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Du Porc falé.

On fuppofe qu'on ait chez foi un ou deux Porcs affez gros & gras pour être tuez. Ces animaux étant égorgez, on les pofe à bas fur des buches, puis on les couvre de paille qu'on allume pour brûler leur foye; les uns les lavent lorfque ces foyes font brûlées, & les autres râtiffent leur peau feulement avec des coûteaux ; en d'autres endroits on péle le Cochon dans l'eau boüllante; tout cela eft égal, fi ce n'eft que le Cochon qu'on lave a la chair plus blanche, au lieu que celui qui eft brûlé, l'a plus ferme & plus fucculente.

Le Porc étant ainfi accommodé, on l'ouvre, les uns par le dos, & les autres par le ventre, pour en tirer les entrailles, qui fervent avec le fang, à faire du boudin, des andouilles ou des fauciffes.

Après qu'on a un peu laiffé évaporer la plus grande humidité de la chair, on le coupe par morceaux pour le faler; quand la chair de Porc eft reffuyée, elle en prend fel beaucoup mieux que lorfqu'elle eft mouillée, & elle en a plus, de goût.

Avant que de faler le Porc, il faut avoir fon Saloir tout prêt, il doit être de bon chêne ou autre bois dur & fans aubier; une futaille à vin feroit un bois tout éprouvé & bon, pourvû qu'elle ne fente point le moifi. Le Saloir fera entourré de bons cercles, pour que la faumure ne fe perde point; quelquesuns même garniffent le fond en dehors de poix noire qu'ils y font fondre tout autour du jable, de l'épaiffeur d'un écu & de la largeur de deux doigts; le couvercle fermera à clef & joindra fi bien, que la chair ne puiffe s'éventer & perdre fon goût. Avant que de la faler, on jettera dans le Saloir de l'eau chaude, dont on le lavera avec du thim, de la lavande ou de la marjolaine, en le frottant bien fort de tous côtez. Enfuite on laiffera un peu hâler le Saloir, & pendant ce temps-là, on prendra une brique qu'on fera rougir au feu; quand elle fera rouge, on la mettra dans le fond du Saloir für une autre brique froide ou fur une pierre; on y jettera deux mufcades rapées ; cela produira d'abord une fumée épaiffe qu'il ne faut pas laiffer évaporer; au contraire, auffi-tôt les mufcades répandues fur cette brique, on fermera & bouchera fi bien le Saloir, que la fumée n'en puiffe fortir. Certe vapeur qu'on y ziendra renfermée environ une heure, aura le temps de pénétrer dans le bois du Saloir, & la 'chair qu'on y mettra en prendra tout le goût en peu de

temps.

Après qu'on a parfumé le Saloir, on l'ouvre pour y pofer la chair dans cet ordre d'abord on en garnit le fond d'autant de fel qu'on le juge à propos, mais toujours plus que moins; enfuite on y étend le lard, dont on fait un premier lit; fur ce lit on jette encore du fel, puis on fait un fecond lit de lard, & ainfi fucceffivement, jufqu'à ce qu'il n'y en ait plus; enfuite viennent les jambons, puis les autres pieces qui font les plus en chair, dont on fait toûjours des lits fucceffivement, de la largeur du Saloir, en falant chaque lit de maniere qu'il n'y ait pas une piece qui n'ait bien du fel. A la fin on place les échignées, les oreilles, les têtes & tout le refte des pieces où il y a le plus d'os, continuant ainfi jufqu'à ce que tout le Porc foit falé; & le tout arrangé, on couvre le Saloir, & on bouche le mieux qu'il fe peut le

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tour du couvercle: on le gardera quinze jours fans l'ouvrir, afin que la chair ayant pris fel, elle ne foit plus fujette à l'évent quand on l'ouvrira.

Le Saloir doit être gardé dans un lieu frais, & il faut écrafer le fel avant de le répandre fur le Porc, ne pas craindre d'en trop mettre, parce que la chair de Porc ne prend jamais plus de fel qu'il ne lui en faut plufieurs y mêlent du poivre; mais il ne fait que jaunir la chair.

D'autres falent le Cochon de cette maniere. Ils prennent une grande table longue, faite exprès, & bordée tout autour d'une tringle haute de quatre doigts. Le Cochon étant coupé par morceaux à l'ordinaire, on les prend tous les uns après les autres; on les frotte de fel avec la main, de maniere qu'il n'y en ait pas le moindre petit endroit qui n'en foit garni; & à mefure qu'on le fale piece par piece, on les arrange fur la table, ferrées l'une contre l'autre, & entallées par lits le plus qu'il eft poffible.

Cela fait, on laiffe ainfi cette chair pendant huit jours, aprés quoi on la leve pour mettre deffous les pieces de Cochon qui étoient deffus, après avoir encore froté de fel les endroits ou l'on juge n'y en avoir pas fuffifamment; on dérange ainfi cette viande jufqu'à ce que le lard paroiffe luifant, ce qui eft une marque que le fel a affez agi pour l'empêcher de fe corrompre. On leve donc tout ce Cochon de deffus la table, & le prenant piece par piece, on le bat avec un bâton pour en ôter le fel fuperflu, puis on attache ce falé à un ratelier fait exprès & dans un endroit commode, à l'abri de la chaleur : le falé s'y conferve fans le gâter. C'est ainfi que les Chaircutiers falent le Cochon à Paris; mais cela n'eft bon que pour le falé qu'on veut débiter promptement: il peut bien fe garder fi on le met enfumer à la cheminée, autrement un ménage n'y trouve pas fon compte.

Voici encore une autre maniere de faler le Cochon : otez en tout le dedans, levez-en les jambons, les épaules, la tête & les autres gros morceaux qu'on a coûtume de féparer du refte du corps; fendez enfuite tout le refte en deux parties feulement, falez-les bien, & paffez deffus un rouleau à force de bras pour faire pénétrer le fel. Il faut s'y reprendre à deux ou trois fois & de deux jours en deux jours; enfuite on pend le falé au plancher, & on fale de même les pieces qu'on a levées. Le Cochon falé de cette forte ne fe conferve pas long-temps.

En quelques endroits, fur tout dans ceux où on ne fe fert que de fel blanc qui fale bien moins que le gris, un mois après avoir falé un Cochon, on retire toutes les pieces du Saloir, & on les attache à des perches qui font mifes de travers, en dedans de la cheminée, quatre doigts feulement plus haut que le manteau, afin d'y faire parfumer la chair, qu'on ne fait que laver quand on la tire de ces perches pour la mettre au pot.

Le Porc falé avec du fel blanc, fe gâte dans le faloir quand on l'y laiffe plus de fix femaines d'autres le mangent tout frais fortant du Saloir : à l'égard des Jambons il faut toûjours les mettre à la cheminée & les envelopper de papier. Bien des Païfans pendent le falé au plancher pour qu'il fe refluye, ils prétendent qu'il en jaunit moins.

Qu'on obferve fur tout, de ne jamais faler du Porc dans un faloir où l'on aura falé du Boeuf, car la chair de Porc s'y empuantit en peu de temps. Le temps de faler le Porc eft depuis la faint Martin jufqu'au Carnaval, & quand la pro

vilon en manque avant ce temps, on tuë quelque petit Cochon la faint Martin.

Du Sain-doux & du Vieux- oing.

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Le Sain- doux n'eft autre chofe que la graiffe de Porc fondue; on s'en fert à bien des chofes dans le ménage ; on en fait des ragoûts, des baignets, de la friture, de la pâtifferie, du vieux-oing quand il ne vaut plus rien en Saindoux, & il eft d'un grand fecours contre bien des maux, aux hommes & aux animaux.

Pour le faire on prend toute la graiffe du Porc qu'on a tué, après qu'on en a fourni le boudin de ce qu'on en a jugé à propos. On la met en petits morceaux, puis on la jette dans une poële fur un feu clair pour la faire fondre; tandis qu'elle eft fur ce feu, on la preffe avec une écumoire, pour tirer toute la graille des cartilages, & à mesure qu'elle fe fond on la verfe dans un pot bien net pour la garder & s'en fervir dans le befoin; plus il eft blanc, plus il est estimé.

A l'égard du Vieux-oing, qui fert à frotter les effieux des rouës,il ne faut point le faire fondre, mais prendre une panne de Porc, la bien battre fur un billot avec un gros bâton, tant qu'il foit réduit comme une efpece de pâte, puis on en fait un pain qu'on enveloppe de veffie de Cochon, & on le met en lieu frais pour le conferver.

De la Saumure.

Quand on a tiré toute la chair du Saloir, il y refte la Saumûre qui eft un jus liquide compofé de jus de chair & de fel: on l'employe à deux usages, 1. à faler le pot fur-tout celui des Domestiques, 2°. à faler la chair des Cochons; les Chaircuitiers appellent Saumûre vive celle qui tombe du preffoir où leur lard eft fallé, & Saumûre boüillie celle qu'ils ont fait bouillir pour en faler des chairs qu'on voudra manger promptement; car les viandes falées de Saumûre ne gardent point leur fei : & avant que d'employer la Saumûre une feconde fois il faut la faire bouillir dans de l'eau de fontaine, on l'écumera exactement, & quand elle fera clarifiée fur le feu, on la laiffera refroidir dans une terrine bien propre.

Du Bœuf falé.

Les côtes, l'aloyau, & généralement tous les morceaux où il y a bien des os, ne font point propres à faler; on prend pour cela de la cuiffe & autres endroits charnus.

On aura, ou un Saloir qui ne fervira qu'à cela, ou de grandes terrines, dans lesquelles on falera le Bœuf, qu'on coupera par tranches, & qu'on pofera par lits dans ces terrines, ou dans ce Saloir. On fale le Bœuf à la fin de l'Hyver & au commencement de l'Autonne. La maniere de le faler, eft la même que celle du Porc, finon qu'il n'y faut pas mettre trop de fel, car le Porc n'en prend jamais plus qu'il ne lui en faut, au lieu que le Bouf s'en laiffe pénétrer tant qu'on lui en donne. D'autres falent le Boeuf en mettant les pieces l'une après l'autre avec une quantité fuffifante de fel, dans un fac que deux hommes tiennent par les deux bouts, & le fecoüent jufqu'à ce que la chair ait pris fel. Le Bœuf ne fe conferve pas plus de quinze jours dans le faloir; mais

pour le

garder plus long-temps, on le tire au bout de la quinzaine, on l'étale fur des planches où on le laiffe fe reffuyer pendant un jour ou deux, après quoi on le remet dans le Saloir, faupoudré de fel comme auparavant. On l'y laiffe pendant cinq ou fix jours, au bout defquels on le tire & on l'étale de nouveau comme la premiere fois, foignant de temps en temps de le tourner deffus deffous, jufqu'à ce qu'il foit fec.

Cette chair ainfi préparée se pend à un plancher, pour en prendre lorsqu'on en a befoin; elle dure long-temps, mais elle n'eft jamais fi agréable au goût, que lorfqu'elle eft prife fraîchement. La chair de Bœuf un peu mortifiée prend mieux le fel, & eft moins fujette à fe gâter, parce qu'elle a moins d'humidité. Si c'est un Taureau qu'on tue, il faut pour être gras qu'il ait été châtré fix mois auparavant. Quelquefois au lieu de Boeuf on fale une Vache graffe, dont on fait manger aux Domestiques ce qui n'est pas propre à être falé.

Au refte on ne prend pour faler, que les vieux beftiaux dont on ne peut plus tirer d'autre profit.

Pour conferver la viande trois ou quatre jours en Eté fans la faler, il la faut faire un peu cuire, & la mettre dans un tas de farine; quand on la veut manger, il n'y a qu'à la layer & la faire achever de cuire.

La graiffe de Boeuf ou Vache eft utile à bien des choses; on en fait de très-bon fuif, lorsqu'il eft mêlé avec celui de Mouton, de Bouc ou de Chévre ; & les peaux n'en doivent pas être laiffées à la portée des Chiens, des Chats, ni des Souris.

Du Bouc & des Chèvres falez.

On les tue au mois d'Octobre, parce que leurs peaux font alors plus cheres qu'en Hyver; on ne prend que celles de ces animaux qui font charnues.

Avant que de les faler, on leur ôte toute leur graiffe, qu'on fait fondre pour faire du fuif; c'est celui qui fait la plus belle & la meilleure chandelle.

On les fale tout comme le Porc, hormis qu'il n'en faut pas laiffer refroidir la chair qui ne perd le fel que quand elle eft chaude.

On ne fale jamais de Bouc, qu'il n'ait été châtré fix mois auparavant, pour qu'il engraiffe. Leurs peaux, lorfqu'elles font bien paffées, fervent à faire des gands, des culottes, & le refte; en Languedoc ou en Provence, ils s'en fervent en guife de barique, pour tranfporter leur huile en d'autres Provinces.

Cette chaire eft groffiere, mais bonne & nourriffante pour les Domeftiques..

Oyes falées.

Ayez des Oyes bien graffes, parce qu'il n'y a que la graiffe qui donne du goût à la chair de ces animaux; plumez-les & les vuidez proprement, enfuite coupezles par quartiers, puis ayez un pot de gray, falez-y vos quartiers d'Oye, ainfi qu'on fait pour le Cochon, fans néanmoins y mettre tant de fel, car la chair d'Oye n'eft pas fi graffe ni fi épaiffe; enfuite bouchez bien ce pot jufqu'à ce que la chair ait pris fel, puis fervez vous- en au befoin; avant que de faler les quartiers d'Oye, il faut les laiffer mortifier deux ou trois jours, la chair en eft plus tendre. Dans les païs ou les Oyes font communes, comme à Bayonne, on ne fale que les cuiffes pour cela on fait rotir les Oyes à la broche à l'ordinaire; quand elles font cuites, on léve les cuiffes & on les met dans un pot de gray, ou autre vaiffeau, avec la même graiffe & jus qu'ils ont jetté en cuifant, on les fale à dif

crétion

crétion, & ayant foin que les cuiffes foient couvertes de graiffes & que le vail feau foit bien bouché; c'eft une bonne provifion pour une maifon : ce font ordinairement les Rotiffeurs du païs qui font ce commerce; cela fe garde cinq ou fix mois, c'est-à-dire pendant tout l'Hyver

Menues Provifions.

Nous n'entrerons pas ici dans le détail des autres provifions néceffaires au ménage, nous en parlerons ailleurs, & elles dépendent la plupart de la prudence de la Maîtreffe; telles font les provifions d'œufs, de beurre-frais, falé & fondu ; de légumes, de fromages (toutes chofes qu'on a ordinairement chez foi à la Campagne) de fruits, de confitures feches & liquides, au fucre & au miel; & de liqueurs ; de fucre & d'épicerie; de fuif, chandelles & huiles, tant d'olive. de navettes & noix, de bois, foin, avoine, pailles & fourages, de poids, que haricots fecs & verds, de féves, millet, ris, panis, orge-mondé & gruau, de harangs & morues pour le Carême, d'artichaux & chanípignons fecs, concombres, pourpier confis au vinaigre & verjus & autres menues provifions, dont l'amas fait également honneur & profit aux Maîtres qui les fçavent faire dans les faifons convenables.

Quant au fel, tout le monde fçait que le fel blanc eft beaucoup plus propre & plus ragoûtant que le fel gris ; c'eft pourquoi on ne fert que du premier fur les bonnes tables; mais auffi il fale un bon tiers moins que le fel gris. Au refte pour du fel gris en faire du blanc, il n'y a qu'à le faire fécher au four ou fur une pêle rougie au feu: ou bien quand on veut faire du fel blanc en quantité, mettez fondre du fel gris dans de l'eau claire, puis filtrez-le en trempant des lizieres de drap dans cette faumure, en forte qu'un bout du drap forte & pende en-dehors du vaiffeau où fera la faumure, la lifiere attirera toute l'eau falée jufqu'a la derniere goute; ou bien vous la coulerez dans une chauffe à hipocras, ou du moins à travers d'un papier brouillard pour ôter les ordures & la bouë du fel, qui par-là diminuera beaucoup de fon poids : l'eau étant ainfi coulée, vous la mettrez dans un chaudron für le feu, vous l'y ferez bouillir jufqu'à ce qu'elle revienne en fel, ayant foin de la remuer fouvent fur la fin, de peur que le fel ne s'attache au chaudron; quand le fel fera fec vous le mettrez dans la chauffe d'hipocras le long du feu avec un vaifleau deffous pour en recevoir les égoutures; & quand il ne diftillera plus vous le retirerez de la chausse ferrer dans des boetes en un lieu fec, ou bien fi vous mettez ce fel tout en fortant du chaudron dans des pots de terre qui ayent un trou au bas, tels que font ceux à mouler les pains de fucre, il fe mettra en pain très-propre à prefenter par tout quand il eft proprement fait & bien blanc.

pour

le

Nous ne parlerons pas du linge qu'il faut toûjours avoir le plus en abondance qu'on pourra, le bien entretenir, l'augmenter tous les ans par quelque achat ou par l'emploi du chanvre & du lin que l'on doit dépoüiller, filler & mettre en œuvre chez foi, ou par fes Païfans ; & n'en avoir en voye qu'une certaine quantité confiée par compte à un domestique.

Nous ne dirons rien non plus des meubles & des habits que chacun tionnera à fon bien; on les confervera en veillant fur les Domeftiques, ou en proporM.

Tome I

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