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la Rime eft tellement propre à no tre verfification, qu'elle ne puiffe s'en paffer abfolument, ou fi notre langue pourroit s'affranchir de cette gêne. Malherbe, Corneille & Racine avoient marché dans les fentiers du Parnaffe fur les traces de leurs Prédéceffeurs; mais les coûtumes les plus anciennes & les maximes les plus conftantes, deviennent aux yeux de certains efprits entreprenans des abus enracinés & de vieilles erreurs. Une fecte de Novateurs s'eft élevée qui a entrepris de bannir entierement la rime de notre Poëfie & de faire des Vers en Profe. Les Chefs étoient diftingués par leurs talens. Leur nom feul fait leur éloge: M. de Fénélon, M. de la Mothe, & le dernier Editeur du Télemaque, fans parler des autres athletes qui font entrés dans cette lice

mirent en œuvre tout ce que le raifonnement a de plus fpécieux; l'éloquence de plus at trayant, & l'exemple de plus fédui❤ fant pour introduire cette réforme,

quence,

&c.

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Partisans de la Profe dans laquelle ils excelloient, & non contens de la voir affectée à l'éloquence, à l'hiftoire à la Philofophie; ils prétendoient encore la faire dominer dans la Poëfie dans la→ quelle ils ne réuffiffoient pas égaLettre lement. Le premier a avancé que furl'Elo- la rime fait perdre à notre Verfifi→ la Poëfie cation beaucoup de variété, de facilité & d'harmonie; qu'elle allonge & fait languir le difcours; que l'on facrifie à la richeffe des rimes la jufteffe des pensées, la clarté des termes, & même le fonds des fentimens, & qu'enfin la rime qui déplait dans la Profe ne fçauroit flatter l'oreille dans la Poëfie. C'étoit en dire affez de mal; il n'a cependant pas ofé prononcer qu'il falloit entierement la retrancher. Le fecond (c'eft M. de la Mothe) oubliant qu'il devoit une partie de fa gloire à la Rime l'attaqua comme les ingrats font à leurs bienfaiteursavecchaleur,par fes écrits, dans fes difcours, par fes exemples, foutenant que par la

feule

feule harmonie de notre langue,
avec la nobleffe des expreffions,
la variété des tours & des figu-
res, la vivacité des images, on
pourroit faire de très-bons Vers,
en déterminant feulement le nom-
bre des fillabes fans employer la
rime. Enfin l'Auteur d'un difcours
fur la Poëfie Epique imprimé à la
tête du Télemaque, aux raisons
de M. de Fénelon fon Maître
ajoûte qu'on peut faire de la Poë-
fie fans faire des Vers,
Vers, & rapporte
en preuve ce paffage de Strabon
fur Hécatée. » Il a imité parfaite-
ment la Poësie, en rompant feu-
lement la mefure; mais il a con-
fervé toutes les autres beautés
Poëtiques," & après avoir trai
té la rime de vain tintement de fi-
nales monotones, il efpere que les
François s'affranchiront quelque
jour de cette contrainte.

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M. de Voltaire dans la Préface de Edit. de fon Oedipe a combattu & renversé 1729. les prétentions de M. de la Mothe. En effet, notre langue n'ayant point de profodie comme celles

Tome I.

B

des Grecs & des Latins, c'eft vouloir confondre les genres & ne plus diftinguer la Profe d'avec la Poëfie , que d'enlever à celle-ci un de fes principaux caracteres. La Profe la plus poëtique, celle du Télemaque par exemple, n'eft jamais que de la Profe, & celle d'Hécatée qu'on nous objecte, n'a point eû chez les Grecs le nom de Vers ni de Poëfie. D'ailleurs il n'eft pas vrai-femblable que toute une Nation fe trompe en fait de fentiment & de plaifir; or ici, ce n'est point une Nation feule, c'eft prefque toute l'Europe qui depuis plufieurs fiécles, réunit fes fuffrages en faveur de la Rime. Je fçais que les Vers blancs ou non rimés font fort en ufage chez les Italiens & les Anglois, fur-tout dans les piéces de Théâtre ; mais outre que les Langues de ces deux Nations ont des licences & des inverfions qui donnent à leurs Vers une harmonie que les nôtres tiennent principalement de la Rime; il eft certain que les Italiens ont beaucoup

de poëfies rimées, & que M. Pope le plus grand Poëte d'Angleterre, & au jugement de fes compatriotes le plus harmonieux, n'a jamais fait que des Vers rimés. Ce concert de fentimens prouve fans doute l'agrément de la rime. Car feroit-il croyable que deux ou trois hommes qu'elle ennuye, quelqu'éclairés qu'on les fuppofe d'ailleurs, euffent rencontré plus jufte qu'une infinité d'autres grands hommes qui fe font déclarés pour elle. Enfin j'en appelle à l'expérience: depuis ces tentatives, nos Vers rimés quand ils font partis de bonne main ont-ils rien perdu de leur prix, ont-ils caufé moins de plaifir?

Un feul exemple de la méthode de M. de la Mothe, réduite en pratique & appliquée à quelques beaux Vers de M. Racine, a fait voir nonfeulement que le nombre déterminé de fillabes, & l'harmonie des expreffions ne fuffifent pas pour faire des Vers en notre Langue; mais encore qu'onne peut fe paffer

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