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Dans les Haras en forme, il y a dans les pâturages une Loge fpacieufe ou on retire les Cavales pour les garantir du Soleil, du froid & des autres in jures de l'air qui font beaucoup de tort aux Chevaux & en alterent imperceptiblement les meilleurs temperammens.

Le bon air eft encore une chofe & avantageufe & même fi néceffaire aux jeunes Poulains, qu'ils languiffent dans les lieux mal airez, quelque abondance qu'ils y aïent d'ailleurs de pâture & de fourage : c'eft pourquoi il eft bon de les mener, dès leurs premiers jours de fortie, dans les montagnes ou campagnes bien airées.

Il faut auffi s'appliquer à connoître dès le commencement leur complexion & leurs inclinations : les meilleurs feront les plus alertes, les plus vifs, les plus courageux & les plus intrépides, à sauter, à courir & à franchir les Rivieres, les Ponts, les Montagnes.

Si quelque Poulain fe trouve foulé à force d'efcapades, à cause de l'humidité du lieu, ou autrement; il faudra l'échauffer par quelque exercice, & quand il fera échauffé lui frotter toute la nuque du coû, le gofier & l'épine du dos, de vieille huile d'olive, de beurre & d'onguent Althea mêlez enfemble, & lui parfumer le ventre de fumée de pierres-vives, trempées toutes rouges dans de bon vin, qu'on tient enveloppées de quelque linge, jufqu'à ce qu'elles foient refroidies.

Des Poulains fevrez.

Les Poulains étant nez, comme nous l'avons dit, au mois d'Avril, on les févre à quatre âges differents; chacun fuit en cela fon fentiment: les uns les févrent à environ huit mois, vers la faint Martin; les autres attendent qu'ils aïent un an; d'autres veulent qu'ils aïent dix-huit mois, & d'autres enfin deux ans.

En France le plus grand ufage eft de les fevrer à un an, parce qu'alors ils ont paffé la rigueur de l'Hyver, s'y font fortifié par le lait, ont un âge fuffifant pour s'accoûtumer au fec ou au verd, & ils entrent tout d'un coup dans des pâturages abondans; en forte qu'à trois ou quatre ans ils peuvent fervir: au lieu que ceux qui têtent pendant deux ans font fort lâches & pefans, & on une portée de la Cavale; & ceux qu'on févre à huit ou à dix-huit mois,entrent tout d'un coup dans l'Hyver & languiffent avant que de fe faire à vivre de fec. La bonnne maxime eft donc de les fevrer au commencement de l'Eté que les herbages font gras, & jamais au commencement de l'Hyver, parce qu'aïans la dent foible ils ne peuvent manger le fourage fec & patiffent trop.

Deux ou trois jours avant que de les fevrer, on les fépare de leur mere à laquelle on ne les redonne que le lendemain, pour qu'en fe rempliffant de lait plus abondamment & plus avidement pour la derniere fois, ils en foient plus gros & plus difpos: on leur attache enfuite la fonnette au coû dans les endroits où il y a des Serpens, comme dans les pâturages marécageux.

Vos Poulains étant donc fevrez, à quelque âge qu'on le faffe, on les mettra dans une Ecurie qui fera toûjours tenue nette, & où la mangeoire & le ratelier feront bas; afin qu'ils s'étendent & fe délient mieux,& qu'ils fe déchargent de toutes les humiditez fuperflues: la littiere ne leur manquera pas ; & à la difference des Chevaux, les Poulains ne feront point attachez, & on les toû

chera le moins qu'on pourra, crainte de les bleffer, & de les empêcher de prendre une belle croiffance..

Il faut, avec le bon foin qu'on en prend, leur donner du fon; cela les. excite à boire, & leur fait par conféquent avoir du boyau ; l'avoine leur fera donnée auffi à leur ordinaire, avec de bon foin, outre la pâture qu'ils iront prendre l'Eté féparément de leur mere.

Bien des gens croient qu'il ne faut point donner d'avoine aux Poulains, crainte qu'ils ne deviennent aveugles; mais ils ne fongent pas que quand ce malheur arrive au Poulain, il vient de ce qu'aïant encore la dent tendre les efforts qu'il fait pour concaffer l'avoine qui eft dure, rompent quelques fibres. & endommagent la vûë; ainsi c'est la foiblesse des dents du Poulain & non pas l'avoine qui caufe l'inconvenient ; & pour le prévenir on fait moudre offierement l'avoine qu'on donne aux Poulains..

g

La pâture ne fuffit pas à un Poulain pour le rendre fort, vigoureux, & de: bon fervice; il lui faut du grain, cette nourriture les foutient bien mieux. Il eft vrai que quand ils pâturent l'herbe, ils ont ordinairement les dents agacées, & que cela leur fait de la peine a manger l'avoine; mais ce n'est une raison pour la leur ôter; il n'y a qu'a la leur faire moudre groffierement, comme on vient de le dire: encore n'aura-t-on cette peine que pendant quatre mois, parce qu'à cet âge leur bouche eft endurcie.

pas.

Si les Poulains vouloient s'échauffer aprés les Poulines & les couvrir, il faut les féparer auffi-tôt.

La pâture eft bonne aux Poulains pendant tout l'Eté, & ils en deviennent: plus forts, mais il ne faut point oublier de leur donner du grain; l'Hyver venu il les faut tenir chaudement dans l'Ecurie, obferver ce qu'on a dit cideffus, & de temps en temps les fortir l'Ecurie, quand il fait beau, pour que le bel air les éveille & les fortifie.

Il faut couper le crin de la queue d'un jeune Poulain, pour qu'il l'ait plus belle & plus touffuë; il eft même bon de le couper deux ou trois fois

F'année.

Joncs Marins, herbages de toutes saisons.

Il eft bon de donner aux Poulains pendant leur premier Hyver, un certain verd qu'on appelle en Bretagne du Jonc ou de la lande, & en France du Jonc-marin; il vient de lui même fans être femé, dans les Landes & les terres maigres dans tous les Païs où il fait un peu froid l'Hyver, il commence à fleurir à la fiu de l'Hyver, il eft en fa grande fleur au mois de May, & pour lors il eft amer & n'eft plus bon. A l'entrée de l'Hyver que les herbages manquent, on prend les pointes de ce jonc que l'on pile, car il a des picquerons qui blefferoient & feroient faigner la bouche des Chevaux ; on le broie à force de bras dans une auge, ou avec une machine l'on que Nous en donnerons la figure au Chapitre fuivant. a inventé pour cela ::

Quoiqu'on ait dit que ce Jonc marin vient fans femer, cependant chacun fait que tout ce qui eft femé en bonne terre bien préparée, vient mieux, plûtôt & plus gras. Des curieux fe font avifez de femer de ce Jonc-marin en bonne terre, il y vient très-beau; on le coupe trois ou quatre an, fuivant la bonté du fond; il en eft plus tendre, fes piquerons ne piquent fois par

ni ne bleffent: on le pile néanmoins, mais cela eft bien-tôt fait; il ne fleurit pas, parce qu'il eft coupé fouvent, & ainfi on en peut donner toute l'année. La premiere coupe fe fait d'ordinaire à l'entrée de l'Hyver quand les herbages commencent à manquer, & l'on continue plus ou moins fouvent à mefure qu'il repouffe: au bout de huit ou dix ans, qu'il ne pouffe plus tant, on laboure la terre & on y feme du bled, & un an aprés on peut y refemer du Jonc-marin. On traitera plus amplement de fa culture au Chapitre fui

vant.

Outre la nourriture, il faut à force de careffe, & de la voix & de la main, accoûtumer les jeunes Poulains à fe laiffer frotter, étriller, lever, marteler & enfin ferrer les pieds.

D'abord en les tenant attachez entre deux piliers, on leur frottera la tête à poil & à contre-poil, avec quelque épouffette de crain ou de gros drap; on leur effuiera enfuite les yeux avec une éponge trempée dans de l'eau fraîche, & on leur lavera la mâchoire fans moüiller plus haut que les yeux; puis on leur épouffetera & étrillera le refte du corps, & on abattra bien la pouffiere, fans paffer l'étrille fur le fil du dos, fur la tête ni fur les parties baffes, qu'on ne doit nettoïer non plus que les pâturons, qu'avec les mains, le bouchon & l'épouffette; & aprés qu'on l'a bien étrillé ou époufleté, on le frotte de nouveau avec la paume de la main trempée dans l'eau, pour rendre le Poulain plus gaillard & fon poil plus beau.

Pour qu'il ait la criniere & la queue longues & frifées, on les peigne doucement pour ne les point mêler ni arracher, on commence par les extrêmitez, & on leur lave enfuite la queue abondamment, au lieu qu'on ne leur lave que fort peu le toupet & point du tout la criniere, de peur que l'humidité ne leur offenfe le cerveau; on leur lave auffi les bourfes avec du vin tiéde pour def fecher les humeurs qui ont coûtume d'y tomber, & pour les garantir du prurit & de la difficulté d'uriner.

Après qu'ils font ainfi panfez matin & foir, on les attache à leur mangeoire pour y manger un peu de foin ou de paille avant de les mener à l'eau ; s'ils font dégoûtez, on leur frottera la bouche de bon vin & de fel, ou de vinaigre; mais tout changement trop prompt leur eft préjudiciable.

Deux heures aprés qu'ils ont bû, on leur donnera l'avoine bien criblée s'ils mangent du foin, & de l'orge s'ils mangent de la paille: Il y a des gens qui s'imaginent que l'avoine les rend fujets à l'aveuglement & leur ufe les dents; c'est pourquoi ils ne leur donnent que du bon foin & du bon fon, ou ils leur font moudre groffierement l'avoine. Il eft bon de la leur voir manger, pour

les Valets d'Ecurie ne la leur retirent point, ou qu'ils ne leur frottent les dents de fuif pour la leur faire quitter; en ce cas il faudroit leur laver la bouche de vinaigre & de fel pour les remetre en appetit; car ils en ont toûjours pour l'avoine, à moins qu'ils ne foient malades ou fatiguez, ou qu'il n'y ait du maléfice: C'est un bon figne de fanté, quand en mangeant ils machent leur mord & jettent quantité d'écume blanche & épaifle; car quand elle eft d'une autre couleur, trop vifqueule ou trop liquide, c'eft une marque que la pituite l'emporte fur la chaleur narurelle, & leur caufera quelque indifpofition. Une heure ou deux aprés qu'ils auront mangé leur avoine, & pas plutôt, on leur donnera assez de paille ou de foin pour qu'ils en ayent de refte le lende

main matin, & on leur fera une ample & fraîche littiere pour qu'ils ne fe puiffent bleffer. Il n'y a point de nourriture qui leur vaille le pâturage, quand il eft abondant: c'est à la fin du mois de May qu'on les y met. On les y laiffependant trois ans pour les rendre robuftes & fains.. A un an & demi (ce qui arrive ordinairement vers la faint Martin ) en les remettant à l'Ecurie on leur tond la queue pour la faire devenir plus belle; on la tond ainfi deux ou trois fois ; tant qu'ils font à l'Ecurie, on les gouverne comme les autres Chevaux; & quand ils font à l'herbe, il faut avoir foin de les mener boire, quand il n'y a point dans le pâturage quelque endroit où ils puiflent boire d'eux-mêmes: il eft bon auffi qu'il y ait quelque arbres dans le pâturage pour garentir les beftiaux de la chaleur. Quand les Poulines auront deux ans, il faudra avoir foin de les féparer des Poulains, & mettre auffi les jeunes Poulains à part, comme nous l'avons dit ailleurs, afin qu'ils ne s'abandonnent pas trop à leur jeune fougue. Ce n'eft qu'à trois ans qu'il faut faire travailler les uns & les

autres..

De la maniere de dreffer les Poulains au Harnois & à la Sellé..

Les petits foins qu'il faut fe donner pour y réuffir, demandent plus d'adresse que de peine: Quand le Poulain a deux ans & demi, il eft temps de lui commencer les leçons: il faut d'abord le rendre à force de douceurs, doux, familier & docile ; le manier fouvent par tout le corps, lui lever tantôt un pied tantôt l'autre, & fraper de la main par deffous comme fi on vouloit le ferrer, lui faire fentir legerement l'étrille, l'épouffette & le bouchon, & l'accoutumer petit-à- petit au bridon & à la bride en le careffant de la voix & lui donnant du pain dans la main pour le gagner & le rendre fouple.

Quand on a pris ces petits foins pendant cinq ou fix mois, on le fait peuà-peu au harnois, en lui mettant d'abord un licoû avec lequel on l'attache à la mangeoire parmi les Chevaux faits, & il mange avec eux; quelques jours. aprés,le licoû lui étant familier, on l'accoutume à porter la bride, puis la felle: du harnois, enfuite l'avaloire & on les lui laiffe un demi jour fur le corps; on continue ces foins pendant quatre ou cinq jours.

Quand il eft un peu fait à cet attirail, on le met à une charette dont les roues font arrêtées par un pieu qui les traverse en deffous; ainfi attelé on le careffe, on le flatte, on l'anime & on l'adoucit de la voix & de la main pendant qu'on lui tient toûjours la bride en main, de peur qu'il ne s'emporte comme il a coutume de faire au premier attelage; furtout point de coup de foüet :: il ne faut pas même le faire claquer ; c'eft affez à cette premiere fois de lui faire fentir le joug du harnois & de la Charette; petit-à-petit il s'y accoutu me; enfuite il commence à tirer un peu, & quand on l'y voit affûré, on ôtera. le pieu qui baroit les roues, & on le fera marcher quelques pas en lui tenant toûjours la bride; ainfi, infenfiblement on le fera au trait, en l'attelant avec un Cheval de harnois qui le tiendra en état & l'empêchera de s'emporter, & on: le menera dans les marchez pour l'accoutumer au monde & au bruit,

On prendra les mêmes foins pour le Poulain que l'on deftinera à monter ;. la bride & le mord qu'on lui mettra d'abord lui paroîtront étranges & lui. feront fecouer la tête, mais il n'y a qu'à le tenir par la bride hors de l'Ecurie,. le laiffer bridé pendant deux ou trois heures, le promener en main, le faire:

reculer

reculer & avancer, & même lui mettre la felle afin qu'il s'y accoutume; mais qu'elle foit fans étriers, de peur que le Poulain ne s'y embaraffe les pieds & ne s'eftropie: Il faut auffi la premiere fois qu'on le felle, le fangler très-légerement, ou même point du tout s'il eft trop rétif à la fangle.

Il faut deffeller & débrider le Poulain fi-tôt qu'on le remet à l'Ecurie, lui donner une jointée d'avoine & le flatter, pour que cet appas le familiarife au joug. On l'exerce ainfi pendant cinq ou fix jours, pendant lefquels on le fangle plus fort de jour en jour, & on lui met la croupiere & le poitrail, le careffant de la voix & de la main pour le raffurer: quand il l'eft bien, on le mene dans une terre labourée, pendant qu'on le careffe & qu'on lui donne de l'avoine pour appas, un homme monte deffus, & un autre lui tient toûjours la bride en main, pour voir la figure qu'il fera fous fon homme, on le tire par la bride & on le fait marcher dans les terres ; après deux ou trois leçons pareilles, le même homme lui met les rennes fur le coû, le monte & le promene avec une houssine en main dont il lui donne legerement fur le coû de temps en temps, & lui lâche un peu de la bride pour lui faire la bouche. : on le preffe chaque jour de plus en plus, fuivant qu'il eft docile, du pas au trot, du trot au petit galop, d'un chemin droit en traverfes, d'un lieu uni fur des hauteurs, & ainfi de fuite jufqu'à ce qu'il foit fait à tout. Pour l'accoutumer à l'éperon, on ne fait d'abord que ferrer les jambes, enfuite on approche l'éperon & on le lui fait fentir par degrez felon qu'il eft rétif; & même quand on a une fois fait fentir l'éperon & le foüet au Poulain, il vaut mieux l'accoutumer à obéir à la voix qu'aux coups.

Le jeune Cheval étant ainfi accoutumé fous l'homme ou au harnois, il faut le ménager dans les commencemens, pour qu'il rende de bons & longs fer

vices.

Le mot de Haras comprend auffi les Mulets & les Anes, parce que les Chevaux & les Anneffes, ou les Cavales & les Anes s'accouplent & engendrent les Mulets; mais il n'a été ici queftion que des Chevaux, nous parlerans des autres dans les deux Chapitres fuivans.

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CHAPITRE III

Des Malets.

E Mulet eft une Bête de Somme, engendrée d'un Ane & d'une Cavale, ou d'un Cheval & d'une Aneffe. Il y a mâle & femelle; l'un & l'autre font fort chauds pour le coït; mais ils n'engendrent point, parce qu'ils viennent comme les monftres, de deux differentes efpeces d'animaux: il ne faut cependant pas fouffrir qu'ils s'accouplent, parce que quand on le fouffre ils deviennent vicieux & malins. Ils vivent long-temps, fouvent plus de trente ans ; ils font fort fains, & ils participent aux qualitez des animaux de qui ils viennent; c'eft-à-dire qu'ils ont la force des Chevaux & la dureté des Anes; ils femblent nez pour porter de gros fardeaux, pour les porter docilement & pour durer long-temps; ils ne bronchent prefque jamais: En Espagne on ne connoît gueres que les attela

Tome I.

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