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Maniere avantageuse pour ménager confiderablement les pâturages.

Outre les nourritures ordinaires & extraordinaires, qu'on s'étudie d'avoir pour les beftiaux, comme je l'ai dit dans les deux articles précedens, il y a une maniere particuliere & très-utile pour ménager les pâturages que l'on peut avoir je la mets ici, parce qu'elle en rend les herbages non feulement plus copieux & plus abondans, mais auffi plus fains & plus ragoûtans pour le bétail.

L'experience nous apprend que l'herbe trop mûre durcit & perd beaucoup de fon fuc; & que l'herbe tendre & non mûre n'en a point affez & ne fait que pafler en forte que les beftiaux en mangent deux ou trois fois plus qu'ils ne feroient fi elle étoit en maturité, & celle qui eft dure n'est plus affez fucculente. Outre cela les beftiaux aiment à changer de pâture; dans les grands pâturages la moitié de l'herbe fe perd, parce qu'ils vont toûjours à la plus tendre, & la plus dure fe deffeche, ou ils la foulent aux pieds, ils pâturent même fi prês de terre les endroits délicats & y tiennent l'herbe fi fujette, que de la tendreffe dont elle eft, elle ne profite prefque point.

C'est pourquoi pour bien ménager fes pâcages, & afin que toute l'herbe en foit pâturée, qu'elle le foit en maturité, & qu'elle repouffe & profite, il faut féparer les pâturages par quartiers, grands à proportion du bétail qu'on a à у mettre, en forte qu'il trouve dans chaque quartier de quoi paître pendant trois ou quatre jours, au bout defquels on le met dans un autre quartier, afin que le premier repofe & fructifie; & ainfi fucceffivement dans tous les quartiers de l'herbage par là tout l'herbage fe mange à la fois, il n'y a rien de foulé, rien de perdu; le bétail a plus d'herbe, & il l'a meilleure parce qu'il change de lieu, elle repouffe plus vite & plus forte, & on la laiffe meurir tant & fi peu qu'on veut deux arpens ainfi ménagez & féparez en valent plus de trois en Commune ordinaire.

Ces féparations de pâturages fe font à peu de frais. Si c'est une terre qui se puiffe labourer, dans l'endroit où vous voulez clôre vôtre canton de pâturage, labourez la terre avec la charruë, qui en remuëra plus en un jour que ne feroient cinquante hommes à la bêche: faites travailler un nombre fuffifant de Domestiques ou de Journaliers à relever les terres & à en faire des levées, avec de grandes pelles de bois larges & ferrées par le bout comme celles qui fervent à remuer le fel, pour avancer la befogne, enfuite plantez fur ces levées fuivant la maniere du païs, quand ce ne feroit que du bois à faire du feu; vous en tirerez toûjours trois fois plus de profit que la levée n'aura coûté, & vous doublerez quafi le revenu de vos pâturages.

Si le fond en eft trop humide pour qu'on puiffe labourer, faites faire la levée à coups de bêches; ou faites vos féparations de haies de faule ou autres bois blancs; la premiere année vous les armerez & les défendrez contre le bétail; & la feconde il n'y a qu'à déploïer la haie & l'entrelaffer dès le pied pour empêcher que le bétail ne s'aille frotter contre & ne la déteriore. Il eft bon de ficher quelques pieux d'efpace en efpace dans les pâturages, pour que les beftiaux s'aillent frotter contre; c'eft une espece d'étrille qui les grate plus fort qu'un faule frais-planté qui n'a point de réfiftance, & que ce frottement perd: outre cela, il eft bon d'avoir, autant qu'on le peut, de

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quoi mettre le bétail à l'ombre pendant les chaleurs de l'Eté; il le cherche alors de lui-même partout, & les femelles en ont beaucoup plus de lait : c'est pourquoi on y laiffe croître des haies de faules ou de bois blanc; ou on y fait des appentis, à l'abri defquels le bétail fe rafraîchit; fans cela il faudroit le ramener à l'Etable pendant le fort des chaleurs. Il 'y en a qui mettent des plants d'arbres dans leurs herbages; mais ou ils n'y réuffiffent pas, ou c'est bien du terrain perdu pour l'herbe.

Un Jardin rempli d'herbes eft auffi d'un grand fecours pour la nourriture des Vaches, parce que l'herbe y vient bien plus vite & en bien plus grande abondance que dans les prez; on la donne en verd aux Vaches, de même que les feuilles de choux, de poirées & quantité d'autres chofes qui feroient perdues & qui engraiffent le bétail.

ARTICLE III.

De la multiplication de l'efpece du Bétail à cornes.

Comme ce bétail eft le plus confiderable & celui qui fait plus de profits journaliers à la maison, & fe vend toûjours bien en quelque état qu'il foit; on ne peut pas trop s'appliquer à le multiplier; les races Flandrines & les Bâtardes tant mâles que femelles font principalement bonnes pour cela, parce qu'elles font plus vigoureufes & plus fructueufes. Mais je n'en parlerai pas davantage, parce que je fuppofe qu'on fe fouvient de ce qe j'en ai dit: tout ce que je dirai de nos Bêtes à cornes ordinaires, eft commun aux autres & doit y être appliqué.

Ce n'est pourtant pas le tout que d'augmenter le nombre de fes beftiaux il ne faut le faire qu'à proportion des pâturages que l'on a ; fans cela c'est une chimere que d'efperer beaucoup de profit de beaucoup de bétail; s'ils n'ont pas affez de bonne pâture, tout ce qu'on pourra leur donner pour y fuppléer, coûtera beaucoup & les nouurira mal.

Le Bétail ne profite cependant que fuivant qu'il eft nourri, en forte que quatre Vaches bien nourries, fourniffent autant que fix qui ne le font pas bien.

Ainfi il faut fe regler fur l'étendue & la fertilité de fes pâturages pour multiplier fon bétail.

Cela fuppofé, rien n'eft meilleur pour le profit du Maître que la multiplication de fes bêtes à cornes, puifque les veaux qu'il en aura feront toûjours de l'argent comptant en les livrant au Boucher ou aux Marchands ; & s'il les veut élever, il aura des Vaches fécondes en lait & en veaux, des Bœufs qui feront fon ouvrage & fe vendront bien cher, & s'il veut quelques Taureaux qui ferviront pour tout le voifinage, moïennant une rétribution modique, que bien des Maîtres abandonnent à leurs Domeftiques pour leurs gages. Au refte on tire des Vaches, des Taureaux & des Veaux les mêmes profits que ceux que nous avons enfeigné du Bœuf; la Vache a même de plus le lait qui fait un profit confiderable; & pour ne rien perdre on met à profit non feulement les peaux de Veaux qui fe vendent aux Tanneurs, aux Mégiffiers, aux Parcheminiers, aux Cordonniers & aux Relieurs; mais encore la graisse & la moüelle

de Veau: fa caillette fert auffi à faire de la prefure; on vend même le poi de Veau aux Bourreliers & aux Tapiffiers qui s'en fervent pour faire de la Bourre. Le Vélin n'eft autre chofe que de la peau de Veau, qui ayant été préparée par un Megiffier & par un Parcheminier, eft plus délicate & plus unie que le Parchemin ordinaire.

A quel âge & en quel temps il faut donner les Genißes & Vaches au Taureau.

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On ne doit point laiffer faillir les Geniffes qu'elles n'ayent au moins deux ans & demi ; la plupart des Payfans impatiens de voir leurs Geniffes pleines, les font accoupler avant cet âge, foit qu'elles le demandent ou non; mais ils fe font tort en courant au profit, car elles ne font que des avortons & cette fecondité prématurée les dérange & altere leur tempérament : il auffi des Genifles tardives qui ne fouhaittent le Taureau qu'a trois ou qua tre ans, de même qu'il y en a qui le defirent dès dix-huit mois; mais il faut retenir celles-ci & hâter celles-là, comme nous le dirons ci-après.

Les Vaches portent neuf mois, & elles portent fi on veut toutes les années, pourvû qu'elles n'ayent pas paffé dix ans ; car alors elles ne valens plus rien que pour la boucherie.

Quant au temps de leur donner le Taureau, fi nous en étions les maîtres, nous choifirions pour cela les mois de May, Juin & Juillet, pour avoir des Veaux en Hyver qui eft la faifon qu'ils fe vendent le mieux, mais la chofe dépend entierement du naturel de ces animaux, il faut attendre qu'ils foient en amour; & c'est parce que les uns y font plûtôt que les autres, que nous avons des Veaux toute l'année, mais plus en certaine faifon qu'en d'au

tres.

Dans les Pays chauds, même dans la Breffe, on ne fait faillir les Vaches qu'aux mois de Fevrier & de Mars, & jamais en d'autres temps; c'est l'usage. de prefque tous les Italiens, & ils condamnent hautement ceux qui en ufent. autrement; leur raifon eft que leurs Vaches qui vélent en Novembre & Decembre, allaitent leurs Veaux pendant qu'elles fe nourriffent de fourrages, & elles font libres quand les herbes renaiffent; en forte que comme le lait est alors plus abondant, plus gras & de meilleur goût que quand elles ne mangent. que du fourrage, par ce moyen on a tout le lait, on ne le partage pas avec: les Veaux, on l'a meilleur, on en a davantage, & on tire tout le profit des bons beurres & des bons fromages qui fe font alors. Nous qui ne connoiffons. pas ce prétendu raffinement d'Economie, nous repliquons qu'en recompenfe nous avons toute l'année des Veaux, du lait, du beurre & du fromage.. Voilà le pour & le contre, on n'a qu'à choisir.

Des Vaches en chaleur.

Revenant à nôtre ufage, qui eft de lâcher les Vaches au Taureau en tous te faifon quand elles font en chaleur : auffi-tôt qu'elles ne font que meugler & fauter fur tout ce qui fe prefente à elles, Boeuf, Vache ouTaureau ;, & que les ongles enflent aux Geniffes, il eft temps (pourvû qu'elles ayent comme nous l'avons dit, deux ans & demi pour le moins ) de les mener au Taureau, pour ne pas lailler ralentir leur chaleur, parce qu'elles en retien

ment mieux.

Les

Les Vaches graffes ne conçoivent pas fi aifément que celles qui le font moins; & pour que l'embonpoint ne nuife pas à la conception, bien des gens font un peu jeûner la Vache un jour ou deux avant que de la mener au Taureau.

Cela n'empêche pas que pour les mettre en amour, quand elles font tar dives à s'y mettre ou peu animées auprès du mâle, on ne les nourriffe de bon foin & de pain fait avec un peu de farine & de la graine de lin, ou du marc de cette graine après qu'on en a exprimé l'huile, & avec cela un peu de fel; d'autres ne font que broyer un oignon marin & en frotter la nature de la Vache pour l'échauffer.

Du Taurean:

Il n'est ici question du Taureau que par rapport à la generation; car en parlant du Bœuf à l'Article précedent, nous avons auffi parlé de l'âge de la nourriture ordinaire & des maladies du Taureau ; c'eft la même chofe de même que la maniere de l'engraiffer quand il n'eft plus bon que pour

Boucherie,

la

Un bon Taureau doit être gras, gros & bien fait, avoir l'œil noir, évi lé, le regard fier & affreux, le front ouvert, la tête courte, les cornes groffes, courtes & noires, les oreilles longues & velues, le muffle grand, le nez court. & droit, le coû fort charnu & fort gros, les épaules & la poitrine larges, les reins fermes, le dos droit, les jambes groffes & charnuës, la queue longue & bien couverte de poil, l'allûre ferme & fare, & le poil rouge.

Il faut qu'il foit de moyen âge, entre trois ans & neuf au plus, & il ne lui faut donner que quinze Vaches; car il ne faut pas fe regler fur ce qu'on dit qu'il y a eu des Taureaux qui ont failli à quatorze mois, & qui ont fuffi à vingt, quarante, jufqu'à foixante Vaches. On prétend que le Taureau couvre les Vaches avec tant de vigueur, que fa femence s'en va fans qu'il fe remuë: il ne les careffe jamais quand elles font pleines : il aime les abeilles; mais il a de l'averfion pour les Paons, pour les Bourdons, les Guêpes, les Frelons, les Ours, les Tigres & pour quelques couleurs, principalement pour le rouge.

Au furplus, quant à la corpulence du Taureau & à la maniere de le nourrir & de le panfer de fes maladies s'il lui en furvient, il faut avoir recours à ce qui a été & fera dit des Bœufs, puifque la faculté generative à part, le Taureau ne differe du Bouf qu'en ce qu'il a le regard de travers, plus noir & plus vif que le Boeuf, les cornes plus courtes, le coû plus charnu & fi gros qu'il doit être à proportion la plus groffe partie de fon corps; il doit auffi avoir le ventre plus étroit & plus droit que le Bœuf, pour couvrir les Vaches plus facilement.

Pour le rendre alerte, il faut lui donner de temps en temps de l'orge ou de la vefce; & pour le bien mettre en rut, il eft bon de lui donner un picorin d'avoine chaque jour de travail. S'il manquoit d'ardeur pour la Vache, il faut prendre une éponge ou un torchon, en frotter la nature de la Vache, & enfuite le muffle du Taureau, pour que fa vivacité le réveille par l'odorat. Si c'eft la Vache qui ne veut pas fouffrir le mâle, quoiqu'elle ait aupa, Tome I¿

Nn

ravant donné des fignes de chaleur, il faut la ranimer comme on vient de le dire à l'article précedent.

Des Vaches pleines.

Les Connoiffeurs difent que c'eft une marque que la Vache a conçû, lorfqu'elle ne veut plus fouffiir les approches du Taureau. On ne doit point mettre les Vaches pleines au labourage ni au charroi; ou s'il y a neceffité de le faire, on doit les ménager & les traiter doucement: il faut auffi que le Vacher prenne garde qu'elles ne fautent ni haie ni foffez: fix femaines. avant qu'elles vélent, on les nourrira un peu plus qu'à l'ordinaire, en leur donnant pendant l'Eté un peu d'herbes à l'étable, outre la pâture qui doit fe faire alors dans les herbages les plus gras, affez mûrs & non marécageux; & l'Hyver on leur donnera une fois par jour & le matin avant que d'aller aux champs, de la balle de bled & du fon dans une chaudiere pleine d'eau, ou de la luzerne ou du fain-foin; il fortifie les Vaches, & fait une bonne maffe de lait.

On doit auffi ceffer de les traire fix femaines avant qu'elles vélent; il n'eft pardonnable qu'à de pauvres gens de les traire pendant ce temps, encore en tirent ils fort peu de lait ; ce peu ne vaut rien, & ne fait par là qu’alterer la poitrine de la mere & diminuer la fubftance du Veau qu'elle porte. Il y a des Vaches dont le lait tarit tout à-fait un mois ou même deux avant qu'elles vélent, & d'autres qui en donnent jufqu'à la veille du jour qu'elles mettent bas; mais c'eft principalement celles-là qu'on ne devroit pas traire fix femaines auparavant pour en ménager la race, & les conferver ellesmêmes à caufe de leur fecondité.

Des Vaches, pendant qu'elles vélent.

Quand le terme des neuf mois approche, c'eft au Vacher à faire bonne littiere & à tenir l'étable bien chaude l'Hyver; & les Servantes veilleront au moment que la Vache voudra fe délivrer pour repouffer & redreffer le Veau s'il ne fe prefente pas la tête la premiere, & pour faciliter fa fortie fi la Vache y a de la peine.

Nous fuppofons qu'on l'aura mife dans un endroit feparé, pour que, les autres Beftiaux n'incommodent point la Vache ou le Veau.

Si-tôt que le Veau eft né, on lui répand fur le corps une poignée de fel & autant de miettes de pain pour exciter la mere à le lécher : ce léchement fortifie le Veau, du moins il en ôte toute l'ordure que nul autre ne pourroit ôter, parce qu'il eft encore trop tendre pour qu'on y touche.

Il faut en même temps prendre & jetter tout le délivre (c'eft ainfi qu'on appelle particulierement l'arriere-faix des Vaches) elles en font très- friandes, c'eft pourquoi il faut prendre garde qu'elles ne le mangent; car cette masse groffiere & corrompue fait de fi mauvais effets dans le corps d'une Vache, que fi tôt qu'elle en a mangé elle refte toûjours maigre, quelque chofe que l'on falle pour l'engraiffer.

Cela fait, fi c'eft en Hyver que la Vache véle, on lui donne des balles de bled bien criblées, mêlées avec trois picotins de fon dans une chaudiere

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