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Ies Porcius & tant d'autres ont pris les noms de quelques Légumes qu'ils cultivoient, ou de quelque efpece de Beftiaux qu'ils gardoient; & ces fiers Maîtres du Monde qui bornoient leur gloire à leurs Couronnes de Laurier de Chêne & de Perfil, ne quitterent le goût de l'Agriculture qu'en quittant la vertu. Du moins nous avons encore quantité de Plantes qui ont retenu jufqu'à present le nom des Hommes du premier Ordre, qui en ont découvert les vertus ; & il n'y a rien que toute l'Antiquité profane, fur tout nos Gaulois & nos Germains, n'ayent fait pour éternifer le refpect & l'amour qu'ils avoient pour l'Agriculture. Le premier Roi de Boheme voulut qu'on confervât précieusement fa charuë, fon chapeau & fes guêtres de Laboureur, & qu'on les expofat fur l'Autel au Sacre de tous fes Succeffeurs. J'oferois même dire que nos Rois de France n'ont été long-temps que de trèspuiffants Cenfiers, puifque le principal revenu de ceux des deux premieres Races confiftoit dans les Terres conquifes fur les Romains, fur les Bourguignons & les Vifigots, qu'ils faifoient valoir toutes par des Valets, & qu'ils paffoient prefque tout leur temps à voyager de l'une à l'autre, & vivoient des productions de leurs fonds en les failant vendre pour leur compte quand ils étoient regalez par les Seigneurs ou par les Communes. De même les Rois d'Afrique, ceux d'Orient, les anciens Empereurs de Conftantinople, ceux de Turquie même, & ( ce qui eft de plus furprenant) ceux de la Chine donnent dans le goût de l'Agriculture ou du Jardinage qui en eft une partie : & la Loy de Mahomet oblige les Empereurs mêmes à fçavoir le Labourage ou le Jardinage, & à en faire preuve avant que de monter fur le Trône. Les exemples de Diocletien & de Charles-Quint qui fe font démis de l'Empire pour joüir des délices d'une vie privée & champêtre, font prefens à tout le monde : le Chancelier de l'Hôpital & l'Amiral de Coligny ont donné de pareils exemples; de nos jours, le Grand Condé qui a paffé par tout pour un des plus grands Princes & des plus grands efprits du monde, a quitté, pour fa retraite de Chantilly, tout ce que l'éclat de fes Conquêtes, de fa Naillance & de la plus belle Cour qui fût jamais, pouvoient avoir de féduifant; & depuis lui, les Harlay, les Pelletiers, les Pontchartrains se font volontairement dépouillez des premieres Charges de la Robe & du Miniftere, pour goûter à longs traits les charmes de la vie privée & champêtre, que Ciceron, Virgile & tant d'autres ont fi vivement & fi éloquemment décrits.

C'est ainsi que l'Agriculture eft le grand Théatre de la Nature, qui fe prête & fournit à tous les befoins & à tous les goûts, tant pour l'efprit que pour le corps. Il feroit à fouhaiter que l'on fut plus fenfible qu'on ne l'est à cette verité; car les preceptes de cet Art font à portée de tout le monde, & il n'y a perfonne qu'il n'intereffe, foit qu'on ait du bien en fond, ou qu'on n'ait que fon fçavoir faire: en s'appliquant à l'Agriculture, on occuperoit une infinité de faineans & de miferables, on negligeroit le frivole pour s'adonner à ce qui eft vraiment utile, & par là on feroit riche en faifant valoir fes propres fonds ou ceux d'autrui, au lieu de refter dans l'indolence, ou de courir après des richesses d'industrie également difficiles à acquerir & à conferver: On ne verroit pas tant de Terres incultes ou steriles, parce qu'elles font mal cultivées : l'homme qualifié ne feroit point trom

pé dans ce qu'on execute par fes ordres dans fes Terres ou dans fes Jardins pour fon utilité ou pour fon plaifir; le Bourgeois fçauroit l'art d'obliger la Nature à ne rien refuser à fes foins; le Noble, le Roturier, le grand Seigneur & l'Artifan auroient le fecret de fertilifer, de conferver & de perpetuer leur heritage jufqu'à leur derniere generation, & l'on dévoileroit infenfiblement ce que la Nature a de plus caché : ce n'eft pas en confiant fes Domaines & fes jardins à des gens qui ne font Laboureurs ou Jardiniers que de nom, pour attraper vôtre argent, qu'on parvient à ces heureux effets, il faut s' appliquer avec affection &. avec goût.

CHAPITRE II..

De l'affiette de la Maifon de Campagne, & des Materiaux
quiy entrent..

OMME nous avons ici à donner le Plan & l'Economie Generale

Cd'un bien de Campagne, nous fuppofons un Champ brute qu'il faut

bâtir, habiter & faire valoir.

Avant que de le bâtir, c'eft au Maître à confiderer, 1°. Si fa Cuisine eft bien fondée. 2°. Si le Champ eft bien à lui, s'il n'y a point quelque Mineur, quelque Doüairiere, quelque Creancier ou quelque Superieur qui puiffent l'inquieter; fi les Formalitez du Decret & de la Licitation qui font les voïes les plus fûres pour acquerir, font bien remplies; fi le temps que le Seigneur de qui le bien releve, les parens de celui qui l'a vendu, & le vendeur même, ont pour retirer cet heritage, eft écoulé fans retour; car il auroit de l'imprudence à y faire la moindre dépenfe auparavant. Je confeille même à nôtre acquereur de faire arpenter & borner avec les voisins

y

A heritage avant que de bâtir, afin que les plus hargneux n'ayant plus rien à lui dire, il foit fûr de ce qu'il a, & qu'il bâtiffe & fe regle fur cette affurance.

Nos Anciens eftimoient beaucoup le Levant & le Midi, un peu moins le Couchant, & ils rejettoient le Nord comme dangereux & mal fain. Il a encore des gens de ce goût, & ils peuvent fe fatisfaire : mais comme à Υ la Campagne il y a toûjours allez d'air, on s'attache plûtôt à la bonté de la Terre qu'au refte. Quand on eft le maître de l'Affiette du Bâtiment, on aime à le voir expofé fur une Colline agreable qui prefente d'un côté en face une vûë ample & gracieufe, & s'il fe peut toutes les Terres de la Maifon d'un feul coup d'œil; & de l'autre côté une Croupe douce & bien plantée qui donne de l'abri à la Maison, sans être defagreable à la vûë.

Nos Peres avoient encore en recommandation les lieux environnez de Collines, parce qu'ils les croyoient plus fertiles que les autres, mais l'experience nous fait voir tous les jours le contraire : l'avantage d'une telle fituation ne peut fe fentir que dans les Païs où le plus grand revenu fe tire des Oliviers qu'on y cultive, & d'autres Arbres qui croiflent mieux fur des Collines que dans des fonds.

Une grande Riviere, un grand Seigneur & un grand chemin font trois mauvais voifins pour les Terres; quant aux Maifons, elles fouffrent moins du voifinage du dernier que des deux autres: on conçoit pourtant aisément que l'Economie nous doit faire contenter de la Maifon de Campagne que nous avons d'heritage ou d'acquifition, quoiqu'elle n'ait pas tout ce que l'Art, la volupté & l'avidité des hommes demanderoient.

Nous ne voulons donc ici qu'un Bâtiment fimple, & commode neanmoins pour loger gracieusement un Particulier à la Campagne, accompagné des pieces neceffaires ou utiles pour une bonne Ferme: & comme la plupart des Ouvriers qu'on employe aux Villages pour bâtir, ne tendent qu'à tromper ceux qui les employent, & qui font fouvent eux-mêmes peu au fait des Materiaux & des Bâtimens; on a jugé à propos de donner ici quelques avis, tant fur la matiere de conftruire ces fortes de Bâtimens, que fur les Materiaux qui y en: trent; afin qu'étant plus éclairé fur toutes ces chofes, on conduife l'ouvrage avec plus de facilité & de goût, & qu'on foit moins expofé aux tromperies des Mallons, Charpentiers, Couvreurs & autres Ouvriers, foit qu'ils entreprennent ou qu'ils travaillent à la journée.

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La Science des Bâtimens eft une Science neceffaire qui convient à tout le monde, elle eft piquante & fructueufe pour les plus grands & pour les plus riches, auffi-bien que pour les moins puiffans; c'eft pourquoi j'entrerai un peu dans le détail; ce font des curiofitez qui doivent être agreables & utiles à tous ceux qui ont à bâtir ou à reparer, & par confequent à tout le monde ; car il n'y a prefque perfonne qui n'ait à bâtir, foit par plaifir ou par neceffité, aux Champs ou à la Ville, & ce que je dirai fera bon

tout.

par

Le plaifir fenfible qu'a tout le monde à créer, pour ainsi dire, une Maifon, à la faire naître du fein de la Terre, & à la voir élever par fes foins & fes dépenfes, flatte & engage fi fort, qu'on ne fçauroit être trop éclairé & trop attentif pour l'achat & l'emploi des Materiaux, & trop en garde contre foi-même pour la dépenfe où l'amour propre nous entraîne prefque toûjours infenfiblement.

Pour bâtir, il y a trois chofes à confiderer; 1°. L'Affiette de la Maifon, 2°. Les Materiaux neceffaires pour la bâtir, 3°. Sa conftruction. Je parlerai des deux premiers Articles dans ce Chapitre-ci ; & le troifiéme Article fera traité dans les deux Chapitres fuivans, parce que la matiere eft abondante & importante.

Affiette de la Maifon de Campagne.

I. Le lieu où l'on veut l'avoir, eft ce qui s'offre d'abord; on doit toûjours preferer les lieux habitez à ceux qui ne le font point, quand ce ne feroit que par la raison que dans les lieux habitez on eft probablement fûr de la bonté de l'air & de la Terre, & cela par experience; au lieu qu'on ne peut connoître l'un & l'autre dans les lieux inhabitez, que par des conjectures qui font fouvent trompeuses. Si néanmoins par affection, ou par quelque autre raison, on veut habiter un endroit folitaire & brute, il faut en con noître la fertilité & la falubrité par l'air, par ·les eaux, & par la qualité & la quantité des productions qui y croiffent, comme je le dirai plus ample

ment au premier Chapitre de la feconde Partie de cet Ouvrage.

Quant aux eaux pour être bonnes & faines, il faut qu'elles partent d'une · fource qui ne tariffe jamais, qu'elles foient fans couleur, fans odeur & fans aucun goût, qu'elles ne laiffent ni marque ni ordure dans les vaiffeaux, & qu'elles cuifent promtement les Légumes; à l'égard du poids des eaux, difference n'en eft pas affez fenfible & affez fûre pour qu'on s'y regle.

est

la

Le lieu fera bon pour s'y établir, s'il eft fertile, s'il a en abondance les principales commoditez de la vie & les Materiaux propres à bâtir; fi le voisinage en eft bon, s'il eft proche d'une bonne Riviere & d'un Bois à chauffer & à hayer; dans une distance raisonnable des Villes & des grands chemins, fans en être ni trop près, ni trop loin, pour qu'on puiffe profiter de ce qu'ils ont d'utile pour le debit des danrées & pour les fecours, les commoditez & les plaifirs de la vie, fans avoir l'embarras des vifites & des pafíages trop frequens.

II. Le Bâtiment Champêtre & fes dépendances feront affis en un lieu plain, ferme & non boflu ni raboteux, où les foüilles qu'il faudra faire pour les fondations ne foient ni trop dures & malaifées, ni trop molles & trop profondes, parce qu'il en coûteroit trop à y fouiller & fonder. Par la même raifon, on ne doit point, autant qu'on le peut, pofer fon Bâtiment fur une place de grand prix; & même quand la chofe eft égale pour la vûë, pour l'air & pour la facilité des Avenues, il eft à propos de choisir pour le Sol de la Maison & du pourpris, l'endroit le plus aride du terroir, afin de profiter des terrains qui font de bon rapport; d'autant plûtôt que les Jardins, les Vergers, les Clos & autres lieux qui compofent l'enceinte ou pourpris de la Maifon, quelques fteriles qu'ils foient, peuvent être amendez facilement, parce qu'ils font à portée.

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III. L'Affrette de la Maison fera agreable fi elle eft dans un lieu de facile abord, & fec, pour la commodité des promenades & des Avenues; fi elle est un peu élevée; bornée d'un côté par des Montagnes éloignées de quelques trois lieues, & de l'autre libre à perte de vûe, ayant un Païfage diverfifié de Plaines & Collines, de Forêts, Rivieres, Prairies, Terres la bourables, Vignes, Villages & Hameaux; & enfin tournée en face de la principale entrée, & placée au milieu ou du moins à portée de tout le Domai ne qui en dépend

Dos chofes neceffaires pour bâtir.

Les principales matieres pour batir ou reparer, font le Bois, le Sable, les Pierres & la Terre: car de la Terre on fait les Briques, les Tuiles, les Carreaux & le Ciment; & de la Pierre, on fait la Chaux.

Les murs des Bâtimens fe font en differentes manieres ; les uns de groffes Pierres de Taille, les autres de Moüellon, de Cailloux ou de Briques difpofées en échiquier, par angles ou autres diverfes manieres: souvent même on entremêle ces differentes matieres ; & la plupart des anciennes Villes de Provinces font encore bâties de Charpente & de Briques. Quant aux murs legers de Campagne, on les fait fouvent de Limofinerie, de Saumurage, de bonne Bauge, c'eft-à-dire de Cailloux liez avec de la Terre-Franche détrempée avec du foin ou de la paille, ou de fimple Bauge

autrement

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autrement dit Torchis, comme je le l'expliquerai ci-après. Les Anciens faifoient encore des murs de Remplage, qu'ils nommoient auffi Murs à Coffres; pour cela ils mettoient de champ, c'eft-à-dire fur leur largeur, certains ais qu'ils difpofoient fuivant l'épaiffeur qu'ils vouloient donner a leurs murailles, & ils rempliffoient ces ais de Mortier & de toutes fortes de Pierres..

Des Pierres & du Moëllon.

Les petites Pierres trop dures & trop unies ne font pas propres à bien prendre & afpirer le Mortier. Quelques-uns tiennent que la plus mauvaise eft le Grais, & qu'il eft défendu aux Maffons de s'en fervir, c'est-à-dire en Cailloutage & façon de Moüellon; car pour les gros Carreaux & quartiers de Grais, nous voyons quantité de Bâtimens faits de graifferie, qui font beaux & bons; mais il faut que le Grais foit travaillé ruftiquement, car autrement il gliffe: on le pique, & pour cela on a des outils particuliers, parce qu'on ne le travaille pas comme la Pierre & le Marbre qui fe taillent.

Dans les grands Edifices, on fe doit fervir des Pierres les plus grandes & les plus dures, pour qu'ils foient plus beaux & plus folides.

Les Pierres ordinaires dont on fe fert pour bâtir, font differentes, fuivan les differens Païs; & fi nous n'avons pas ici, par exemple, tant de Marbre qu'on en a en Italie, nous avons en récompenfe une infinité de differentes Pierres beaucoup plus belles & plus commodes pour bâtir: il n'y a point de Province en France où l'on n'en tire de fort excellentes, principalement aux environs de Paris. Outre les trois bonnes Carrieres de Cliquart, de Bonbanc & de Liais qui font derriere les Chartreux & qui fourniffent une bonne partie de la Pierre qu'on employe à Paris, nous avons encore les Carrieres d'Arcueil, d'Ivry, de Charenton, de Saint-Maur, de Paffy, de Saint-Cloud & Meudon, d'où il fe tire des Pierres d'une grandeur extraor dinaire & très-dures; de Monteflon à trois lieucs de Paris, où la Pierre eft d'une blancheur & d'une dureté qui approchent du Marbre; celle de SaintLeu, qui eft tendre à tailler, mais qui durcit à l'air; celle de Vergelé, qui est plus dure, plus rude & moins polie & qui fert ordinairement pour les Quays, Voûtes & Souterrains, ( ces deux dernieres fe vendent au tonneau qui contient quatorze pieds de Pierre Cube; ) celles de Seran, de Troffi, de SaintMaximin, du Camp de Cefar, de Senlis qui eft très-difficile à avoir, parce que la Carriere n'ayant que deux pieds & demi de hauteur, & la Pierre étant très-dure, il faut que les Carriers y foient toûjours couchez en travaillant; celles de Berchez l'Evêque, de Ver & de Praville au Pais Chartrain; celles de Vernon & de Caen, de Tonerre, & les autres qui font dans toutes les Provinces de France, fourniffent d'excellens Materiaux plus qu'en aucun Royaume du monde.

On appelle Liais ou Franc. Liais, une espece de Pierre très-dure, blanche approch ante du Marbre blanc, & qui reçoit un poli avec le Graiss c'eft la plus dure & la meilleure de toutes les Pierres, & elle refifte à la gelée & aux injures du temps. On appelle Liais Ferault ou Faraut, la Pierre qui fe trouve ordinairement fous le Franc- Liais, & qui ne brûle point au feu comme font la plûpart des autres Pierres ; c'eft pourquoi on s'en fert aux fours, aux Fourneaux, aux âtres & aux jambages de cheminée. On Tame 1..

B..

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