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textes dans leur entier, pensant avec raison qu'il aimerait mieux la parole d'un saint que la mienne. J'ai dit qu'il ne fallait négliger aucun des auteurs sacrés ; il faut aussi apporter indifféremment les sentences les plus utiles de tous les Pères, et ne pas s'attacher à un seul, commc si la doctrine de l'Eglise ne se rencontrait que dans celui-là. J'ai dit qu'il fallait prévenir son auditeur sur l'autorité d'un auteur sacré, avant de le citer. Il faut prévenir sur celles des Pères lorsqu'on les cite, dire, par exemple, s'il s'agissait de la grâce: Celui de toùs les Pères qui a le mieux connu les mystères profonds de la grâce de Jésus-Christ, c'est saint Augustin, Dieu l'a suscité, etc. Or voici comme ce Père s'explique, etc. Je n'ai plus qu'une remarque à ajouter à ce point qui concerne les Pères, c'est qu'ils sont les seuls avec les auteurs sacrés qu'on cite en chaire ; on n'y cite pas les théologiens nommément, excepté saint Thomas et saint Bonaventure; on n'y cite pas des auteurs profanes, même en général, sinon dans quelques occasions, où on montre, pour confondre les chrétiens, ce que les païens ont pensé sur la matière qu'on traite.

De l'usage des exemples et de la raison.

VII. A l'autorité des Pères, des Conciles, et de l'Ecriture sainte, on joint les similitudes, l'usage en est très-fréquent dans les auteurs sacrés; Jésus-Christ n'instruisait les peuples que par dés páraboles et des similitudes prises des choses les plus obvies, des filets, des perles, des nôces, de la semence, etc. Saint Paul prouvait aux Corinthiens le droit qu'il avait de vivre aux dépens de ceux à qui il annonçait l'Evangile par ses comparaisons; quis militat suis stipendiis unquam ? quis plantat vineam, et de fructu ejus non edit? quis pascil gregem, de lacte gregis non manducat? Non-seulement il fait des comparaisons, mais il en cherche dans l'ancienne loi, et les applique à la nouvelle, en leur donnant un sens moral; nous en trouvons la preuve dans les paroles qui suivent celles que je viens de rapporter : Numquid secundùm hominem hæc non dicit ? scriptum est enim in lege Moïsi : non alligabis os bovi trituranti? numquid de bobus cura est Deo ?

an propter nos utique hoc dicit? Voilà l'usage des similitudes bien autorisé, il ne peut produire qu'un très-bon effet lorsqu'elles sont nobles, et ne renferment rien qui blesse les oreilles des auditeurs.

De l'usage des exemples dans l'Homélie.

VIII. J'en dis autant des exemples ; Jésus-Christ s'est servi de celui des Ninivites pour exhorter les Juifs à la pénitence ; saint Jacques s'est servi de celui de Job pour engager les fidèles à la patience; l'Apôtre saint Pierre s'est servi de celui de Sara, pour inspirer aux épouses chrétiennes un esprit de soumission envers leur mari; l'Esprit saint n'a fait recueillir ceux des saints, qu'afin de les transmettre à la postérité, comme un moyen excellent d'encourager à la vertu ; ut posteris daretur exemplum (1). Il est donc permis de se servir d'exemples, et les omettre, ce serait aller directement contre l'intention de Dieu et de l'Eglise; mais quels sont ceux dont il est à propos de se servir ? ceux qui sont contenus dans les livres saints, ceux que les bons auteurs ecclésiastiques ont rapportés comme certains, et non ceux qui sont douteux, ni ceux qui se lisent seulement dans des livres apocryphes, nì ceux qu'une critique judicieuse retranche de l'histoire. Je dis une critique judicieuse, et non pas une critique ennemie de la grâce et de la divinité de la religion, qui voudrait ravir à la grâce ses conquêtes, et à la religion ses miracles. C'est sur ces principes que je n'ai pas hésité à rapporter l'exemple d'un Charles-Quint renonçant au monde pour vivre dans la solitude, et plusieurs tirés des Pères du désert, dont je me suis assuré par la lecture des originaux.

De l'usage de la raison.

IX. Enfin, à ces sortes de preuves on peut joindre les raisons naturelles et surnaturelles, c'est-à-dire, celles que fournit la lumière naturelle, celles qui se déduisent des Principes

(1) Tob. 2.

révélés, celles qui se tirent de la définition de la chose, de sa division, de l'énumération de ses parties, de ses effets et de sa description. La description, ou le portrait d'un vice peut avoir son avantage; mais pour cela il faut que la charité le trace, qu'il y entre plus de compassion que d'invectives, et que les originaux ne soient reconnaissables qu'à eux-mêmes. Une chose qui révolterait les gens de bien, dit l'auteur du devoir des Curés, ce serait de voir le prédicateur venger ses injures personnelles, et fletrir par récrimination ceux qui l'ont injustement noirci. La chaire n'est pas faite pour ces apologies antichrétiennes. Prouver qu'on ne souffre que pour la justice, c'est ôter à la croix une partie et la plus grande partie de son amertume : le prouver en rendant malédiction pour malédiction, c'est trahir sa cause, et répandre des soupçons sur son innocence ; c'est donner prise à un ennemi puissant, qu'une multitude de langues serviles informeront de tout le moment d'après, et toujours en exagérant. J'ai connu un homme à qui ce malheur était arrivé; dès le jour même il fut regardé par ses propres amis comme une langue dangereuse. Vous prêchez la patience et l'amour de l'humiliation; efforcezvous de pratiquer l'une, et de vous faire à l'autre. Une conduite humble régulière, prévenante, sera votre plus sûre justification.

Reprenons tout ceci : les preuves que peut apporter le prédicateur en chaire, se tirent donc des descriptions de la chose, de ses effets, de l'énumération de ses parties, de sa division, de sa définition, des exemples, des comparaisons, des Conciles, des Pères, de l'Ecriture sainte ; que faire pour employer avec justesse ces différentes preuves? Il faut que le prédicateur ait dans l'esprit, d'une manière bien saine et bien nette, sa proposition principale qu'il doit prouver; qu'il forme en lui-même un raisonnement qu'on appelle syllogisme, qu'il s'assure de la vérité des prémisses, que la conclusion qu'il en tire soit évidemment déduite des deux premières propositions ; et qu'elle soit celle qu'il avait à prouver. Je dis qu'il forme en lui-même un syllogisme, parce qu'il doit rarement le proposer en chaire, et seulement dans les occasions où l'auditeur a autant besoin de conviction que de persuasion: alors on

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avance les trois propositions d'abord, ensuite on prouve la première, non pas dans le style scc ct aride de l'école, mais avec un style plein d'onction, et orné des figures de l'éloquence sacrée. Après avoir apporté ces preuves, on répète cette première proposition, à laquelle on joint immédiatement la seconde, qui se prouve par le même style que la précédente, et de-là on passe à la conclusion, à laquelle on donne aussi une juste étendue. En voici un exemple tiré de saint Chrysostome: après que ce saint docteur a rapporté et · expliqué l'histoire des Ninivites pour porter son auditeur à la pénitence, il conclut de ce ton persuasif : est-il donc possible que nous ne rougissions pas d'être surmontés en vertu par ces infidèles..... Dieu est en colère contre nous; et au lieu de chercher le moyen de l'apaiser, nous ne cherchons qu'un lieu de sûreté pour nos biens et pour nos personnes ; mais il n'y a point d'asile plus assuré que la vertu. . . . . vous ne sauriez vous proposer un plus bel exemple que celui des Ninivites : ils firent pénitence dans l'incertitude du pardon; car enfin la sentence qui leur fut prononcée, ne les assurait pas de l'impunité, en cas qu'ils se convertissent. Dans le doute si Dieu -userait envers eux de miséricorde, ils embrassent la pénitence, ils crient au Seigneur, sans savoir s'ils seraient écoutés, ils n'ont pas l'exemple d'autres Ninivites qui leur donne le courage de recourir à Dieu; ils n'ont nulle connaissance ni des Patriarches ni des Prophètes ; ils n'ont point de prédicateurs qui leur promettent leur grâce, s'ils réforment leurs mœurs. Pour vous, quelle raison pouvez-vous alléguér de votre paresse? vous défiez-vous de la bonté de Dieu après tant d'expériences ? la voix des Prophètes et des Apôtres ne frappe-t-elle pas encore vos oreilles ? d'où vient donc que votre vertu se laisse vaincre par celle des infidèles ? Voilà un modèle de conclusion auquel il n'y a rien à ajouter.

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X. Après la preuve suit le détail, ou la morale. C'est ici, dit un auteur qui a donné des maximes sur le ministère de la chaire, c'est ici la partie du sermon la plus intéressante, la plus utile, et celle d'où dépend le succès. Les discours vagues et généraux servent de peu, personne ne se les applique pour obliger l'auditeur sur ses devoirs et sur ses défauts,

montrez-lui sa conduite d'une manière vive et particulière. Si nos anciens ont négligé le détail, ce n'est pas faute de génie ; mais le goût n'était pas encore parvenu là.

La connaissance plus ou moins grande du cœur de l'homme, et l'art différent de le développer, font aujourd'hui la différence des prédicateurs et de leur succès.

Chacun peut faire cette étude en soi-même. Tous les hommes ont à peu près les mêmes affections, les mêmes scntiments; les uns en sont dominés, les autres y résistent; ces caractères peints sont des modèles à rejeter ou à suivre.

Il est dangereux de peindre le vice finement, trop de délicatesse lui laisse ses agréments, et la morale est alors unc tentation.

11 est moins permis de se négliger dans le détail que dans les principes; ici le prédicateur est soutenu par la dignité de la matière ; là il tombe s'il n'y descend finement, et le plus grossier des auditeurs voit son faible, peu disposé à le lui pardonner. Que d'art ne faut-il point pour ne mettre dans les moindres détails rien de petit, rien de rampant de peur qu'ils ne languissent, on en soutient la fin par quelque allusion de l'Ecriture. On ne doit pas insulter au pécheur, ni user de termes injurieux ou méprisants; l'amertume du zèle est défendue par l'Apôtre. Il faut gagner l'auditeur et non pas l'aigrir la colère dans l'orateur obscurcit les idées, et enveloppe la vérité. Le pécheur qu'on semble excuser, se condamne lui-même : saint Pierre diminue le déicide des juifs au moment qu'il le leur reproche.

La censure des vices ne doit pas désigner les personnes, la chaire n'attaque pas les particuliers: la morale poussée contre un emploi unique, serait injurieuse et téméraire. Quoique les vérités générales soient susceptibles de l'application aux particuliers, le prédicateur a droit de les dire; si l'auditeur les applique, c'est sa faute. Est-ce une raison de taire une vérité importante, de penser qu'il s'en fera des applications? le pécheur qui se condamne en secret, justifie la nécessité de la morale. Dans les invectives générales il faut toujours mettre quelques exceptions; les auditeurs s'y rangent, et croient que ce sont eux qu'on épargne ; rarement

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