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Religieux de Cisteaux de

la Reforme de Feuillans

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FEUILLANS.

tems-là il ne vêcut que de fleurs de geneft & d'herbes fau- RELIGIEUX vages,ou de quelques fruits fans pain ni vin. Cette vie parut fi extraordinaire, qu'il fut déferé au Chapitre General de Câteaux comme un innovateur qui par fon nouveau genre de vie qu'il vouloit faire embraffer aux autres, troubloit le repos &la tranquilité de fon Abbaïe: il reçut cette mortification avec tant de patience, & répondit à ces accusations avec tant d'humilité, que plufieurs Religieux concevant une haute idée de fes vertus, vinrent fe foûmettre à fa conduite: le nombre en étoit fi grand en 1577. que l'on peut dire, qu'il fembloit qu'il avoit attiré la benediction du Ciel fur fon nouvel Inftitut: fes Religieux étoient fi zelés que non feulement ils renouvellerent l'ancienne ferveur des Religieux de Câteaux; mais même la furpafferent: car telle étoit leur ma

niere de vie.

Dom Jean de la Barriere,outre l'usage des Haires, des difciplines & des autres mortifications ordinaires, avoit encore établi celles-ci. Les Religieux alloient, nuds pieds fans fandales,avoient toûjours la tête nuë, dormoient tout vêtus fur des planches,&prenoient leur réfection à genoux fur le plancher. Il y en avoit même qui pour fe mortifier davantage ne beuvoient que dans des cranes de morts, accommodés en forme de taffes. Ils ne fe fervoient que de vaiffelle de terre. Ils étoient fi fervens qu'ils ne vouloient manger ni œufs, ni poiffon,ni beurre, ni huile, ni même du fel, fe contentant pour toute nourriture de potage fait avec des herbes cuites feulement à l'eau & avec du pain d'orge pétri avec le fon : encore étoit-il fi noir, que les bêtes refufoient d'en manger. Leur nombre augmentant, leur ferveur devint plus grande:c'eft pourquoi afin de fe mortifier davantage & d'affujetir avec plus de facilité la chair à l'efprit, ils retrancherent l'ufage du vin. Dom Jean de la Barriere introduifit auffi dans fon Abbaïe un chant tout particulier appellé de fon nom le chant de M. de Feuillans; mais aïant appris que plufieurs perfonnes le profanoient, principalement les gens de métier qui le chantoient en leurs boutiques pour s'en divertir, il le quitta deux ans après pour reprendre celui de Citeaux. Il emplora auffi fes Religieux à divers métiers, non feulement pour gagner leur vie du travail de feurs mains, (parce que leur nombre augmentant tous les jours, il n'avoit pas grand revenu pour

RELIGIEUX les entretenir, mais encore pour éviter l'oifiveté qui eft FEUILLANS la mere de tous les vices & la ruine des ames religieufes. Les uns cardoient de la laine, les autres la filoient, & d'autres étoient occupés à faire du drap.

Telle étoit la vie de Dom Jean de la Barriere & de fes Difciples dans les commencemens de cette Réforme: ce qui leur attira beaucoup de traverses, principalement de la pârt des Religieux de Cîteaux; qui chercherent tous les moïens qu'ils purent pour empêcher fon progrès,la regardant comme une fingularité incommode, & qui condamnoit le relâchement dans lequel presque tous les Monafteres de l'Ordre étoient tombés.C'eft pourquoi Dom Jean de la Barriere voulant prévenir les empêchemens que l'on pouvoit apporter à la continuation de la Réforme, eut recours au Pape Sixte V. qui approuva leur maniere de vie l'an 1586. défendant aux Religieux de Cîteaux de les troubler dans leur Observance,ordonnant néanmoins que les Feüillans feroient foùmis à leur visite & correction dans les chofes feulement qui ne feroient pas contraires à l'étroite Obfervance qu'ils avoient embraffée,& que s'il arrivoit de la difficulté au fujet de ces mêmes Obfervances, pour fçavoir fi elles étoient contraires à la Regle de faint Benoîta connoiffance en appartiendroit aux fouverains Pontifes. L'année fuivante 1587. le même Pape approuva de nouveau cette Réforme qui n'étoit pas encore fortie de l'Abbaïe de Feüillans, dans laquelle il y avoit pour lors ( felon le témoignage de ce Pontife ) cent quarante Religieux Profés, & plufieurs Novices, comme il le déclare dans fa Bulle: il leur donna auffi permiffion de bâtir des Monafteres de cette Réforme, tant pour des Religieux que pour des Religieufes. Il fit même rester à Rome deux Religieux qui y avoient été envoïés par Dom Jean de la Barriere pour obtenir ces Bulles, & il ordonna à ce Réformateur d'y en envoïer un plus grand nombre, parce qu'il vouloit leur donner un établissement : il accepta cet ordre de fa Sainteté avec beaucoup de joïe, & il y en envoïa un nombre fuffifant pour faire Communauté. On les logea d'abord dans une petite maifon de l'Ordre appellée San-Vito, & le Pape leur donna quelque tems après celle de fainte Pudentienne à laquelle ils ont joint depuis un beau Monaftere,

Le Roi Henri III. en voulut auffi avoir à Paris. Il pria

FEUILLANS

le faint Abbé de lui en envoïer foixante,aufquels il fit bâtir RELIGIEUX
un magnifiqueCouvent dans la ruë S.Honoré. Dom Jean de
la Barriere les accompagna lui-même. Ils entreprirent ce
long voïage nuds pieds fans fandales, nonobftant la foi-
bleffe, où les jeûnes & les veilles les avoient reduits. Ils fai-
foient tous leurs exercices par le chemin, comme s'ils euffent
été dans leurs Monafteres, fans que cinquante cuiraffiers
qui les accompagnoient de la part du Roi les détournaffent
de leur attention & de leur dévotion. Ce Monarque qui
étoit au Couvent des Bons-Hommes dans le bois de Vin-
cennes, les envoïa recevoir à Charenton, où ils arriverent le
11. Juillet 1588. Il alla lui-même à leur rencontre pour leur
témoigner sa bienveillance : ils fe profternerent tous en terre,
& le Roi leur aïant fait donner la benediction
par le Car-
dinal de Bourbon qui l'accompagnoit, il les releva & les
conduifit en ce Couvent, où il les logea & les entretint juf-
qu'à ce que leur Couvent de la ruë S. Honoré étant achevé,
ils en prirent poffeffion le 8. Septembre de la même année.

Pendant les troubles dont le Roïaume fut agité dans ce tems-là, Dom Jean de la Barriere demeura toûjours fidele au Roi malgré les complots de la Ligue; & s'étant trouvé à Bourdeaux dans le tems de la mort funefte de ce Prince, il lui fit de magnifiques funerailles, dans lesquelles il prononça fon Oraifon Funebre. Ses Religieux ne l'imiterent pas dans fa fidelité envers leur Souverain, plufieurs se laisferent entrainer par la fureur de la Ligue où ils entrerent. Un des plus féditieux fut Dom Bernard de Montgaillard, appellé le petit Feuillant, qui aprés l'entrée triomphante d'Henri IV. dans la ville de Paris qui s'étoit volontairement foûmise à fon obéïffance, ne croïant pas que les excès dans lefquels il étoit tombé puffent lui être pardonnés, fortit de cette ville avec la garnison Espagnole & fe retira en Flandres auprés de l'Archiduc Albert, qui lui donna l'Abbaïe d'Orval dans la Province de Luxembourg, où pour reparer fes fautes il établit la réforme qui fubfifte encore & qui approche de celle de la Trape & de Sept fonds,dont nous parlerons dans leur lieu.

Pendant que les Religieux Feüillans étoient ainsi malheureusement engagés dans cette Ligue, ils dévinrent les perfecuteurs de leur faint Inftituteur qui condamnoit leurs

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