fuccombons miferablement à celle de la vanité, & nous nous perdons avec le fruit de nos victoires

II. Partie.

B

L'ufage d'un talent eft un don de Dieu, auffi bien que le talent même: qui s'éleve de l'un ou de l'autre eft un ingrat & un ufurpateur de la gloire de Dieu.

L'orgueil ne commence pas ordinairement par s'attribuer la gloire de fes bonnes œuvres :on n'arrive là que par degrés. On nourrit dans fon ame des complaifances fecretes qu'on le diffimule à foi-même. Cet orgueil va toujours croiffant. Quoiqu'on reconnoiffe dans l'efprit que Dieu eft le principe des bonnes œuvres, on se les attribue néanmoins, puifqu'on s'éleve des louanges qu'elles attirent, comme fi on les avoit meritées. Voyez encore ce qui eft mis ci-après touchant l'orgueil.

Ayons donc grand foin de raporter fidelement à Dieu toute la gloire de ce qu'il y a de bon en nous, comme l'ayant reçu de fa pure mifericorde, & ne manquons pas de lui en témoigner notre reconnoiffance.

La reconnoiffance des dons de Dieu n'eft pas moins un don de fa grace que fes dons mêmes ; ainfi nous fommes toujours redevables à Dieu, fans pouvoir jamais nous acquitter puifque tout ce que nous pouvons lui offrir en payement eft une nouvelle dette que nous contractons envers lui.

7. Il faut nous humilier & trembler au milieu des plus grandes graces, nous attacher à Jesus-Chrift, & avoir toujours une grande défiance de nous-mêmes.

Puifque le mouvement de la volonté qui fait confentit à la grace de prier, d'aimer Dieu & de faire quelque bonne œuvre, eft même un effet de la grace & un don de Dieu, & que c'eft fa feule mifericorde qui eft la fource & le feul motif qui le porte à nous donner cette grace; fouvenons-nous toujours, quand nous faifons notre devoir, que c'eft un pur effet de la mifericorde de Dieu.

Tremblons au milieu des plus grandes graces, puifque fi elles ne font pas fuivies de la perfeverance, elles ferviront à une plus grande condamnation. Hé,qui peut meri ter cette grace de la perfeverance!

Que l'incertitude de notre fort ne nous décourage pas: on ne peut perir en s'attachant à Jesus-Chrift par une foi vive en la puiffance de fa grace, par un abandonnement parfait à la conduite & par une parfaite confiance en fa

bonté.

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C'est vouloir perir que de mettre fon efperance dans fes propres forces. La défiance de foi-même eft le fondement de la force chrétienne, & notre force confifte à n'esperer qu'en Dieu, & à n'attendre rien de lui que par JeTus-Chrift & par fes merites; ce qui doit toujours nous porter à recourir fans cefle à Dieu, à lui demander par les merites de ce divin Sauveur le fecours de fa grace pour accomplir faloi à continuer toujours de vivre dans la même dépendance de Dieu, & dans la même connoissance de notre foibleffe; lors même que nous executons le plus exactement ce qui nous eft commandé à nous renir toujours devant Dieu dans la même difpofition d'humilité, & à ne nous preferer à perfonne, étant perfuadés que notre force eft en Dieu & non en nous-mêmes : & quand nos œuvres font accomplies, ne perdons pas le fentiment de notre pauvreté, ne nous imaginons pas en être plus riches; mais reconnoitions humblement que tout ce qui peut y avoir de bon dans nos actions, ne nous apartient point: & fi nous en attendons la recompense de Dieu, attendons la comme un effet de fa bonté, qui recompenfe fes dons & qui veut bien qu'ils deviennent nos

merites.

8. Il faut avoir horreur de tout ce qui a apparence de mal, éviter avec foin les moindres fautes.

L'ame tiéde craint d'avoir Dieu pour ennemi, mais elle n'a aucun empreffèment pour lui plaire & pour le glorifier; il n'y a que l'enfer qui l'arrête. Elle voudroit dans le fond de fon cœur pouvoir impunément ce qu'elle n'ofe faire, de peur d'être damnée. Celui qui aime Dieu, au contraire, regarde avec plus d'horreur la moindre offenfe volontaire que les fupplices de l'enfer, dit faine Bernard.

Celui qui fert Dieu en efclave & en mercenaire,fait peu de cas des petites fautes : mais celui qui le fert en enfant & qui aime ce Pere celefte, ne veut pas lui déplaire en la moindre chofe, dit faint Bafile.

Gardez-vous bien, dit faint Bernard, de faire peu de cas des pechés que vous reconnoiffez avoir commis fciem. ment, quelque petits qu'ils foient. Que perfonne ne dife dans fon cœur : ces pechés font legers, je ne me foucie

pas de m'en corriger; il n'y a pas grand mal, fi je continue de commettre ces fortes de pechés veniels qui font très-legers; car c'eft là une espece d'impenitence & de blafpheme contre le faint Efprit.

Caffien dit que plufieurs ferviteurs de Dieu ont été dès cette vie feverement punis pour avoir commis des fautes qui paroiffent fort legeres. Il raporte que l'Abbé Moyfe fut pendant quelque tems poffedé du démon pour avoir dit une parole un peu rude, & qu'un autre devint paralitique pour avoir fait un mensonge.

Qui peut comprendre la rigueur des châtimens dont Dieu punit les ames en l'autre vie? Ces peines terribles qu'elles endurent dans le Purgatoire pour de pareilles fautes, dont on fait fi peu de cas, que l'on avale comme l'eau, que l'on multiplie à l'infini, dont on n'a point de douleur, dont on fe confeffe fi froidement, & dont on néglige fi fort de fe corriger.

Mais de toutes les punitions dont Dieu peut fe fervir pour nous châtier de ces fautes, il n'y en a point de plus terrible que celle de la fouftraction de fes graces fingulie res, laquelle eft fouvent fuivie des pechés les plus griefs. Il fe laffe de fouffrir une ame ingrate, qui croit s'aquitter affez des obligations infinie qu'elle lui a, en évitant de lui faire les derniers outrages par des pechés mortels, & qui ne fait point de difficulté de l'offenfer fouvent par ces pechés qu'on apelle veniels. Dieu fe dégoute infenfiblement de fes fervices: fon amour pour elle le refroidit, il lui retranche fes faveurs : enfin il l'abandonne à fes enne'mis, qui la trouvant ainfi deftituée de la protection de Dieu, s'en rendent facilement les maitres, & la font tomber en de grandes fautes.

9. Il faut être animé de l'efprit de penitence de mortification.

Remettons-nous fouvent devant les yeux les obliga tions que nous avons d'expier les pechés de notre vie paf fée. Il faut à cette fin nous priver fouvent des plaifirs mê. me permis, nous retrancher quelque chofe de nos repas, de notre fommeil, de nos commodités, ou faire quelque autre mortification: fuporter dans cette vue tout ce qui nous fait quelque peine, comme font les peines de

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