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Ce défaut de tous les temps était celui des disciples de saint Jean, déjà ils s'étaient disputés avec quelques fidèles touchant le baptême de Jésus et de leur maître ; jaloux de voir son autorité qu'ils croyaient diminuée par le ministère que Jésus exerçait, ils vinrent le trouver à Ennon. Maître, lui dirent-ils, pour lui inspirer cette jalousie qui les dévorait, celui qui était avec vous au-delà du jourdain, et à qui vous avez rendu des témoignages si glorieux, est devenu un ingrat, il veut usurper votre ministère, il baptise comme vous, et chacun court à lui. Voilà la plaie profonde que l'envie avait faite dans le cœur de ces hommes; que fit le saint Précurseur pour la guérir ? ce que fait un sage 'directeur, quand il aperçoit en vous trop d'attachement pour sa personne, il vous envoie à un autre, afin de conserver votre cœur à Jésus seul : c'est l'exemple que nous donne ici saint Jean. C'est à ce divin Jésus, répond-il à ses disciples (1), que vous devez vous attacher, et non à moi; vous devez brûler de zèle sans doute, mais du zèle de sa gloire, et non de la mienne : il faut qu'il soit glorifié de tous, et qu'un vil serviteur comme moi soit humilié en tout; il est l'époux, je n'en suis que l'ami: il est donc de mon devoir de lui fiancer les âmes; malheur à moi, malheur à vous, si je ne vous quittais, ou si vous ne me quittiez pour être inviolablement attachés à lui !

Ainsi parlait le zélé Précursenr à ses disciples; mais que la jalousie est un mal difficile à guérir ! qu'on doit appréhender toute attache naturelle pour ses maîtres et pour leurs tatents ! La réponse de saint Jean ne calma point les injustes alarmes de ses disciples; ils apprennent qu'à Naïm Jésus vient de ressusciter le fils encore jeune d'une veuve désolée : aussitôt ces zélateurs indiscrets courent à leur maître, et lui racontent avec les mêmes marques de jalousie le grand miracle qu'a opéré Jésus-Christ; la vive douleur que ressent ici le fils de Zacharie ; quel moyen pour gagner ces cœurs à Jésus-Christ! Voici celui que lui fournit sa charité industrieuse : il consent à devenir faible avec les faibles, il connaît certainement la mission divine de Jésus. il a entendu une voix qui le disait le Fils bien

(1) Joan. 3.

aimé du Père éternel; n'importe le bien des âmes demande-t-il qu'il cache cette connaissance ? Il la dissimule; il adopte le doute de ses disciples, il fait proposer en son nom ce qu'ils auraient eu honte de proposer au leur en sage médecin, il prend sur lui et leur ignorance, et leur faiblesse. Ministres du Seigneur, voilà les modèles de notre conduite, ce qu'ont fait les Jean-Baptiste, les Moïse et les Paul, c'est notre loi; étudions-la, pratiquons-la.

Saint Jean sait que la connaissance de Jésus est préférable à toutes les sciences, la seule șcience nécessaire ; il sait qu'il n'y a d'autre nom sous le ciel en qui nous puissions (1) obtenir notre salut ; et il ne se forme des disciples que pour leur faire connaître ce Sauveur, et pour les gagner à lui: ah! que tout notre soin, tout notre zèle tende donc aussi à faire connaître ce nom adorable. Moïse sait que tout le mérite d'un ministre consiste à louer le Seigneur, et à exciter toutes les créatures à sa louange ; et il s'écrie, pour réprimer le mouvement de la jalousie qu'il remarque en Josué: ô, qui me donnera que tout le peuple prophétise, et que le Seigneur répande son esprit sur eux : quis tribuat ut omnis populus prophetet (2)? Qui me donnera, devons-nous dire aussi, quand nous apprenons les succès d'autres ministres, qui me donnera, que tous honorent leur ministère par leurs talents, par le saint usage de ces talents, par la conversion des âmes? Saint Paul sait qu'il a été un vase d'élection pour porter le nom de Jésus-Christ par toute la terre, et pour empêcher que personne ne partage la gloire du rédempteur qu'il annonce, il s'humilie et avec lui tous les ouvriers évangéliques : quoi donc, demande-t-il aux Corinthiens (3), l'un dit qu'il est à Pierre, l'autre dit qu'il est à Paul: est-ce donc que Paul a été crucifié pour vous ? est-ce donc que vous avez été baptisé au nom de Paul? Ni celui qui plante, ni celui qui arrose n'est rien, mais Jésus qui donne l'accroissement. C'est ainsi qu'il prenait plaisir à s'abaisser lui-même pour détruire l'élévation superbe de ses disciples. Voilà nos modèles, ministres de Jésus-Christ; et vous, mes frères, concevez quelle doit

(1) Act. 2.

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(2) Num. 11. (3) Corinth..

être la pureté de votre amour pour vos maîtres, et pour quelle créature que ce puisse être. Les disciples de Jean, les Josué, les fidèles de Corinthe sont des saints, ceux qu'ils aiment sont des saints du premier ordre. Leur amour n'a pour objet ni ces intérêts temporels, ni ces plaisirs criminels qu'on ne cesse de vous reprocher; cependant il a besoin d'être purifié, il est imparfait en ce qu'il s'arrête à la créature, et qu'il ne va pas, qu'il ne se repose pas dans le sein du créateur. Aimons donc nos supérieurs, aimons-nous tous; mais aimons-nous en Dieu et tout en Dieu, parce que tout autre amour serait un amour imparfait. Oui, c'est à vous seul, ô mon Sauveur, c'est à vous seul que je dois m'attacher, c'est en vous seul que je dois mettre mes espérances. C'est-là mon unique bien dans cette vie; mihi adhærere Deo bonum est ponere in Deo spem meam (1) ? c'est ce que m'apprend l'exemple de vos saints, c'est ce que m'apprend un Moïse, un Jean-Baptiste, un apôtre, ou plutôt tous ceux qui ont rempli le pénible ministère de l'apostolat. Tous les hommes ont renoncé aux délices de l'Egypte ; ils ont quitté leur patrie et les agréments qu'ils y espéraient, ils ont partagé le monde, ils sont allés partout pour gagner des âmes à Jésus-Christ, et ils les ont achetées au prix de leur sang; qu'ils étaient persuadés que la connaissance et l'attachement à Jésus-Christ était le seul bien de ce monde ! quel honneur encore aujourd'hui pour la religion, quelle preuve pour la vérité que je vous annonce, de voir des sociétés d'hommes destinés par un choix volontaire à aller au-delà des mers chez des barbares pour faire des prosélytes au Sauveur du monde ! De quels sentiments êtes-vous pénétrés, mes frères, quand vous apprenez qu'un tel prêtre de votre connaissance vient de partir pour un autre monde ? pour moi, je vous l'avoue, j'en suis touché, j'en suis ému; des hommes qui quittent leurs parents, leur société, leur patrie, qui s'exposent au danger des mers, et ensuite à la cruauté des peuples inconnus, quel sacrifice, quel attachement à Jésus-Christ! ô, que n'en suis-je capable, que n'en avons-nous tous un semblable!

(1) P's. 32.

L'exemple des saints est donc un vif aiguillon pour nous faire aller à Jésus; voyons si les qualités de Jésus en seront un moindre; je ne parle pas ici de ces perfections divines qui nous charmeraient, je ne parle pas non plus de toutes les qualités de Jésus comme homme, je ne parle que de ses qualités par rapport à nous, et encore je me fixe à celles de notre Evangile, dont je ne puis dire qu'un mot.

Allez, répond Jésus-Christ aux disciples, racontez à Jeance que vous avez vu et entendu, les aveugles voient, etc. Admirez ici la modestie du Sauveur ! d'un côté, la considération qu'il a pour saint Jean, l'empêche d'éluder la question qu'il lui fait par ses disciples; d'un autre côté, il veut nous apprendre avec quel soin nous devons cacher le bien qui est en nous; et pour cela il refuse de donner une réponse positive. Que fait-il donc ? Il fait parler ses œuvres à sa place, il déploie le bras de sa toute-puissance, il montre qu'il est le maître souverain de la nature, en forçant toutes ses lois ; il commande, et les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris; les sourds entendent; les morts ressuscitent. Est-il un autre Dieu, que le Fils unique du Père, que le Messie à qui les maladies et la mort obéissent de la sorte ? Jésus-Christ réunit donc dans sa personne toutes ces augustes qualités, c'est le raisonnement tacite qu'il propose luimême aux disciples de saint Jean, comme s'il leur eût dit: vous avez lu Isaïe, qu'y avez-vous remarqué touchant le Messie? Vous y avez remarqué une prophétie qui annonce le Messie en ces termes : Réjouissez-vous, peuples abattus.... voici votre Dieu qui vous vengera de vos ennemis.... les yeux des aveugles verront, les oreilles des sourds seront ouvertes, et on verra les boiteux bondir comme le cerf (1). Voilà la prédiction que vous avez lue, en voici l'application. Elle désigne, cette prédiction, un caractère auquel on doit reconnaître le Messie, un caractère par conséquent qui convient à lui seul. Vous en voyez l'accomplissement en moi ; que conclure, sinon que je suis celui dont Isaïe a prédit l'humiliation et la gloire ?

(1 Isale 31

Dés disciples prévenus contre la mission de Jésus-Christ, furent pleinement satisfaits de ce raisonnement : les vives impressions qu'il doit donc faire sur vous ! le profond respect qu'il doit nous inspirer pour celui qui le propose! Celui que je reconnais pour le Messie a été prédit par les Prophètes, il a prouvé sa mission par des miracles propres à la seule divinité; ah! mourir plutôt que d'en douter un moment, mourir mille fois plutôt que d'être séparé un instant de ce désiré des nations. A qui pourrais-je aller qu'à lui ? Il a les paroles de la vie éternelle; (1) en lui habite la plénitude de la divinité, je vois en lui des amabilités infinies, une toute-puissance à qui la mort et le néant obéissent, une sagesse qui fait l'admiration des anges et des hommes, une douce simplicité qui charme les cœurs; ce Dieu infiniment aimable m'aime à l'infini, il est lui-même ma lumière, mon soutien, la victime qui efface mes péchés, le rédempteur qui me sauve; il a fait pour moi d'une manière spirituelle tout ce qu'il a fait pour les infirmes dont parle l'Evangile : le puissant motif pour m'attacher à Jésus-Christ! approfondissons-le. par une supposition. Je suppose donc qu'un d'entre vous était près de périr dans les flammes, ou dans les eaux, ou entre les dents d'un cruel animal, qu'un de ses amis s'est jeté dans ces flammes ou ces eaux pour l'en délivrer, qu'il s'est exposé à toute la fureur du lion qui allait le dévorer; cet homme qui aurait ainsi échappé au danger, de quelle reconnaissance ne seraitil pas pénétré? quel serait son amour, son attachement pour son libérateur ? quel sera donc notre attachement pour notre divin Sauveur? Nous étions aveugles sur nous-mêmes, et il nous a éclairés en dissipant les ténèbres de notre entendement; cæci vident: nous étions faibles, chancelants dans les voies de la justice, incapables par nous-mêmes d'aucun bien surnaturel, il est devenu la force et le bras des boiteux; claudi ambulant: nous étions couverts de la lèpre honteuse du péché, chassés de la société des saints, privés de l'héritage céleste, il a donné son propre sang pour nous purifier et nous rétablir dans nos anciens droits, leprosi mundantur ;

(1 Joak. 6.

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