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regle de les labourer toutes les fois que l'herbe y recroît; car elles en pro duifent toûjours beaucoup, & c'est ce qui ufe la fubftance & les fels qu'on ne fçauroit conferver trop precieufement pour la femence ; & comme en fait de labour il vaut mieux le bien faire que d'en malfaçonner beaucoup, il faut plûtôt ne prendre guéres de terre avec le coutre, & l'enfoncer bien avant, que d'en élever une grande largeur, & ne prendre que la fuperficie du Champ; ce labour ferré & profond s'appelle labourer à petites raies.

3o. Les terres fablonneufes, pierreufes, féches ou legeres veulent être labourées peu & fuperficiellement; on ne leur donne affez fouvent que deux labours avant la femaille des Bleds, afin que le peu qu'elles ont de fubftance & d'humidité ne s'évapore point; & on n'enfonce pas bien avant, parce que ce feroit aller chercher la mauvaise terre pour la mêler avec la bonne on n'en fçauroit trop avertir la plupart des Païfans, qui s'imaginent que labourant des terres méchantes ou médiocres à vive jauge, c'estàdire amplement & profondément, ils en feront venir de bonne au, deffus, au lieu qu'ils n'en ameuent que de plus mauvaise.

Scillons & Raies..

IV. La figure même, que le Laboureur donne à fon Champ en le façonnant, doit être reglée fuivant ce qui eft plus avantageux pour la terre & pour les bêtes qui labourent.

1o. On ne doit jamais faire de fcillons trop longs, parce que les bêtes ont trop à tirer tout d'une traite, les raies n'en font pas fi droites, & la terre n'en eft pas fi bien mêlée ni figurée fi agréablement; c'est pourquoi les Curieux veulent qu'on fépare leurs terres par quartiers,, chacun de quarante perches de long tout au plus..

2o. Quand on laboure fur une Colline, pour foulager les bêtes & travailler mieux & plus uniment, il faut labourer en travers horisontalement à la Colline, & non pas de haut en bas.

30. On laboure à plat, uniment & également les terres qui ( comme dans Ile de France), ont befoin de l'arrafement des pluies.. Au contraire on laboure en talus & en dos d'âne à fcillons hauts & élevez les terres argilleu fes, les humides, & generalement toutes celles qui n'ont. pas befoin d'eau qu qui font difficiles à fe deffecher: Ainfi dans la Brie & dans la Petite Beauffe, on laboure par planches, & on laiffe d'efpace en efpace un large fcillon & ralus pour recevoir les eaux & les porter dans des foffez qu'ils font pour cet effet aux côtez de leurs terres.

Au furplus, on fait les feillons plus ou moins larges, plus ou moins élevez, & les raies plus ou moins ferrées dans certains Païs que dans d'autres. On les fait pourtant. en general beaucoup plus élevez, moins larges & moins unis dans les terres humides & graffes que dans les Terroirs fecs, & cela pour faciliter l'écoulement des eaux qui pénétrent difficilement dans ces terres; pour empêcher qu'elles n'y trouvent des places pour y croupir, il y a des Laboureurs qui ne font leurs feillons que de quatorze à quinze poûces de largeur fur treize ou quatorze de hauteur : & quand on fait de ces fcillons étroits, il eft bon de labourer du Midi au Nord pour qu'ils ayent le Soleil des deux côtez, & que les grains y meuriffent également, finon ceux

du

du côté du Midi avanceroient & meuriroient huit à dix jours avant les autres. Il n'eft pas neceffaire d'avoir cette attention, quand les fillons font plats, larges & fpacieux de huit, dix à douze pieds, parce qu'ils ont le Soleil de tous leurs côtez. Les terres fortes qui boivent l'eau affez aifément, peuvent être labourées en planches larges de huit à dix pieds, dont le milieu fera pourtant un peu plus élevé que les deux extremitez, afin de faciliter l'écou lement des eaux des pluies abondantes, parce que les Bleds, principalement le Seigle, les craignent beaucoup; elles battent la terre & la font durcir fur tout quand elles font fuivies de féchereffe; mais quand elles tombent doucement, elles fructifient beaucoup la terre. Il y en a une espece d'une nature fi féche, que l'eau s'y imbibe auffi-tôt qu'elle tombe il lui faut de l'eau prefque tous les huit jours en Eté, pour qu'elle faffe de belles productions: quand on laboure de ces fortes de terres, on n'y fait ni fillons ni planches, même dans les Païs où on n'a point coûtume de labourer fans en faire; mais on met ces terres à uni à tous les remuëmens qu'on y fait, & même après que le grain y eft femé, ce que les Laboureurs appellent. labourer à uni(arare planè ) c'est relever avec l'oreille de la charue toutes les raies de la terre d'un même côté; de maniere que lorfqu'on a achevé de labourer le Champ, il ne paroît aucun fillon ni aucune enrue (fillon fort large & compofé de plufieurs raies de terres élevez par la charuë) mais au contraire le Champ paroît tout uni: on fe fert d'une charuë à tourne- oreille pour cette maniere de labouter; & on laboure ainfi principalement les terres feches & pierreufes où on ne met fouvent que des menus grains.

4°- Il eft affez d'ufage de donner le troifiéme labour aux terres differem ment des deux précedens, c'eft-à dire en traverfant les premieres façons; & ce labour eft le meilleur qu'on puiffe donner, parce qu'il ne laiffe aucune ordure, & toute la terre eft également remuée. Cependant il n'eft bon que pour les Païs fecs où l'eau s'imbibe promptement; & il ne vaut rien pour les terres qui font trop humides ou qui retiennent long temps l'eau, à moins que l'année ne foit extrêmement féche; autrement les eaux qui furviendroient & qui n'auroient aucun écoulement de deffus cette terre ainfi traverfée, l'hu me&teroient fi fort, qu'on n'en pourroit rien faire dans la fuite.

Sur tout ce détail il eft impoffible de donner aucune regle certaine; mais auffi il ne faut pas que ce foit le caprice qui nous guide; il faut y aller par raifonnement, ou s'en rapporter à l'experience de nos Peres, & fuivre. l'Ufage du Païs.

Accompagnemens du Labour.

V. Un bon Laboureur doit être fort attentif & fort zelé à faire executer tout ce qui doit précéder, accompagner ou fuivre fon labour; à bien effarter ce qui doit l'être, bien épierrer la terre avant chaque façon, la bien émotter enfuite, & la fumer à propos : dans bien des endroits on fait plus; car après chaque labour, outre la caffemotte & la herfe on y paffe le rateau, & même en Italie où on fe pique affez de la belle Agriculture, on crible la plupart des terres; mais en un mot, il ne faut épargner, autant qu'il nous eft, poffible, ni peine ni dépense pour ameliorer la terre, fur. tout quand il n'y va que de nos foins ou de quelque leger interêt, comme cela eft ordinairement. Y yy

Tome I.

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dans le détail de la culture des terres, elles nous dédommagent toûjours de tout ce qu'on fait pour les abonnir.

VI. Le dernier labour doit toûjours être plus profond que le précédent, à moins qu'une terre n'en ait eu tant qu'elle foit affez meuble pour n'avoir plus befoin que d'un leger remuage lors de la femaille. Celui qui laboure doit faire connoître fon fçavoir-faire, en féparant tous fes fillons également, en les faisant égaux & bien droits, pour mieux détruire toutes les herbes, & rendre la terre plus fertile; il eft à propos qu'il marche toujours dans la raie la plus nouvelle, pour ne point repiquer le labour, & pour que les raies foient plus droites & mieux faites: il ne fçauroit auffi les approcher trop les unes des autres dans les Terroirs gras, humides ou forts, parce qu'ils en font bien mieux maniez. S'il rencontre quelque racine d'Arbre ou de Vigne, il levera le foc pour paffer par deffus, ou il les coupera avec la hache ou la ferpe, plûtôt que de les arracher à force de labour; les bêtes de labour en auront moins de peine, le travail fera plus égal, la Plante s'en portera mieux, & la charuë ne fera point en danger de caffer. On changera de foc le moins qu'on pourra, parce que la nouveauté en eft toûjours dangereufe, & on ne fera le dernier labour que dans un temps convenable à la femaille du grain dont on voudra charger la terre, puisque le dernier labour eft pour ouvrir la terre au grain.

VII. Enfin il ne faut jamais ni forcer une terre par de trop frequentes productions, ni lui faire rapporter deux fois de fuite la même efpece de grains; rien ne l'effrite davantage, à moins que ce ne foit les trois premie res années de production d'une terre novale; hors ce cas, il faut femer tous les ans des grains differens, & donner à la terre le repos qui lui eft neces faire de temps en temps pour reprendre fes forces. Il faut auffi avoir foin d'y faire ou d'y entretenir les haies & les foffez neceffaires pour la défendre des infultes des paffans & des beftiaux.

CHAPITRE V.

Des Bleds: leurs efpeces, Semaille, Culture & Moiffon.

N divife ordinairement tous les Grains en deux efpeces; fçavoir les Beds, autrement les gros Grains, & les menus grains qu'on appelle plus communément les Mars, parce qu'on les feme vers le mois de Mars; au lieu qu'on feme prefque tous les Bleds en Automne: c'eft pourquoi on dit auffi la femaille d'Automne pour dire la femaille des Bleds, par oppo

fition à la femaille de Mars.

Sous le nom de Bled, on comprend non feulement les differentes especes de Froment, foit commun, Froment de Mars, Epeautre & autres, & le Méteil & le Seigle, mais encore le Maïs, le Bled noir, le Millet, le Panis, le Bled barbu & l'Efcourgeon, comme nous l'allons expliquer en détail.

ARTICLE PREMIEN,

Des differentes efpeces de Bleds, & des Terres qui leur conviennent.

Fromens.

Le Froment eft le meilleur & le plus gros de tous les grains, il fait la farine la plus blanche & le meilleur pain. Il a force racines menuës, garnies de plufieurs tiges, & n'a qu'une feuille; pendant tout l'Hyver, il eft en herbe; an Printemps fa tige s'éleve, & à la troifiéme ou quatrième éteule il en fort l'épi qui contient de petites gouffes où le grain est enfermé.

Les Fromens font differens, fuivant les lieux où ils naiffent. En Afie, il y en a dont le grain eft auffi gros qu'un noyau d'Olive: à l'entour de Sienne en Italie, il y a des grains qui rendent vingt-quatre épis, & un muid rend cent & jufqu'à cent cinquante muids. Du temps d'Augufte, on lui envoya d'Afrique un germe de Froment qui contenoit quatre cens épis.

Il y a plusieurs fortes de Fromens. Nos Fromens ordinaires font même: plus ou moins gros, & fournissent plus ou moins, fuivant la difference de la culture & des terres, comme je l'ai obfervé ci-devant. Mais ils font toûjours les meilleurs de tous les Fromens qu'on peut avoir dans le Païs.

Il y a une autre espece de Froment qu'on appelle Froment de Mars ou Bled rouge, parce qu'effectivement les grains en font rouges, & on le feme au mois de Mars pour le dépoüiller au mois d'Août, comme les Avoines. Il fait du pain du moins auffi blanc, & d'auffi belle pâtifferie que le Froment ordinaire.

Epeautre.

L'Epeautre eft auf une espece de Froment fört eftimé autrefois en Italie,. & aujourd'hui fort commun en Allemagne; le grain en eft fort petit & plus noirâtre que le Froment ordinaire : quelques-uns l'appellent Froment Locar.. Hy en a de deux efpeces; l'une fimple, & l'autre qui a double boure; il a toûjours deux grains en chaque gouffe. On en fait du pain qui eft leger, nourriffant & agreable au goût, mais difficile à digerer: les Anciens en faifoient la fromentée, qui étoit une boüillie dont ils faifoient grand état: on s'en fert en quelques endroits pour faire de la Bierre. Quoiqu'on mettel'Epeautre au rang des Fromens, c'eft pourtant un grain qui tient le milieu entre le Froment & l'Orge : fa plante eft quafi femblable au Froment; mais fon tuyau eft plus mince, & n'eft pas fi ferme; fon épi eft plat & uni, iljette fes grains feulement des deux côtez, & il a une barbe longue & déliée. Il y a une espece d'Epeautre qu'on appelle Seigle blanc.

Il y a encore differentes autres fortes de Fromens, mais il y auroit moins d'utilité que de curiofité à en faire ici l'énumeration. Jobferverai feulement que le meilleur Froment bife toûjours, c'eft-à dire qu'il baiffe, noircit & dégénere d'année en année, & devient enfin Méteil & Seigle.

Méteil.

Le Bled Méteil eft un Bled, mêlé de Froment & de Seigle. Le bon & Yyy ij.

gros Méteil eft celui qui contient plus de Froment que de Seigle; & au contraire le petit Méteil eft celui où il y a plus de Seigle que de Froment.

Seigle.

Le Seigle a le tuiau plus long & plus menu que les autres Bleds; il en fort fouvent fix ou fept d'une feule racine: l'épi eft auffi plus long que celui du Froment, & il eft droit quand il eft en fleur, & fe baiffe quand il eft mur: le grain en eft longuet, maigre, ridé, petit, & fait un pain noirâtre & pefant qui n'eft bon que pour les gens groffiers, ou pour tenir le ventre lâche; on en mêle avec le Froment, afin que le pain foit plus long-temps tendre. En récompense le Seigle vient en abondance & avec facilité, même dans de mauvaises terres ; & quand l'année eft féche ( ce qui fait manquer les Froments) on a des Seigles en abondance: le Seigle échauffé, refour, & vaut mieux pour cela que le Froment. L'eau panée de Seigle eft auffi meilleure que celle du plus beau pain de Froment. La paille de Seigle eft ce qu'on appelle du Gluy; comme elle eft fort longue, on ne la bat point au fleau, & on la laiffe en fon entier, pour s'en fervir à couvrir des Granges, des Maisons, à lier les gerbes & la vigne, faire des paillaffes, &c. On employe encore la farine de Seigle à faire du pain ou de la pâtée pour les chiens & les cochons; toutes les autres bêtes, principalement les chevaux & les Poules ne veulent ni grain ni pain de Seigle.

Il y a auffi du Seigle blanc, qui comme je le viens de dire, eft une espece d'Efpeautre un peu plus nourri & plus épais que le Seigle ordinaire.

Il y a du Seigle qui dégenere, dont les grains font noirs en-dehors, & affez blancs en-dedans ; & quand ils font fecs, ils font plus durs que les grains ordinaires, ils n'ont point de mauvais goût, & ils s'allongent beaucoup plus dans l'épi que les autres. Il y en a qui ont jufqu'à treize ou quatorze lignes de long fur deux de large, & l'on en trouve quelquefois fept ou huit dans un même épi. En Sologne on appelle ces grains des Ergots, en Gaftinois da Bled cornu.

Terres propres aux Bleds.

Le Froment aime les terres fortes & un peu humides: celles qui font graffes, noires & pâteufes, les Bois & Prez nouvellement défrichez, les Sols où il y a eu des bâtimens, font tous fonds où il réüffit fans doute le mieux; mais comme on n'a point beaucoup de ces heureux fonds, on ne laiffera pas que d'avoir de bonnes moiffons de froment dans d'autres terres, même pierreufes ou fablonneufes, pourvû qu'elles foient fortes, bien amandées & bien labourées. Il refifte mieux au froid qu'aucun autre grain; loin d'être fujet à pourrir, il aime les terres un peu humides; il veut être femé après la pluie, & profite beaucoup mieux dans les années pluvieufes; tout cela, parce que comme c'eft le plus lourd, le plus ferme & le plus fubftanciel de tous les grains, il eft moins en prife au froid, & il a befoin d'humidité plus que tout autre pour germer & végéter.

Le Seigle au contraire veut une terre feche & de peu de fubftance; il lui faut de la fechereffe quand on le feme, & pendant l'année pour qu'il réüf fiffe, parce qu'il eft fujet à pourrir,

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