rarement dans le même homme, & pour l'ordinaire, la vivacité de l'imagination fait tort à la folidité du jugement, comme l'exactitude fcrupuleufe de la raifon, étouffe les faillies de l'imagination: de là vient que des fiécles entiers fe font écoulés fans produire des Poëtes illuftres, & que les grands hommes en ce genre, n'ont paffé dans le monde que de loin à loin, comme des phénomenes. Ce font des préfens que la nature ne prodigue jamais. Tout le monde convient que la nature eft la premiere fource du beau , que c'eft elle qui produit dans les ouvrages d'efprit, ce vrai qui plaît frappe & faifit univerfelfement dans tous les âges & chez toutes les nations policées. Toutefois la nature feule & brute ne fçauroit caufer cet effet; il faut qu'elle foit perfectionnée par le fecours de l'art, mais il n'eft pas moins conftant que fans le fonds du Génie, l'art demeureroit abfolument inutile. S'il ne fent point du ciel l'influence fecrette, ArtPoët. Chant Si fon aftre en naiffant ne l'a formé Poëte; premier. Dans fon Génie étroit il eft toujours captif; Pour lui Phébus eft fourd & Pégaze eft rétif. Auffi rien n'eft plus facile à démêler que les étincelles de cet heureux naturel, elles percent, elles fe font jour dans une premiere compofition quoi qu'avec un air de négligence, & quelque fois même de rudeffe, au lieu que les affectations de l'art ne couvrent, quand on les approfondit, que de la foibleffe ou de la ftérilité. En vain donc s'efforceroit-on d'acquerir ce Génie par une Etude non moins inutile que pénible, fi l'on n'en porte en foi le germe & les premieres femences qu'il faut, dès qu'on les poffede, développer par le fecours de la lecture & de la réflexion, & c'est à quoi contribuent encore certaines circonftances particulieres qui ne fe réuniffent pas toujours également dans une même perfonne. Le climat, l'éducation, le tempérament, la fortune influent pre plus qu'on ne pense fur la détermi tems. fité du 1 ne; ilfait à proprement parler la ref fource des Génies bornés & fuper ficiels qui ne pouvant rien approfondir, & voulant cependant écrire à quelque prix que ce foit s'embar raffent peu d'écrire fenfément, pourvû qu'ils le faffent d'une maniere hardie, nouvelle & extraordinaire. On ne peut néanmoins fe diffimuler, fi l'on ne veut point abufer de fes propres lumiéres & fe faire illufion à foi-même, que pour bien écrire, il faut bien penfer, c'eft-àdire, penfer fenfément. C'eft une vérité dont, ceux mêmes qui s'en font le plus écartés, ont été forcés de reconnoître l'évidence démontrée d'ailleurs par l'eftime conftante dont certains ouvrages font & feFont toujours en poffeffion préferablement à d'autres. Les caracteres de la Bruyere mériteront certainement l'admiration des hommes éclairés dans dix fiécles comme à prefent, tandis que d'autres ouvrages remplis de portraits tracés par l'efprit feul font dejà tombés dans l'oubli. On relira mille fois, & toujours avec un nouveau plaifir les fables de la Fontaine,lorfque celles de Mr. de la Mothe feront oubliées: & d'où naîtra cette différence du vrai qui domine dans les bons ouvrages: or ce vrai n'eft que la fuite du bon fens. Lui feul eft le point fixe d'où il faut partir, fi l'on veut ne pas s'égarer: ainfi la régle la plus fure que puiffent fuivre tous ceux qui compofent en Vers, & fur tout les jeunes gens, c'eft de ne point trop fe livrer aux fougues de l'imagination, mais de péfer toutes leurs penfées au poids de la raifon, fource unique des beautés les plus folides de la Poëfie. Quelque fujet qu'on traite ou plaifant ou fublime, Que toûjours le bon fens s'accorde avec la rime. On n'arrive à ce point qu'à force d'examen, de réflexions & de févérité fur fes propres productions; je n'ignore pas que ces facrifices coutent beaucoup à la Pareffe, & même à l'amour propre, mais n'eft-on |