tude, qu'ils refolurent d'y bâtir un petit Monaftere, pour y RELIGIEUS vivre éloignés de la converfation des hommes. Aïant appris D'URVAL que ce lieu appartenoit au Comte de Chini, ils l'allerent trouver pour le lui demander, ce qu'il leur accorda fort volontiers. Ils bâtirent d'abord une Eglife en l'honneur de la Reine des Anges,& enfuite un Monaftere qu'ils nommerent Or-val, à caufe de la beauté de la vallée où il étoit fitué. Ils y vêcurent dans une Obfervance fi exacte & une fi grande pauvreté, n'aïant ordinairement pour toute nourriture que des herbes & des legumes qu'ils avoient plantés ou femés qu'ils devinrent l'admiration de tout le païs, dont les habitans leur firent de grandes aumônes & charités. Godefroi le Boffu, Duc de la baffe Lorraine,aïant été tué dans un combat, fa femme Maltide n'eut pas plûtôt effsuïé les larmes qu'elle avoit verfées pour la perte de ce Prince, qu'elle aimoit tendrement, que fon affliction fe renouvella, par la perte qu'elle fit encore de fon fils unique, qui fe noïa dans la riviere de Semoi. Arnoul Comte de Chini, étant venu pour la confoler, il lui parla avec tant d'eftime des Religieux nouvellement établis à Orval, que cette Princesse prit la réfolution de les aller voir. Après une conference qu'elle eut avec eux fur leur maniere de vivre, elle fe retira auprès d'une fontaine qui étoit proche le Monaftere pour fe repofer. L'eau en étoit fi claire & fi fraîche, qu'elle y lava fes mains, & laiffa tomber dedans fans y penfer une bague d'or qu'elle avoit au doit, laquelle fe perdit au fond. Elle en fut extrêmement affligée, non pour la perte de l'anneau d'or, ni pour les pierreries dont il étoit garni, mais à cause que fon mari le lui avoit laiffé comme un gage de fon amitié, afin qu'elle fe reffouvînt de lui. Aïant fait inutilement toutes les diligences poffibles pour le retrouver, elle fit vœu à la fainte Vierge, en l'honneur de laquelle l'Eglife de ces Religieux avoit été dédiée, & lui promit que fi par fon moïen fon anneau fe pouvoit retrouver, elle feroit de nouveau confacrer ce lieu en fon honneur, en y faisant bâtir un Temple plus digne de la Majefté de Dieu, & un Monaftere pour la commodité de fes Serviteurs. A peine cette Princeffe eut-elle prononcé fon vou, que l'anneau parut au deffus de l'eau ; elle le prit, & le recevant comme la récompense de fa promesse, elle alla fur le champ donner part aux RELICIEUX Religieux de ce miracle, en memoire duquel cette Abbaïe D'ORVAL. a toujours porté dans ses armes un anneau d'or en champ d'azur. Maltide, pour s'acquitter de fon vou, donna une fomme confiderable pour construire une magnifique Eglife, & affigna au Monaftere de gros revenus; mais les bâtimens de l'Eglife & de ce Monaftere n'étoient pas encore achevés, lorfque ces Religieux Calabrois reçurent ordre de leur Abbé de retourner dans leur païs, après une fi longue abfence. Ils obéirent auffi-tôt, aimant mieux quitter leurs commodités, que de perdre le merite de l'obéïffance. Tout le païs fut affligé de la retraite de ces Serviteurs de Dieu, & fur tout Arnoul Comte de Chini,& fon fils Othon: celui-ci après la mort de fon pere, qui arriva prefque dans le même tems, ne voulant pas laiffer un lieu fi faint & fi venerable en proïe à la profanation des Laïques, alla trouver l'Archevêque de Tréves, pour le prier de prendre ce Monaftere fous fa protection, & d'y envoïer des perfonnes qu'il jugeroit à propos pour y celebrer les divins Offices. L'Archevêque incorpora le Monaftere à fon Eglife, & y envoïa des Chanoines, qui mirent la derniere main aux édifices. Henri Evêque de Verdun, confacra l'Eglife, & mit les Chanoines en poffeffion de ce Monaftere, qui n'avoit alors que le titre de Prieuré. Ils menerent d'abord une vie très fainte: mais autant qu'ils édifierent dans le commencement, autant cauferent-ils de fcandale dans la fuite par leur vie déreglée: ce qui les fit chaffer de ce Monaftere, pour faire place aux Moines de Câteaux. Adalberon, de la Maifon des Comtes de Chini, qui étoit monté fur le Siége Epifcopal de Verdun, après la mort de l'Evêque Henri, demanda des Religieux à faint Bernard, qui lui en envoïa fept, qui furent tirés de l'Abbaïe de Trois-Fontaines, au Diocéfe de Langres,& qui prirent poffeffion d'Orval en 1131. Conftantin en fut premier Abbé, & il y en avoit eu déja trente-huit lorfque D. Bernard de Montgaillard leur fucceda en 1605. Les Religieux de cette Abbaïe étoient bien déchus de l'Obfervance Réguliere, & de la vie toute angelique que ceux qui les avoient précedés avoient menée fous les premiers Abbés. C'eft pourquoi il en couta beaucoup de peine & de fatigues à Dom Bernard, qui eut bien des obftacles à fur un D'ORVAL. monter pour y pouvoir rétablir la Discipline Monaftique, & RELIOTE les Obfervances qui y font encore aujourd'hui en pratique. M. de Ville-Forre, dans fa petite Hiftoire des Peres d'Occident, nous a donné un détail de ces Obfervances, qu'il a tiré de la Relation qui lui a été communiquée par Chanoine de l'Eglife de Paris, qui vifita ce lieu dans le cours d'un de fes voïages. Comme la même Relation nous a été aussi communiquée, nous la rapporterons auffi fidellement: nous ajouterons feulement que ce fçavant Chanoine eft feu M. l'Abbé Châtelain, & que ce fut en 1682. qu'il alla à Orval, où il arriva le 14. Juin. сс Nous arrivâmes, dit-il, bien tard à Orval, qui eft hors de France, dans le Luxembourg, & le Diocéfe de Tréves. « C'est une Abbaïe de l'Ordre de Citeaux, de la filiation de « Clairvaux, située dans la forêt d'Ardenne,qui eft l'ancienne « Hercinia. On y vit comme à la Trape, hors qu'on y mange ou plûtôt qu'on y préfente du poiffon quand on pêche, mais « auffi on y fuit la Regle de faint Benoît plus à la lettre, & l'on n'y mange en Carême que le foir, fans dire Vêpres le ma- « tin. Saint Bernard y a demeuré, & leur fit préfent du Corps de faint Menne Martyr & Moine d'Egypte, qu'il avoit eu « de quelque Chevalier, qui le lui avoit apporté de Constan- « tinople, au retour d'une Croifade. L'Abbé de ce lieu est un « Gentilhomme Allemand, d'une fainteté folide, mais très agréable. ya „ сс Le Vendredi 12. Juin je fuivis les Religieux dans la plûpart de leurs cérémonies. Je n'allai pas à Matines, qu'ils commencent à deux heures, & qu'ils accompagnent d'une demi-heure de méditation. Après qu'elles font finies, ils ne « fe recouchent pas, mais vont au lieu nommé Lectrois, qui « eft une falle longue à deux rangs de bancs, dont la partie anterieure eft en pupitre & en table, & la pofterieure en « fiége. Il y a une allée large au milieu, & deux étroites prés des murs: les jeunes ont un autre Lectrois féparé. Ils ont « fur chacun dés Bibles commentées, & d'autres bons Livres, avec une petite écritoire & du papier. L'hyver ils font là jufqu'à cinq heures & demie,auquel tems on fonne Laudes, & l'été jufqu'à fix, que l'on fonne Prime. Après que l'on a « dit l'Oraifon, fi c'eft jour de deux Mcffes, on dit la premiere, puis ils vont lire le Martyrologe, & dire le Pretiofa au Cha- Ppp iij сс GIFUX D'OR VAL. دو رو رو دو RELI-,, pitre, après l'avoir fonné en branle quelque tems avec la *,, petite cloche du Choeur. Je les fuivis, & l'un d'eux m'invita d'y entrer par figne. Je demeurai à la porte en dehors. Sous la benediction, Dies & actus,&c. on lut de la Regle de faint Benoît fur le ton des Leçons de Matines. Après la priere , pour les Morts, ils allerent dans le Vestiaire, qui eft un lieu quarré au bout du Cloître, plein de porte-manteaux. Là ils quitterent leur grande coule blanche, & aïant traversé le Cloître par differens chemins, ils allerent en divers endroits » du bois travailler. A huit heures un quart on fonna la fin du » travail avec la groffe cloche du Choeur : ils revinrent se la» ver au Lavoir, allerent au Vestiaire prendre leurs habits de Chœur, & monterent au Lectrois pour se préparer à l'Office par la lecture. رو " " A huit heures trois quarts on fonne Tierce avec la petite cloche;ils furent tous rendus au Chœur en très peu de tems, reciterent Tierce de la Vierge, & chanterent celles de la Ferie, enfuite Sub tuum, &c. c'étoit le Célébrant en aube & » en étolle, accompagné du Diacre & du Soû- Diacre, qui avoit commencé Tierce: il étoit allé à la Sacriftie dès la » demie au fon de la cloche qui avoit tinté. On dit la Messe fimple de faint Bafilides; le Soû Diacre vint après l'Epître » recevoir la benediction de l'Abbé dans fa Chaife du Choeur; le Diacre alla au même lieu faire benir l'encens, & deman» der la benediction. Pendant Tierce & la Meffe, pas un Religieux ne me regarda. Dès qu'on eut dit Ite Miffa eft, on » s'en alla droit au Lectrois, fans quitter l'habit de Chœur. A dix heures trois quarts on fonna Sexte: après les avoir chantées, ils allerent droit au Refectoire fans laver leurs mains. On lut pendant le repas du Livre des Rois, au ton des Matines: on vint en difant Miferere, achever graces dans le Chœur, après lefquelles ils dirent De profundis à genoux pour les Bienfacteurs; ce qu'ils ne font que tous les Vendredis. Comme on difoit la Collecte, l'horloge fonna midi,& ils demeurerent à genoux pendant l'Angelus. Après ils alle» rent se promener, fans fe parler jufqu'à midi & demi, au» quel tems on fonna la Siofte, c'est-à-dire,la Meridiene,qu'ils allerent paffer chacun dans leur cellule pendant une heure, foit en dormant, foit en repofant en filence, comme il est » ordonné dans la Regle de faint Benoît. H GIEUX VAL, A une heure & demie, felon la même Regle, on fonna « RELINone; après les avoir chantées, ils allerent au veftiaire quit- © D'O Rter leurs habits blancs, & enfuite malgré une groffe pluïe«. qu'il faifoit, ils s'enfoncerent dans les bois pour travailler. A trois heures & demie on fonna la fin du travail, ils revinrent, ils fe laverent, & allerent reprendre leurs habits de Chœur,& fe rendirent au Lectrois. A quatre heures on fonna “ Vêpress après les avoir chantées, ils allerent pendant un petit quart d'heure fatisfaire à leurs differens besoins. A cinq « heures on fonna le foûper. Cependant j'allai voir les jardins & le Parc, la pluïe étant “ un peu diminuée. Je vis dans le jardin d'un des anciens Re- " ligieux, un faint Denis de bois peint, portant fa tête & qui jette de l'eau par le haut de la gorge ; & là tous les inftrumens de la Paffion font en boüis. Sur une terre qui eft dans le grand jardin eft une petite Eglife d'une fort belle Architecture du tems d'Henri II. avec un Jubé & des orgues feintes. Les Religieux y viennent dire la grande Meffe le jour de la Dédicace. Un Ermite couche & travaille auprès; 'Abbé ne voulut pas me dire qui il étoit, & à mon retour à Paris j'appris que c'étoit M. de Pont-Château, Sebastien Jofeph du Cambout frere de Madame la Ducheffe d'Epernon & de feuë Madame d'Harcourt. Plus haut il y a une autre petite Chapelle de structure Gothique, près laquelle eft la porte du Parc,où il y a de grandegrandes allées tirées au cordeau & dont quelques-unes ont des contre-allées. La chaleur avoit été fi grande depuis huit jours, principalement le Mercredi qu'ils devoient jeûner, que l'Abbé fuivant la Regle avoit relâché le jeûne de ce jour-là. A fix heures & demie on fonna à l'Eglife, & ils quitterent les Lectrois où ils étoient, & vinrent au Chapitre, où fous la benediction, Noctem quietam &c. on lut le Martyrologe de Cîteaux, & tout de fuite les Conferences de Caffien du ton des Leçons de Matines jufqu'aprés les trois quarts. Tu autem &c. aïant été dit par le Préfident, & Domine miferere &c. le Lecteur, ils fortirent, & je les fuivis au Chœur, où ils réciterent les Pfeaumes des grandes Complies, chanterent le refte,& réciterent les petites, pendant quoi l'on fonna pour Les Freres Convers qui font habillés de tanné, & vinrent par св 66 сс сс |