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Donnez à cette terre trois labours profonds qui la rendent bien meuble & bien unie, quoiqu'un peu en talus, pour faciliter l'écoulement de l'eau quand il en fera temps. Le dernier labour fe fera au commencement d'Avril, qui eft le temps de femer le Ris; vous le laifferez tremper dans l'eau pendant vingt-quatre heures, & vous le femerez tout humide: auffi-tôt vous y ferez entrer l'eau du ruiffeau ou canal, & vous en couvrirez toute la terre enfemencée à la hauteur de deux doigts pendant environ cinq mois entiers: quand vous verrez l'herbe s'y former en épi, comme elle fleurit & graine en peu de temps, vous redoublerez l'eau pour empêcher que le grain ne foit mêlé & gâté.

On en fait la récolte au commencement de Septembre, cinq mois après qu'on l'a femé: il faut faire écouler l'eau quelques jours avant de le cueillir, pour que le Champ féche. De cette maniere vous aurez quantité de Ris, & vous pourrez y en mettre trois années de fuite fans laiffer repofer la terre; la derniere récolte n'en fera pas moins abondante que la premiere, & le Champ n'en fera que plus gras & plus net de toutes herbes & infectes: vous pourrez même y femer enfuite du Froment ou du Méteil pendant deux ou trois ans de fuite, & le Bled ne laiffera pas que d'y venir fort & grenu.

Du Tabac.

Le Tabac eft une Plante fi ufuelle, que tout le monde la connoît & en prend ou par le nez, foit en feuilles, foit rapé, foit en poudre, ou en fumée ou en machicatoire. La Nature n'a jamais rien produit dont l'ufage fe foit étendu fi univerfellement & fi rapidement, & cette Plante eft trop a la mode en France, à prefent plus que jamais, pour qu'on ne me pardonne pas la petite digreffion que je vais faire pour apprendre l'Hiftoire de fa déCouverte à ceux qui ne la fçavent pas.

Hiftoire de la découverte du Tabac. Il ne doit fon merite ou fa vogue qu'aux Européans: ce n'a été qu'une fimple production fauvage d'un petit canton de l'Amerique jufques vers 1560, que les Espagnols & nommément Fernandez de Tolede, s'aviferent d'en envoyer en Efpagne & en Portugal. M. Nicot Ambassadeur de France dans la derniere de ces deux Monarchies, fit mettre dans fon Jardin un effai de cette Plante étrangere, qu'un Gentilhomme Garde des Chartres de Portugal lui avoit donné; elle y crût & multiplia : un Page de l'Ambaffadeur en ayant par hazard appliqué le jus & le marc fur un ulcere malin qu'un de fes parens avoit au nez, le Tabac opera fi bien, que fous les yeux de l'Ambaffadeur qui en fut averti, & des Medecins du Roi de Portugal qu'il fit auffi avertir, le Noli me tangere (c'est le nom de l'ulcere) guérit parfaitement en dix jours: quelque temps après un Cuifinier du même Ambaffadeur qui s'étoit coupé le pouce, s'étant rétabli cinq ou fix appareils de Tabac; & vingt jours enfuite le pere d'un autre Page du même Miniftre s'étant auffi guéri en dix jours par le Tabac un ulcere qu'il avoit à la jambe depuis deux ans ; le fils d'un Capitaine guéri des écroüelles par le même reméde, tous ces effais fuivis de quelques autres accréditérent le Tabac fi vîte & fi bien, qu'on ne parloit plus que de l'herbe de l'Ambaffadeur; c'eft de là qu'elle a pris les trois principaux noms qu'elle a encore; Tabac de Tabaco, nom du Païs où on l'a d'abord prife; Nicotiane,

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du nom de l'Ambaffadeur qui l'a fait connoître; & Petun, parce que les Naturels de l'Amerique l'appelloient ainfi. Le merite & la Plante du Tabac. furent bien-tôt connus de toute l'Europe; & à l'envie de l'Ambassadeur, Grand Prieur à qui il en avoit presenté à fon arrivée dans Lifbonne, la Reine: Caterine de Médicis à qui il en envoya en France, le Cardinal de SainteCroix Nonce en Portugal, & Nicolas Tournabon Legat en France qui en eurent auffi des premiers, firent appeller le Tabac chacun de leur nom herbe an Grand Prieur, herbe à la Reine, herbe de Sainte-Croix, & de Tournabon. Les Sçavans même trouverent dogmatiquement que le mot Ameriquain de Petun, qu'ils latiniferent en Petum, venoit d'un mot grec qui fignifie étendre, parce que les feuilles du Tabac s'étendent beaucoup.

Le Pour le Contre du Tabac. Il a pourtant eu des Antagonistes auffibien que des Panégyriftes.

On nous dit d'un côté, que c'est le plus riche trèfor qui foit venu du Païs de l'or; qu'il réunit en foi ce que les autres Plantes n'ont que séparé; que la Nature en ayant fait un miracle, elle ne devoit pas le cacher pendant fix mille ans à la plus belle partie du monde qu'elle fut injufte de le releguer fi longtemps parmi les Sauvages & les Barbares, & d'être moins indulgente pour nous que pour eux, & qu'enfin le Tabac marque fi bien fa puiffance, qu'étant réduit. en poudre & en fumée, il garde encore tout fon prix & fa force.

On nous crie au contraire, pour le Parti ennemi du Tabac, que si on: le prend par le nez on fe gate l'odorat & la memoire; & que pris par la bonche, il dérange le cerveau & noircit le crâne : qu' Amurat quatrième Empereur des Turcs, le Grand Duc de Mofcovie & le Roi de Perfe en défendirent l'usage à leurs Sujets fous peine de la vie, ou du moins d'avoir le nez coupé ; qu'un fçavant Roi d'Angleterre ( Jacques Stuart) un des plus fameux Medecins du Siecle prefent (M. Fagon) ont écrit contre l'usage du Tabac. La chaleur des Partis a été jufqu'au point de difputer à M. Nicot la gloire de l'avoir donné à la France; pour cela on a écrit qu'il étoit originaire d'Europe, & qu'avant la découverte du nouveau Monde, on en trouva diverfes Plantes dans les Ardennes pour le rendre au contraire à l'Amerique, refpectueufement & fans démentir ce qu'on dit des Ardennes, on a ofé écrire que les vents en avoient pû apporter la femence d'Amerique en Europe, & juftement dans les Ardennes. Mais ce qu'il y a de plus certain, eft que le Tabac a toûjours été appellé, & le fera apparemment toûjours, Nicotiane, & qu'il eft en vogue plus que jamais; c'est pourquoi je parlerai de la figure de cette Plante avant que d'en enfeigner la culture, pour que ceux qui ne le connoiffent que dans leur Tabatiere ou en corde, en foient mieux inftruits.

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Efpeces. Il y a trois fortes de Tabac, le mâle, la femelle ou le møïen, & le petit ; mais il n'y a d'autre difference que celle du volume & de la force de la Plante.

Defcription. Elle croît non feulement aux Indes, mais encore dans toute l'Europe. Elle a la tige fort droite, groffe, velue & vifqueufe; les feuilles larges & longues, vertes, tirant fur le jaune, de bonne odeur, d'un goût âcre, un peu velues, douces, vifqueufes & chargées de filamens qui font les côtes du Tabac. Les feuilles font beaucoup plus grandes & en plus grand nombre au bas de la tige qu'au haut; & plus elle monte, plus elles deviennent

petites & moins frequentes. La Plante eft toute en feuilles & affez baffe, avant de monter en tige; mais en s'élevant elle jette beaucoup de feuilles; & des nœuds qu'elle forme de demi-pied en demi-pied, fortent des branches dont il y en a qui viennent auffi longues que le bras. Elle croît à la hauteur de quatre ou cinq pieds, & jufqu'à quatre & cinq coudées lorfqu'elle eft femée en terre graffe & chaude, & qu'on la cultive avec foins. Au haut de fes branches naît fa fleur qui eft prefque femblable à celle de la Nielle des Jardins, de couleur blanchâtre & incarnadine, en forme de clochette, qui fort d'une coffe ou capfule femblable à un petit gibelet; fi-tôt que fa fleur eft paffée, cette capfule s'arrondit & s'emplit de graines fort menues, noires quand elles font mûres, & vertes quand elles ne le font pas encore.

Dans les Climats chauds, le Tabac porte feüilles, fleurs & graines en même temps, pendant neuf ou dix mois de l'année ; il jette fort par le pied & fe renouvelle par quantité de jettons & de boutures: fes racines ne font pourtant qu'un petit amas de filets fort déliez, mêlez de quelques-uns un peu plus gros, mais fort courts pour la hauteur de la Plante: fes feuilles & les racines rendent un jus gluant & refineux, tirant fur le jaune, dont l'odeur eft approchante de la refine & non defagreable, & la faveur aiguë & âcre; ce qui prouve que le Tabac eft fec & chaud.

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Culture. Il demande une terre graffe & humide, bien expofée au Midi, bien labourée & amandée par beaucoup de fumier bien confommé. Le Tabac vient infiniment mieux dans une terre un peu fpacieuse, fur-tout quand il y a un mur qui lui renvoye la chaleur du Midi & qui le garantit des vents dont celui de Bife eft le plus à craindre pour une Plante qui a de racines pour fa hauteur. On doit l'arrofer quand le temps fe porte au fec; & comme elle craint fort le froid, il faut l'en garantir l'Hyver par des nattes, des paillaffons ou autrement; du moins ce font les précautions que prennent ceux qui cultivent curieufement dans leurs Jardins cette Plante exotique; mais on n'y fait pas ces façons en plein-Champ, & l'experience apprend qu'elle ne demande pas tant de ménagement.

Le temps de le femer en ce Païs, eft au commencement d'Avril; les Indiens & les Efpagnols le fement en Automne, ou en Août auplûtôt.

Pour cela, faites un trou en terre avec le doigt & de fa longueur; jettezy dix ou douze grains de Tabac, & recouvrez le trou; ils font fi menus que la terre les étoufferoit s'il n'y en avoit que trois ou quatre: s'il fait fec, arrofez-le legérement au bout de quinze jours. On peut le femer à la main en mêlant la graine avec de la terre & un peu de cendres : il eft long-temps à lever; auffi-tôt qu'il le fera, il faut le couvrir la nuit pour le défendre du froid, & continuer ainfi jufqu'à ce que l'herbe ait quelque force, afin qu'elle foit toûjours verte & belle.

Quand elle fera bien levée & forte, comme il y aura autant de tiges que de grains reffufcitez, & que leurs racines font mêlées les unes parmi les autres, ce qui fait qu'elles s'étoufferoient dans la fuite fi on ne les féparoit; il faut, avec un grand coûteau, faire un cerne en terre à l'entour de cette touffe de Plantes, l'enlever en motte & la jetter dans un baquet plein d'eau, afin que la terre s'en féparant, les petites tiges reftent feules audeffus de l'eau; vous les prendrez doucement l'une après l'autre fans rien

rompre, vous les envelopperez féparément dans de la terre mere, que vous prendrez de la motte ou du trou où elles font nées, & vous les tranfplanterez à trois pieds du mur, & à quatre pieds l'une de l'autre. Si la terre où vous les mettrez n'étoit pas fi bonne que l'autre, il faudra la rendre femblable par les amandemens, & fecourir les tiges tranfplantées par de frequens arrofemens, jufqu'à ce qu'il foit temps, de les cueillir après qu'elles auront fleuri & grainé.

On ne cultive guere le Tabac que pour avoir fes feuilles. On choifit les belles & les médiocres; on les enfile ensemble, & on les pend à l'ombre à quelque plancher pour les faire fecher & les garder; il ne faut jamais les faire fecher au Soleil, au vent ni au feu. On en conferve proprement la graine jufqu'au mois d'Avril fuivant, qu'il faudra la femer; car le Tabac n'eft point une Plante vivace, elle meurt tous les ans, après qu'elle a donné fa production & fa graine.

Dans les Indes, on prépare un quarré de terre bien expofé au Soleil, & on y plante la femence de Tabac: on arrofe tous les jours ce quarré, on le couvre pendant l'ardeur du Soleil, foit de feuilles, paillaffons ou branchages, & on le découvre pendant la nuit afin que la rofée l'humecte. Quand il ne fait point de Soleil & qu'il ne pleut pas, on l'arrofe tout de même. Cette femence étant levée hors de terre, elle forme une petite tige comme la laituë; on la transplante de même que cette Plante potagere, & on met les Plantes de Tabac à trois pieds l'un de l'autre : on n'y doit point fouffrir de Plantes étrangeres. Lorfque les feuilles font devenus grandes & qu'elles fe caffent quand on y touche, c'eft une, marque que le Tabac eft mûr : alors il faut le couper & le laiffer deux ou trois heures au Soleil, puis amaffer toutes les Plantes deux à deux pour les pendre à des perches, jufqu'à cinq étages les unes fur les autres, dans des loges qui font feulement couvertes, de peur que le Tabac ne foit moüillé; mais ouvertes de toutes parts, afin que l'air y puiffe mieux entrer, & de crainte que le Tabac ne s'échauffe & ne pouriffe.

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Avant le levé du Soleil on dépend ces perches, afin de tenir les feuilles du Tabac fouples qu'elles ne caffent pas & ne deviennent point en poudre, & on en tire toutes les jambes. Quand il eft fec, on met toutes les feuilles enfemble en paquet ; avant que de le corder, on les laiffe tremper dans l'eau de la Mer, & on les tord après qu'elles y ont trempé.

Au reste, il eft défendu en France d'y en cultiver ; e'eft pourquoi je n'en parlerai point davantage, d'autant que le refte n'a rien d'effentiel & que tout le monde ne falle aifément, quoique chacun le faffe à fa mode.

CHAPITRE

CHAPITRE IX.

Du Pakel & de la Voüede, de la Gaude, de la Garance
& du Chardon de Bonnetier.

ES quatre premieres de ces cinq Plantes font neceffaires aux Teinturiers. L teindre leurs étoffes, & èlles font de grand profit; la derniere fert pour aux Drapiers Drapans, & aux Bonnetiers.

Du Paftel..

I. Le Paftel, qu'on nomme autrement Guefde, eft une herbe qui vient:: de graine qu'on feme tous les ans, & qu'on cultive à caufe de fes feuilles dont on fait trois, quatre, & en quelques endroits jufqu'à fept récoltes par an. Etans apprêtées, elles font d'un grand ufage dans les teintures, pour préparer les étoffes à recevoir toutes les autres couleurs & en augmenter le luftre & la durée: elles leur donnent d'abord la teinture bleue; mais une forte couleur de Paftel eft quafi noire, & c'eft la bafe de tant de fortes de couleurs, que les Teinturiers ont une certaine échelle ou nombre d'étages avec laquelle ils comptent la clarté & la profondeur de cette couleur. On donne auffi le nom d'Inde à la couleur qui fert aux Peintres, qui fé fait de l'écume du Paftel, que les Teinturiers tirent. Les anciens Bretons fe peignoient le vifage de Paftel, pour être plus terribles en guerre.

Defcription. Le Paftel a les feuilles prefque femblables au Plantain. Le meilleur a la feuille unie & fans poil, & c'est le veritable Paftel: le mauvais, qu'on appelle Paftel bârard, Pastel-bourg ou Bourdaigne, a la feüille velue; le petit Paftel eft celui de la quatrième ou cinquième récolte, & quand on en fait davantage, le Paftel de la derniere récolte s'appelle Marouchin. Le plus vieux Pastel eft le meilleur, plufieurs le confondent avec le Paftel d'Inde qui eft l'Indigo; mais le dernier eft d'une valeur & d'une vertu bien fupérieure. Il eft pourtant de même nature que nôtre Pastel, avec cette difference que celui-ci est toute la fubftance de l'herbe, au-lieu que l'Indigo n'en eft que le jus ou la lie farineufe féchée au Soleil, qu'on forme en tablettes ou en boules. On cultive beaucoup de Paftel dans tout le Languedoc, & il y eft d'un grand produit.

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Culture. Il vient de graine & on le féme tous les ans. On le plante plûtôt dans les terres fortes, fubftancielles & plaines de fels que dans celles qui font legéres ou fablonneufes: On le féme au mois de Mars; & pour le faire multiplier en abondance, il n'y auroit qu'à le mettre dans une terre qui auroit été en repos trois ou quatre ans ; les terres Novales, celles où l'on auroit femé du Treffle, qu'on auroit laiffé deux ans en Pré, y font merveille.

Mais fi la terre n'eft pas telle, il faut toûjours choifir la meilleure qu'onaura, lui donner au moins deux labours, & la bien amander avant que de

la femer.

Les terres graffes produisent beaucoup plus de Paftel; mais celui qui vient G.Ggg..

Tome I.

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