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touchera pas le cœur ? Jésus-Christ savait bien que Judas ne reviendrait point de son égarement, et néanmoins il ne laisse pas de l'avertir, de l'exhorter, et d'essayer de le gagner par ses bienfaits; il en a usé ainsi, pour nous apprendre à faire tout ce qui dépend de nous, bien que nos avis ne dussent avoir aucun succès. Voilà la réfutation du premier prétexte.

Le second prétexte n'est pas mieux fondé que le précédent ; car premièrement, c'est une erreur grossière que de s'imaginer que des personnes soient assez instruites, parce qu'ils savent dire qu'il y a un Dieu en trois personnes, et que c'est le Fils de Dieu qui s'est fait homme. Il est certain qu'il y a beaucoup d'autres articles, soit dans le symbole, soit dans les commandements de Dieu; soit dans la doctrine des Sacrements, qu'un chrétien ne peut ignorer sans péché mortel, et dont la connaissance est nécessaire de nécessité de précepte. On ne doit donc pas se persuader que les fidèles soient assez instruits, s'ils ne savent toute la doctrine chrétienne, et les principaux points de la morale du christianisme, s'ils n'ont une connaissance de l'excellence des sacrements, et les dispositions nécessaires pour les bien recevoir, et qu'ils ne sachent la manière de recourir à Dieu par la prière.

De plus, un pasteur n'est-il pas indispensablement obligé à exhorter les fidèles à leur devoir, et les ànimer à la pratique des vertus chrétiennes ? Après leur avoir fait une exhortation sur un sujet, ne doit-il pas ausși traiter les autres ? et l'ayant fait une fois ou deux seulement, peut-il croire sans se tromper, que tous soient parfaitement instruits, touchés et convertis ?

Le défaut de talent n'est pas un prétexte plus plausible. Ayant du zèle, aimez le travail, soutenez vos discours par de grands exemples de vertu, vous réussirez suffisamment à annoncer la divine parole. Ainsi l'a pensé le saint Evêque de Genêve. J'ajoute, dit-il à un Evêque, ma très-humble supplication, que vous ne vous laissiez point emporter à mille sories de considérations qui vous puissent empêcher ou retarder de prêcher; plutôt vous commencerez, et plutôt vous réussirez: prêchez souvent, il n'y a que cela pour devenir maître : vous le pouvez, et vous le devez, Dicu le

veut, les hommes s'y attendent, c'est la gloire de Dieu, c'est votre salut..... Le cardinal Borromée, sans avoir la dixième partie des talents que vous avez, prêche, édifie, se fait saint..... il n'est rien d'impossible à l'amour. Notre Seigneur ne demande pas à saint Pierre: Es-tu savant, ́ou éloquent? pour lui dire : Repais mes brebis; pasce oves meas : mais m'aimes-tu ? amas me? il suffit de bien aimer pour bien dire. Ces remarques que je ne puis que respecter et adopter volontiers, parce qu'elles sont fondées sur la manière dont Jésus-Christ, les Apôtres et les Pères de l'Eglise ont enseigné, sont applicables non-seulement aux catéchismes, mais encore aux instructions sur les mystères, aux panégyriques, et surtout à l'homélie, puisque l'homélie, selon son exacte définition, est une explication simple et pieuse de chaque partie de l'Evangile ou de l'Epitre du jour.

De la simplicité de l'Homélie.

XVII. La simplicité, prenez-y garde cependant, n'exclut ni la solidité du discours, ni l'ordre de ses partics, ni l'exactitude du style', ni le pathétique, et l'onction essentielle à une instruction chrétienne.

Une homélie, comme tout autre discours évangélique, doit être solide, puisqu'elle doit éclairer l'esprit et toucher le cœur; or elle ne peut éclairer l'esprit et toucher le cœur, qu'elle ne soit soutenue de preuves convaincantes et persuasives. Ces preuves, je l'ai dit, se tirent d'abord de la partie de l'Evangile qu'on explique, puis des autres livres de la sainte Ecriture, des écrits des Pères, ete. Il faut donc pour faire une homélie solide, s'être nourri de l'étude des Ecritures saintes, posséder la doctrine des Pères et des Conciles, l'histoire de l'Eglise, etc.

Une homélie, comme tout autre discours, demande un ordre et un arrangement qui répande une vive lumière sur tout ce que doit dire le prédicateur: cet ordre est celui que présente l'Evangile, lors même qu'un autre paraîtrait plus naturel; par exemple, il est plus naturel de parler d'abord des principes de la foi, et ensuite de ses effets; cependant j'ai

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parlé dés effets avant de traiter des principes, parce que l'Evangile paraissait l'exiger : ce serait jeter la confusion dans l'esprit des auditeurs qui ont lu l'Evangile, de parler de la seconde partie, et de la première ensuite; lors néanmoins que l'orateur pensera n'avoir pas à craindre cet inconvénient, il pourra suivre l'ordre qui lui semblera plus naturel ; et peutêtre cette manière d'instruire sera-t-elle plus claire et plus utile.

A l'occasion d'arrangement, je ne voudrais pas que l'art fût toujours observé d'une manière scrupuleuse, et qu'il parût dans tous les discours un ordre mécanique : ce travail prévient contre l'orateur : les auditeurs aiment le naturel, et se défient de ce qui est artificiel. Il convient à un commençant de s'assujettir aux règles; mais lorsqu'il est au-dessus de sa matière, il peut se livrer à son zèle.

A l'égard du style d'une homélie, voici qu'elles en doivent être les qualités : il doit être plein de force et d'énergie, en sorte que les mots signifient parfaitement ce qu'on veut dire, que l'application des épithètes soit juste, et l'usage des synonymes convenables : il doit être pur, de manière qu'il exclue les mots barbares ; les constructions vicieuses, tout ce qui peut être contre la pureté du langage, comme aussi les mots nouveaux qui n'ont pas encore l'approbation commune, et les vieux mots qui sont hors d'usage, ou dans la société, ou dans le christianisme : il doit être simple, et par là on prétend, non qu'il doive être bas et rampant dans son expression, mais qu'on s'énonce d'une manière naturelle, et qu'on parle en chaire, comme parlent les honnêtes gens dans la conversation. Voici ce que pensait sur ce sujet un séculier, qui peut servir de modèle en genre de vertu comme en genre de littérature. Que votre style est élégant et pur, dit-il à bien des gens qu'il attaque sous le nom du seul Théodat! quelle finesse dans les pensées ! quelle symétrie dans tout le discours? quelle adresse à me développer en cent manières différentes une idée qui est toujours la même, à la disséquer, à me produire sous un nombre prodigieux de faces toujours ingénieuses ! que vos antithèses sont déliées! que vos portraits sont finis! que tout cela est bien

trouvé ; qui pourrait ne pas convenir, Théodat, que vous avez beaucoup d'esprit, et que vous préchez fort mal!

Et encore? Il y a long-temps qu'on l'a dit aux prédicateurs: laissez-là toutes ces divisions si subtiles, si compassées, si frivoles, si pitoyables, puisqu'elles ne font qu'énerver le discours et marquer la disette du génie qui a besoin de ses petites ressources. Choisissez une vérité unique, capitale, qui prête à l'instruction et au sentiment ; développez-en toute l'étendue, marquez-en tous les rapports; ne craignez point de faire le catéchisme à des gens du monde qui ne savent rien, ou à de beaux esprits qui savent tout, excepté la religion.

Enfin l'homélie est un discours moral, dont le pathétique est la qualité principale, parce qu'elle a pour fin d'émouvoir et de réformer, or un prédicateur ne peut émouvoir, qu'il ne dise des choses relatives à sa propre capacité, à celle de ses auditeurs, à leurs dispositions et à leurs besoins. Les choses seraient rarement proportionnées à sa capacité, s'il prêchait des sermons d'autrui; leur composition n'est presque jamais assortie à l'esprit de celui qui les emprunte, et il est très-difficile qu'il y proportionne son action. Elles ne sont point proportionnées à la capacité des auditeurs, lorsqu'on donne une viande solide à ceux qui ne sont en état que de boire le lait des premiers éléments; elles ne sont point proportionnées au besoin lorsqu'on instruit des hommes vicieux, comme s'ils avaient fait un grand progrès dans la vertu, etc. Il faut donc qu'un pasteur pour être onctueux et pathétique, étudie les besoins de son peuple, et de chaque fidèle en particulier, pour instruire chacun selon son état; il faut qu'il étudie le caractère, la portée des esprits, pour ne point parler de choses relevées devant ceux qui peuvent à peine comprendre les plus communes; il faut qu'il compose lui-même ses sermons, suivant son talent et son génie, et qu'il les prononce avec ferveur: une petite exhortation de cette sorte produira plus de fruit que tous les beaux discours. Mais que faire pour prononcer avec ferveur ? quatre dispositions, dit le Pastoral de Limoges, sont nécessaires pour cela. La première, est que le prédicateur soit bien rempli de

l'esprit de Dieu; c'est ce que marquait Jésus-Christ à ses apôtres, lorsqu'il leur ordonnait de rester à Jérusalem jusqu'à ce qu'ils seraient revêtus de la vertu d'en-haut; sedete in civitate, quoadusque induamini virtute ex alto (1). La seconde, est qu'il ait beaucoup prié avant d'annoncer la divine parole; c'est l'avis que lui donne saint Augustin en ces termes: sit orator antequàm doctor, ipsâ horâ jam ut dicat accedens, priusquùm exerat proferentem linguam ad Deum levet animam sitientem; ut erucle quod biberit, vel quod impleverit, fundat (2). La troisième, est que le prédicateur soit vivement touché des mêmes affections qu'il prétend imprimer dans le cœur des autres. Il faut, dit le saint Evêque de Genêve, être bien épris de la doctrine qu'on enseigne, et de ce qu'on persuade; il faut que nos paroles soient enflammées, non par des cris et des actions démesurés, mais par l'affection intérieure; il faut qu'elles sortent du cœur plus que de la bouche : le cœur parle au cœur, et la langue ne parle qu'aux oreilles. La quatrième est de méditer sur les vérités qu'on doit annoncer, et de se les appliquer. On peut en joindre une cinquième d'après le Père Gaichiés de l'Oratoire, c'est de bien savoir ce qu'on a à dire. Rien, dit ce bel écrivain, de plus nécessaire pour le succès d'un sermon que la mémoire. Un sermon bien appris pa`raît bon, quoiqu'il ne soit que médiocre; et s'il est bon, il paraît excellent. S'il n'est point de défaut qui frappe tant l'auditeur que le défaut de mémoire, il n'en est point non plus qui le fatigue davantage : il souffre de la peine que le prédicateur s'est épargnée en se négligeant. Le prédicateur qui a négligé d'apprendre paie bien chèrement le plaisir de sa paresse: c'est un triste sort que celui d'un orateur qui hésite : dans la nécessité de penser toujours à ce qu'il va dire, il ne pense jamais à ce qu'il dit ; il y a plusieurs inconvénients à se reposer sur sa facilité.

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On court risque de languir, jusqu'à ce que l'imagination soit échauffée. On dépend de son humeur, de sa santé, du temps, si toutes ces choses ne concourent; on ne peut se

(1 Luc. 24. · (2) Aug. de Doct. Ch. lib. 4. cap. 15.

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