Imágenes de páginas
PDF
EPUB

pecheur : ce font ceux qu'on recherche le plus ; & les premiers venus, les plus commodes, les plus complaifans ou negligens, font les meilleurs à la plupart des Chrétiens: c'eft ce qui entretient tant de perfonnes dans leurs mauvaises habitudes, & les fait tomber dans l'impeni. tence finale & dans la damnation éternelle.

Pour éviter ce malheur fi commun & fi effroyable, ne nous contentons pas de confeffer nos pechés & de recevoir les Sacremens: ne nous flattons pas, parce que nous ne commettons plus des actions fort criminelles: ne croyons pas que ce foit affez de reciter quelques prieres: mais fouvenons-nous que nous fommes obligés d'offrir à Dieu de dignes fruits de penitence: c'est à dire qu'il faut des ocuVies qui lui foient agréables comme venant de fon amours qu'il faut vivre non en innocens, mais en penitens ; confiderant que nous avons effectivement merité l'enfer ; ce qui doit nous tenir dans l'humiliation, dans la vigilance, dans une pratique ferieufe de la mortification: nous privant de ce qui feroit permis à des innocens, parce que nous nous fommes permis ce qui étoit défendu ; qu'il faut faire une penitence proportionnée à nos pechés, aimer beaucoup celui qui nous a remis ou eft prêt de nous remettre beaucoup, & nous affliger d'autant plus que nous l'avons plus offenfé. Mais helas! qu'eft ce qui fait ces dignes fruits de penitence?

Cinquiémement le Carême & les autres jours de jeûne qui ont été inftitués pour effacer nos pechés ne fervent à plufieurs qu'à en faire commettre de nouveaux. Il n'y a point de commandement de Dieu ni de l'Eglife, qui foir plus violé que celui du jeûne. On viole diversement le commandement du jeûne, les uns le font avec impieté, en mangeant des viandes défendues. Il y en a plufieurs qui paroiffent en quelque forte refpecter le tems de jeûne par le choix & la qualité de ce qu'ils mangent: mais ils le rompent par la quantité. A la verité ils ne mangent point de viande, mais ils font plufieurs repas, où ils prennent tant de nourriture dans un repas, qu'ils ont peine à la digerer : comme s'il étoit fort difficile de ne point fouper, lorfqu'on a parfaitement bien diné. Il y en a d'autres qui font des collations qui ne font gueres differentes du fou

per, foit par la qualité de la nourriture qu'ils prennent pour collationner, foit encore plus par la quantité, s'imaginant pouvoir en prendre jufqu'à fe rassasier, au lieu de le contenter de l'indulgence prefente de l'Eglife qui tolere la collation, pourvu qu'on fe reflerre dans les bornes d'un vrai befoin, & qu'on fe conformeà l'usage des plus gens de bien.

Comme la mortification du jeûne consiste à souffrir la foif aufli bien que la faim, il faut s'abstenir de rien boire hors le repas, finon dans une preffante neceffité. C'est s'abufer étrangement (à prefent que l'on a avancé l'heure du repas, & que l'on a ajouté tant d'adouciffement au jeûne, favoir l'ufage du vin, du beurre & des autres laitages, des œufs même quelquefois & une collation) de fe permettre encore aux jours de jeûne de boire indiffe remment & à toutes heures toutes fortes de liqueurs, & celles même qui font les plus opofées à la nature & au merite du jeûne par le plaifir qu'on a à les prendre, & par la force qu'elles ont de nourrit. Si on fe fait un grand crime de manger de la chair un jour défendu, on ne doit pas moins s'en faire un de rompre le jeûne, puifque c'est par la même autorité & fous les mêmes peines, que l'absti nence & le jeûne font commandés.

Sixièmement on fait une fi grande profanation des Dimanches & Fêtes, qu'on offenfe plus Dieu dans ces faints jours, qu'on ne fait dans les jours de travail & pendant toute la femaine, comme on l'a fait voir dans l'arti cle de la fanctification des Dimanches & Fêtes, qui eft dans la premiere partie de ce Livre, pag. 315.

Septiémement on ne fait point d'aumône,ou on en fait peu. Que diroit-on d'une perfonne qui fe difpofant à changer de pays, à quitter la France par exemple, pour aller s'établir en Allemagne, ne ramafferoit que tout ce qu'elle a de plus mechant, de vieilles hardes, de vieux meubles, des ordures, plutôt que quelque chofe de bon, & abandonneroit à des étrangers & laifferoit en France tous les plus beaux, plus precieux & meilleurs meubles, fes vaiffelles d'argent, fes tapifferies, fon or, fon argent: renonceroit à fes dettes & à fes rentes, &c. On fe mo queroit fans doute d'une telle perfonne; on la regarderoit

comme

comme fi elle avoit perdu le bon fens,& y a-t-il quelqu'un qui voulut imiter fon exemple? C'eft pourtant ce que nous faifons prefque tous. Nous allons changer de pays, c'eft-à-dire, nous irons dans peu de tems en l'autre monde & cependant nous n'envoyons dans ce pays où nous pretendons aller que des bagatelles,& nous laillons tout le meilleur ici. Que donnons-nous aux pauvres? Tout ce que nous ne voulons plus, de vieux reftes, des haillons, quelquefois quelques liards, des viandes que nous ne voudrions plus manger, & que nous donnerions aux bêtes. Nous ne trouverons cependant dans ce pays que ce que nous y aurons envoyé par nos aumônes. En mourant on laiffe ce qu'on a de meilleurs à des étrangers, souvent qui ne s'en fervent que pour augmenter de plus en plus, par le mauvais ufage qu'ils en feront, les peines qu'on va fouffrir en l'autre monde.

La troifiéme caufe de la damnation, c'eft qu'on ignore ou qu'on ne fair point d'attention aux obligations du chriftianifme. Une des plus étroites obligations, qui eft commune à tous les Chrétiens, eft de ne point aimer le monde, de ne point vivre comme ceux qui aiment le monde, de regarder les maximes du monde comme entierement opofées aux maximes de Jesus-Chrift, d'aimer ce que le monde hait, de meprifer ce que le monde eftime, de fuir tout ce qu'il recherche & d'obferver inviola lablement la promeffe qu'on a faite dans le Batême,de renoncer aux pompes du fiécle, c'est-à-dire à tout ce qui eft agréable & éclatant aux yeux du monde,aux vanités & fu perfluités dans l'ufage des chofes neceffaires. On peut dire que la plupart ignorent cette obligation,ou n'y font point d'attention. Ils font dévots néanmoins, mais de la devotion du monde, qui laifle faire des actions exterieures de religion, fans s'écarter de la voye large, & qui mene à la mort & à la damnation éternelle. On n'eft pas perfuadé combien c'eft un grand mal d'aimer le monde, ou l'on ne veut pas le perfuader qu'on l'aime, lorsqu'on en a tou tes les marques, & qu'on n'a d'amour que pour les ri cheffes, les plaifirs & les honneurs. Quiconque aime le monde eft ennemi de Dieu, il n'aime point Dieu & n'eft point aimé de Dieu, dit l'Apôtre faint Jean: Pefons cette

II. Partie.

C

parole: Si j'aime le monde, je fuis ennemi de Dieu.

Une autre obligation generale pour tous lesChrétiens, c'eft de renoncer à foi-même & de porter fa croix tous les jours, & de fuivre Jefus-Chrift qui declare que fans cela nul ne peut être fon difciple. Or renoncer à nous-mêmes, c'eft combattre nos inclinations criminelles, nous défier de nos inclinations dangereufes, contredire nos inclina. tions même indifferentes, lorfqu'elles font contraires aux deffeins de Dieu fur nous : c'eft nous mépriser nous-mê• mes & être comme infenfibles à nos maux. Porter notre croix, c'est souffrir avec courage toutes les peines qu'il plait à Dieu de nous envoyer, celles que les démons & les hommes nous fufcitent, celles qui font attachées à l'accompliffement de tous nos devoirs: c'eft pratiquer la mortification pour reprimer la tentation & pour expier nos pechés. Suivre Jefus-Christ, c'eft fe declarer pour lui lors même qu'on s'attire par là les railleries, le mépris, la confufion, les reproches du monde, des libertins, des mauvais Catholiques, des faux zelés, qui peuvent par illufion regarder comme des impies ceux qui fe facrifient pour la caufe de Dieu. La croix de Jefus-Chrift renferme un renoncement general: il eft dépouillé de tout, il eft condamné à un fuplice douloureux, il fouffre dans tous fes membres la plus grande ignominie : il est insulté, mis au rang des fcelerats, chargé de malediction par le peuple de Dieu.Il faut imiter ce divin Sauveur dans toutes les démarches. Malheur à nous fi le respect humain, fila crainte d'être raillés & condamnés comme devots, com. me finguliers, comme entêtés; nous empêche de vivre & de nous conduire felon l'Evangile! Heureux au contraire ceux qui prenant part à la privation, à la douleur & à l'ignominie de la croix de Jefus-Chrift, le verront dans la gloire de fon regne & y participeront.

La quatriéme caufe de damnation, c'eft qu'on fe laiffe emporter au torrent des mauvaises coutumes, comme fi la coutume étoit une loi inviolable, & comme fi elle étoit capable de fanctifier ce qui de foi-même eft criminel. Non feulement la plûpart n'ont point d'autre, regle de conduite que la coutume, la fuivant prefque toujours dans toute leur conduite, mais il leur fuffit fouvent que

les plus grands défordres foient paffés en coutume, pour s'y engager fans remords & fans aucune crainte. Tout le monde le fait, dit-on : on l'a toujours fait, j'ai toujours agi ainfi : nos ancêtres l'ont fait, donc je le puis & je le dois faire, & ce feroit être fingulier & imprudent que de faire autrement: du moins on ne peut pas condamner ce que je fais avec tant d'autres ; on fe croit en fureté de confcience après cela.

C'eft ainfi que le torrent de la coutume entraine un nombre infini d'ames en enfer: la plûpart n étant point inftruits des maximes de l'Evangile, qui font les feules regles que nous devons fuivre : ou parce qu'elles leur paroiflent trop dures, fe laiflent conduire à leurs inclinations naturelles en fuivant la coutume qui les favorife, fans penfer qu'un Chrétien doit toujours dans les engagemens, dans fes entreprises, dans fes affaires, dans les actions n'avoir égard qu'à la loi de Dieu, à l'Evangile, à fes de. voirs, & non aux coutumes des hommes, ni aux exemples, s'ils ne font conformes à ces regles faintes, fur lefquelles Dieu jugera tous les hommes, grands & petits, riches & pauvres : rien ne fera capable de juftifier au tribunal du fouverain Juge, celui que la parole de JefusChrift & la verité même condamneront.

Ce divin Sauveur nous avertit de marcher par la voye étoite & non par la voye large. La voye large n'eft pas feulement la vie d'un libertin qui fe met au deflus des regles, & qui ne s'embarafle pas de la confcience: c'eft celle de tant de perfonnes qui fe piquent d'honneur & de probité, & même de ne point faire à autrui ce qu'ils ne veulent point qu'on leur faffe; mais qui ne se gênent & ne se contraignent en rien, qui s'imaginent pouvoir fe fauver fans penitence, ou qui ne la font confifter que dans quelques prieres ; qui épargnent leurs paffions & ne fe retranchent tout au plus que ce qui eft groffierement criminel. On fe raflure en vivant ainfi, parce qu'on fait comme les autres. On ne peut croire qu'il y ait beaucoup de rifque dans un chemin fi fpacieux & fi battu ; & c'est de là que viennent l'illufion, l'endurciffement, l'impenitence, la mort dans le peché & la damnation éternelle. Car voilà où aboutit cette voye large & fpacieufe: cette vie douce

« AnteriorContinuar »