Imágenes de páginas
PDF
EPUB

i

bientôt il n'a plus pour eux les entrailles de père qu'il avait auparavant, son zèle se ralentit, son cœur se rétrécit. Un fidèle prétend-il avoir souffert de son pasteur? Il accomplit autant qu'il est en lui cette prédiction de Jésus-Christ dans l'Evangile : ils vous chasseront des synagogues, et le temps vient que quiconque vous fera mourir, croira faire une chose agréable au Seigneur : absque synagogis ejicient vos, sed venit hora ut omnis qui interficit vos, arbitretur obsequium se præstare Deo. Il chasserait son pasteur de son Eglise, s'il lui était possible; l'obligerait par les jugements téméraires qu'il forme, par les soupçons injurieux qu'il débite, par les calomnies atroces qu'il répand, de quitter son bénéfice, et de se retirer dans le fond d'un monastère ; il l'attaque dans son honneur, dans ses biens, et lorsqu'il le peut, dans sa personne même. Dans les premiers siècles de l'Eglise, la vérité apprêtait à ses prédicateurs des chevalets; armait des roues, dressait des poteaux infâmes, allumait des fournaises, et tirait le glaive des tyrans pour les faire périr ignominieusement. Ah! qu'il s'en faut que cette heure dont parle notre Evangile soit écoulée, elle a commencé avec le renouvellement des siècles, et ne finira qu'à leur consommation; les pasteurs les plus exacts ne sont pas plus dispensés de souffrir de leurs peuples, que les apôtres des Juifs et des Gentils. On examine malignement notre conduite, on empoisonne nos meilleures actions par l'intention qu'on nous suppose, on n'interprète jamais en bien ce qui peut être interprété en mal, on cherche à nous rendre odieux par le parallèle qu'on fait de notre doctrine et de nos mœurs; on travestit nos vertus en vices, l'hospitalité que nous exerçons passe pour débauches, notre économie pour avarice, notre libéralité pour profusión, nos politesses pour légèretés peu convenables à notre état, l'honnêteté la plus indispensable pour un penchant à la volupté, la fermeté pour roideur, la gravité pour hauteur, l'humilité pour bassesse. On ignore l'auguste caractère dont nous sommes revêtus; on regarde le corps ecclésiastique comme un amas de gens méprisables, sans naissance, sans éducation; par la plus criante des injustices, on veut que le crime d'un seul soit le crime de tous: nous sommes devenus,

pour parler le langage de saint Paul, comme les ordures du monde, comme des balayures rejetées de tous ; tanquam purgamenta hujus mundi facti sumus, omnium peripsema usque adhuc (1). Et pourquoi donc nous traite-t-on ainsi ? Jésus-Christ nous l'apprend dans l'Évangile, ils vous traiteront de la sorte, parce qu'ils ne connaissent ni mon Père ni moi; et hæc facient vobis quia non noverunt Patrem neque me. En effet, si on nous regardait comme les ministres et les ambassadeurs de Jésus-Christ, si on réfléchissait que ce JésusChrist dont nous sommes les coopérateurs, est le Fils unique du Père; que celui qu'il appelle son père est le Dieu qui a créé le ciel et la terre, quelle apparence y a-t-il qu'on nous méprisât plus long-temps? ne serait-ce pas mépriser Dieu qui nous envoie ? quelle apparence y a-t-il encore que ce que vous souffrez les uns des autres, vous fit perdre la charité, si vous connaissiez bien Dica le Père et Jésus-Christ son Fils? le Dieu que nous adorons fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, il distribue ses pluies favorables sur les injustes comme sur les justes. Ce Jésus qui nous a rachetés a versé son sang pour les pécheurs, tous les jours il leur en applique le mérite par l'usage des Sacrements, et la distribution qu'il leur fait de ses grâces; si vous les connaissiez, vous aimeriez vos ennemis, vous feriez tout le bien possible à ceux qui vous haïssent, vous prieriez pour ceux qui vous persécutent et qui vous calomnient, puisque vous devez être parfaits comme votre Père céleste est parfait, et par conséquent votre charité ne souffrirait point d'altération. Ces pratiques de piété coûtent à la nature, je l'avoue, mais que peuvent-elles coûter à un chrétien qui fait ces réflexions? cet ennemi de qui je souffre exerce ma patience, éprouve ma fidélité, fortifie mon espérance, ranime ma charité, m'assure la rémission de mes péchés et la possession du ciel, me donne lieu d'acquérir toutes sortes de biens pour le temps et l'éternité; cet ennemi, quoique coupable aux yeux de Dieu, est encore sa créature et son image, il peut encore devenir son ami, son enfant, l'objet de sa tendresse et de

(1) 1. Corinth. 4.

ses complaisances; cet ennemi est donc un homme également utile à mon salut et cher au Seigneur. Un chrétien, dis-je, qui fait ces réflexions, peut-il ne pas aimer son ennemi? faisons-le donc aussi souvent que nous avons occasion de souffrir, et les souffrances ne diminueront rien de notre amour envers le prochain, second danger auquel elles nous exposent.

Le troisième, est qu'elles ne nous jettent dans le découragement je vous ai dit ces choses, continue le Sauveur dans notre Évangile, afin que lorsque ce temps-là sera venu, vous vous souveniez que je vous les ai dites; hæc locutus sum vobis ut cùm venerit hora, reminiscamini quia ego dixi vobis. Jésus-Christ savait que les apôtres seraient tous scandalisés en lui le jour de sa passion, il voulait les fortifier contre le scandale, et parce qu'on est moins frappé des maux qu'on a prévus, le moyen qu'il emploie ici c'est de les avertir de ce qui doit leur arriver. Ce moyen fut inefficace néanmoins, tous furent criblés comme on crible le froment, tous l'abandonnèrent lâchement au jardin des olives, tous prirent honteusement la fuite, et aucun n'osa se déclarer hautement pour lui lorsqu'on le condamnait à Jérusalem; voilà quelle fut la faiblesse des disciples, quoique parfaitement convaincus de l'innocence et de la divinité de leur maître, et voilà aussi sans doute une image trop naturelle de notre propre faiblesse. Que firent en effet ses apôtres que nous ne fassions tous les jours? ils craignaient les humiliations et nous en avons horreur ; loin d'endurer qu'on nous soufflette et qu'on nous crache au visage, qu'on nous expose à la risée du peuple, nous ne pouvons supporter un terme de mépris, une' incivilité nous irrite, un défaut d'attention nous blesse, un' avis charitable nous aigrit. Les apôtres craignaient d'être en-' veloppés dans la cause de Jésus-Christ, et nous la trahissons par la seule crainte ou de déplaire à un supérieur de qui nous dépendons, ou de perdre un protecteur de qui nous espérons, ou d'être privés d'un présent fatal que nous désirons. Les apôtres fuyaient les croix; ne les fuyons-nous pas autant qu'eux ? rarement il nous arrive de nous en imposer de volontaires les moindres cependant qui ne sont pas de notre

gré, nous gênent, nous nous plaignons que le froid nous glace, que le soleil nous brûle, que la soif nous dessèche, que le jeûne nous exténue, que l'intempérie de l'air nous incommode, et il n'est précaution qu'une ingénieuse délicatesse ne nous fasse prendre pour nous en garantir. Nous nous plaignons d'une fièvre légère, d'une insomnie qui nous dérobe quelques moments de sommeil, d'une migraine qui nous fait souffrir quelques moments, et souvent de plus petits maux encore. Eh! mes frères, que penserons-nous donc de ces feux dévorants où brûleront à jamais les pécheurs impénitents? que penserons-nous de ces nuits éternelles qui ne retentissent que des mugissements et des blasphèmes des réprouvés ? que penserons-nous de ces supplices que souffriront ces malheureux dans leur corps et leur âme dans la suite de tous les siècles? car ces supplices, hélas ! sont ceux que nous avons mérités par nos péchés. Oui, nous avons mérité par nos péchés d'être éternellement séparés du souverain bien, d'être associés à une multitude affreuse d'esprits impurs et d'hommes criminels, exclus de la Jérusalem céleste; d'être relégués dans cette horrible demeure où il n'y a ni ordre, ni repos, ni paix, ni soulagement, ni espérance, où ne règne que confusion, que ténèbres épaisses, que pleurs, que grincements de dents, que blasphèmes et que malédictions. Ah! mes frères, pouvons-nous penser que nous avons mérité tout cela, et nous plaindre des maux de cette vie? pouvonsnous penser que nous n'éviterons ces malheurs effroyables que par les afflictions temporelles, et refuser de nous y soumettre? Ah! Seigneur, préservez-nous d'un tel malheur, nous vous en conjurons, ne permettez pas que les larmes que nous versons ici-bas soient infructueuses; éprouvez notre cœur, nous y consentons; sondez-nous, examinez-nous; brûlez nos reins par le feu des tribulations, nous le désirons; proba me, Domine, et tenta me, ure renes meos et cor meum (1). Mais affermissez nos pas dans vos sentiers durs et pénibles, afin que nous ne soyons point ébranlés en marchant ; perfice gressus meos in semitis tuis, ut non moveantur

(1) Ps. 25.

vestigia mea. Soutenez-nous de votre secours; rendez-vous attentif à nos demandes en quelque jour que nous nous trouvions affligés; donnez-nous un esprit de patience et de ré signation dans tous les maux qu'il vous plaira nous envoyer, et faites que nous ne le considérions jamais que sous des vues de religion.

Vous l'avez vu, mes frères ; cette considération est le moyen sûr de vous les rendre utiles pour le passé, le présent et l'avenir; si vous souffrez sans murmures et sans chagrin les maux publics et particuliers, ceux qui sont attachés à votre état et ceux qui vous sont personnels, vous méritez la rémission de vos péchés et des peines dues à vos péchés dans l'autre vie ; vous trouvez dans vos souffrances le moven d'éviter le péché, d'affaiblir vos passions, de vous détacher des créatures pour n'être plus attachés qu'à Dieu, pour vous assurer une couronne incorruptible dans le ciel, une joie intérieure que rien ne pourra vous ravir, une gloire immortelle dont l'éclat sera proportionné à vos humiliations d'icibas, vous vous élèverez au jour des vengeances avec une sainte hardiesse contre ceux qui vous auront accablés d'afflictions, et vous entendrez ces méchants qui se diront en soupirant ce sont-là ceux qui ont été autrefois l'objet de nos envies, et que nous donnions pour l'exemple de personnes dignes de toutes sortes d'opprobres. Insensés que nous étions, leur vie nous paraissait une folic et leur mort honteuse; et cependant les voilà élevés au rang des enfants de Dieu, et leur partage est avec les saints; ecce quomodo computati sunt inter filios Dei, et inter sanctos sors illorum est (1). Quel puissant motif pour nous soumettre et même pour aller au devant des croix et des afflictions, pour nous résigner avec patience et dans les vues de religion! Si au contraire vous aviez le malheur de n'écouter que la voix de la nature, et de séparer vos souffrances des desseins de salut que Dieu a sur vous, vous vous priveriez de la plus grande consolation dans les maux de la vie présente, qui est de savoir, qu'excepté le péché, il n'y en a aucuns qui ne viennent d'un

(1) Sap. 4.

« AnteriorContinuar »