dant rien ôter à l'un de fa clarté, ni à l'autre de fa force & de fa justesse.Les critiques les plus acharnés contre Mr. Boileau n'ont pû s'empêcher de conve nir que fon Art Poëtique étoit un chef-d'œuvre, & le reproche qu'ils lui ont fait d'en avoir tiré tout le fonds d'Horace n'eft rien moins que vrai, comme nous le montrerons ailleurs, Tout le monde reconnoît que les embelliffemens qu'il a faits à fon fujet, font également heureux dans le choix & dans la diftribution.

Je foufcris avec plaifir au ju gement que toute la République des Lettres a porté de cet ouvrage. Cependant en vertu de la liberté qu'ont fes Citoyens de propofer leurs doutes, j'hazarderai mes conjectures fug une matiére qui fembloit trai

tée avec tant d'exactitude qu'il paroîtra d'abord téméraire "d'y ajouter quelque chofe. Un Poëme didactique où tous les principes ne font renfermez qu'en germe & ont besoin d'être développés, où le commun des Lecteurs ne découvre pas dans toute leur étenduë, les regles que l'Auteur prefcrit, où quelqu'unes même de ces regles font encore problématiques, où les préceptes ne font pas toujours appuyez, ni les défauts démontrez par des exemples connus où faciles à trouver; un tel ouvrage, dis-je, n'eft-il pas de la nature de ceux qui doivent être éclaircis par des remarques deftinées à expofer, à approfondir la matiere qui en fait l'objet ? Or l'Art Poëtique de Boileau, quelque

mérite qu'il ait d'ailleurs, m'a toujours paru de cette nature, La preuve en feroit peut- être auffi ennuyeufe qu'elle eft facile, fi je l'entreprenois dans tous fes points; c'est pourquoi je me borne à cette fuppofition; Que l'on fasse lire à un jeune homme qui fort des humanités, & qui a même quel que connoiffance du Théâtre cet endroit du troifiéme Chant;

Qu'en un lieu, qu'en un jour un feul fait accompli,

Tienne jufqu'à la fin le Théâtre rempli,

Et qu'on lui demande le fens de ces Vers; penfe-t-on qu'il réponde avec précision, qu'il s'agit ici des trois unités & du complément de l'action ? quand on le fuppoferoit, feroit-il en en état d'expliquer en quoi con,

fifte chaque unité, quels en font les caractéres, quelles beautez en réfultent dans un Poëme Dramatique, quels défauts y fait naître la négligence à les obferver? pourra t-il par fes propres lumieres découvrir ces beautez & ces défauts, remonter à leur origine, en rendre raifon, appuyer fes reflexions fur des exemples? J'ofe avancer qu'à la fimple Lecture de Boileau ce jeune homme ne foupçonnera feulement pas que tant d'objets différens & néanmoins liez néceffairement les uns aux autres foient enveloppés fous deux Vers, & il court rifque de l'ignorer toute fa vie, fi l'on ne les lui expose: je dis la même chose des autres parties du Poëme Dramatique & des diverfes efpeces de Poëmes grands & petits, dont les caractéres

tracez en racourci, dans l'Art Poëtique font des énigmes pour la plupart des Lecteurs, & fur tout pour ceux qui n'aiment point à réfléchir.

Ce n'eft point un fantôme qu'on fe propofe de combattre, ni une maladie chimérique que l'on imagine, pour s'attri buer la gloire de l'avoir guerie: elle n'eft que trop réelle.Parmi nous, il n'eft que trop ordinaire de rencontrer des perfonnes qui avec des lumieres & de l'efprit ayent lû plufieurs fois l'Art Poëtique, fans l'entendre & fans l'approfondir. Eft-ce la faute de l'ouvrage, eft-ce celle des Lecteurs? Je n'ai garde de décider cette question délicate. Le mal eft certain de quelque caufe qu'il parte, il eft utile, je penfe, d'en chercher les reme