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De la

Rime &

de fon

pas affez dédommagé par la certitu de & par l'éclat du fuccès? d'ailleurs on écrit pour des êtres intelligens, amis de la raison, & c'eft fe jouer d'eux indignement, ou les méprifer, que de ne pas remplir leur attente à cet égard. Si l'on compte fur leur indulgence, c'eft fe condamner foi-même, & convenir tacitement qu'on auroit mieux fait de ne point écrire. Quelle perte feroit-ce après tout pour la fociété, fi elle étoit privée d'une infinité d'ouvrages à la compofition defquels la raison n'a jamais préfidé? ce feroit beaucoup d'ennui de moins, & peutêtre d'erreurs & de préjugés, qui s'établiffent à la faveur du bel efprit, & qui ne feroient pas fi communs, fi tous les Auteurs avant d'écrire s'étoient impofé la loi d'aque maffer du bon fens.

Il n'eft pas befoin de remonter comme a fait Richelet jufqu'à l'anutilité. tiquité la plus reculée pour démontrer celle de la Rime par des conjectures incertaines. Après la décadence de l'Empire Romain, les

A

Barbares qui en avoient partagé les débris en corrompirent encore la langue par le mélange de leur jargon; & ce que les Lombards avoient fait à cet égard en Italie les Francs l'introduifirent dans les Gaules. Les Poëtes Provençaux & Gafcons mirent la Rime en honneur dans le X. fiécle, quoiqu'à vrai dire, elle fut encore bien barbare & bien imparfaite. A en juger par les chanfons du Comte de Champagne, elle commença à fe polir fous S. Louis; néanmoins fl'on en croit M. Defpréaux, clle doit fon plus grand luftre à Villon qui vivoit en 1460 : Quoiqu'il en foit, elle fait un des agrémens de la Poëfie Françoise. La Rime n'eft que le retour des mêmes fons à la fin des Vers, & non des mêmes Lettres; ce qui prouve que c'est de l'ortographe de l'oreille, & non de celle des yeux que dépend la Rime: ainfi triompher & Enfer ne riment point, non plus que Mer & aimer, parce que leurs finales forment une différence très-marquée

dans la prononciation, quoique dans l'écriture elles n'en forment aucune. On nomme ces fortes de Rimes, Rimes Normandes, parce qu'en Normandie on prononce Me & Enfé au lieu de Mer & Enfer on en trouve plufieurs dans le grandCorneille.

La Rime fe divife en Masculine & Féminine. La Rime Mafculine eft celle qui fe termine par un é Ouvert, comme Liberté ou par quelqu'autre terminaifon que ce foit qui n'eft point une muet comme Heros, valeur, attraits, fecours. La Rime Féminine au contraire eft celle qui finit par une muet, foit qu'il termine abfolument le mot comme dans victoire, fortune, aurore, foit qu'il foit fuivi d'uns comme dans ces mots Rofes Ber geres, Fleuves, ou de ces deux Let tres nt comme dans ceux ci, craignent, dédaignent, vainquirent, quirent. Un mot ne rime point avec fui-même, non plus que le fimple avec fon compofé, ni les finguliers avec les pluriers; ce qui n'eft pas abfolument fans exception.

con

pas

La richeffe des Rimes dépend d'une attention fcrupuleufe fur le choix que l'on en fait. On ne doit, à cet égard, fe permettre de licence que le moins qu'il eft poffible, parce qu'elle dégénere toujours en défaut. La Fontaine en a pris de grandes, & il n'a fallu rien moins qu'une infinité de beautés pour juftifier fa hardieffe. En général la reffemblance du fon ne fuffit pour que la Rime soit riche; mais il faut dans les Rimes masculines une conformité de fon dans la derniere fillabe des mots qui terminent les Vers, comme heureux amoureux, qui ne forment néanmoins que des Rimes fuffifantes en comparaison de celles-ci, amoureux, langoureux, glorieux, victorieux, où non-feulement la derniere fillabe, mais encore la pénultiéme, & même l'anté-pénultiéme fe reffemblent. Dans les Rimes féminines l'uniformité du fon néceffaire, doit commencer à la pénultiéme comme fortune, Neptune, pour la fuffifance, & pour la richeffe à l'ante

pénultiéme comme fortune, importune, Socrate, Ifocrate. Rouffeau eft celui de tous nos Poëtes qui brille le plus par la richeffe & la régularité des Rimes. Je ne dis rien du mélange & de la variété dont elles font fufceptibles. Perfonne n'ignore qu'on n'en fçauroit mettre plus de deux de fuite foit masculines, foit féminines, fans choquer l'har◄ monie, & que les licences de quelques modernes en ce point n'autorifent perfonne à les imiter. Les Rimes croifées ont beaucoup de grace, même dans des piécès de Longue haleine, & dans quelque mefure de Vers que ce foit: les Poëfies de M. Greffet peuvent fervir de modéle en ce genre. Sur le refte du détail de la Rime, on peut confulter Richelet & la Poëfie Françoife de l'Abbé de Châlons. Examinons une queftion plus importante; c'eft de fçavoir fi la rime eft effentielle à la Poëfie Françoife. On n'avoit point encore mis férieufement en doute avant le commencement de ce fiècle, fi

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