Imágenes de páginas
PDF
EPUB

hache (1), entrera le premier, & tournant la face du côté de l'occident, il se tiendra debout. Le Général nommé entrera de fuite, & tournant la face vers le côté par où il est entré, il se tiendra également debout. Alors le Roi prenant entre fes mains la petite hache, en féparera le fer d'avec le manche, & remettra le manche au Général, en lui difant: D'ici - bas jufqu'au Ciel donnez des ordres & faites-les exécuter. Il prendra alors la grande hache, en féparera également le manche d'avec le fer, & remettra le fer entre les mains du Général, en lui difant: Du lieu que vous foulez aux pieds, jufqu'au centre de la terre, donnez des ordres, & faites-les exécuter. Général, combattez les ennemis quand vous pourrez le faire avec avantage; ne les combattez point quand vous n'aurez pas d'heureux fuccès à espérer. Ne dites jamais : Les troupes que j'ai fous mes ordres font en grand nombre, celles de l'ennemi font peu nombreufes; les troupes de l'ennemi font fortes & aguerries, celles que je conduis font foibles & hors d'état de leur réfifter. Ne vous estimez jamais trop vous-même prifez jamais l'ennemi, ne faites jamais cas de votre fentiment plus que du fentiment des autres, ayez de la déférence pour les avis de tous, n'envisagez pas d'un même ail les chofes importantes & celles qui ne le font point, ne trouvez rien de difficile dans tout ce qui peut regarder le Service; foyez le modele fur lequel tout le monde puiffe fe former, donnez l'exemple à tous. S'il faut s'expofer, ne le faites jamais que vos troupes ne le faffent en même temps: s'il faut prendre les repas, ne les prenez qu'aux heures qui font réglées pour tout le monde. Souffrez le froid & le chaud comme le moindre de vos foldats. Quand

[ocr errors]

ne mé

(1) La petite hache, que les Chinois appellent fou-tfe, eft à-peu-près comme nos haches ordinaires. La grande hache, ou la hache d'armes eft beaucoup plus groffe: elle a le fer arrondi en demi-cercle & le manche fort long.

vous vous comporterez comme je viens de le dire, il n'eft rien dont vous ne puissiez venir à bout. Le Roi ayant ceffé de parler, le Général fe mettra à genoux, & répondra en ces termes : J'ai toujours oui dire que, pour maintenir un Royaume dans un état floriffant, il falloit de braves guerriers au dehors, & de fages miniftres au dedans ; que les uns & les autres ne devoient former entre eux tous qu'un même cœur & une même volonté, & qu'il ne falloit pas que ceux du dedans vouluffent gouverner ceux du dehors, ni que ceux du dehors voulussent gouverner ceux du dedans. On fert le Prince & la Patrie au dehors comme au dedans; tout doit être égal pour de bons fujets: ainfi point de jaloufie ni de foupçons parmi eux, point d'accufations réciproques. Pour moi, fur qui Voire Majefté vient de fe décharger d'une partie de fon autorité, qui ai reçu de fes mains l'une & l'autre hache, comment oferois-je ne pas remplir mes devoirs jufqu'à la mort? comment oferois-je revenir en vie, fi je n'ai dompté vos ennemis? Donnez-moi, Seigneur, vos derniers ordres, donnez-moi les marques de ma dignité, & je pars... Après avoir reçu le fceau, il continuera ainfi : Déformais les troupes n'ont plus d'ordre à recevoir que de moi; c'est moi feul qui ferai l'organe qui leur tranfmettra vos volontés ; à moi feul appartiendra le droit de les punir & de les récompenfer. Tant que nous ferons en corps d'armée, plus de Ciel au deffus de notre tête, plus de terre fous nos pieds, plus d'ennemis devant nous, plus de Souverain derriere nous, plus rien à craindre : la mort ou la victoire (1).

Voilà, continua Tai-koung, ce que vous pouvez établir pour parvenir à la fin que vous vous proposez : il me femble

(1) Je crois que tout ce qu'on fait dire au Général, après qu'il a reçu le sceau & les autres marques de fa dignité,eft le ferment qu'on faifoit anciennement dans la Salle des Ancêtres : il ne faut pas en prendre les termes à la lettre. Par le Ciel, il faut entendre les vents, la pluie, les frimats, &c.

qu'après que vous aurez fait un Général avec de pareilles cérémonies, vous pouvez vous difpenfer de donner des ordres pour qu'on le respecte. Cela est très bien, répondit Ououang; mais avant que de quitter cet article, j'ai encore quelques demandes à vous faire. Je voudrois favoir un expédient court & facile, au moyen duquel un Général fût toujours sûr du respect, de l'estime & de l'obéiffance des troupes dans tout ce qu'il qui leur commande. Rien de fi aisé, rien de fi sûr que ce que je vais vous proposer, répondit Tai-koung. Qu'un Général puniffe de mort un homme d'un rang diftingué, s'il a manqué à fon devoir, & on le respectera : qu'il traite bien ceux d'un rang inférieur, & on l'eftimera : qu'il garde inviolablement toute les regles de la difcipline militaire, & on lui obéira. Je fuis au fait, reprit Ou-ouang, &c.

Par la Terre, il faut entendre les mauvais chemins, les hauts, les bas, les précipices, &c. Plus d'ennemis devant nous, c'est-à-dire, avec autant d'affurance & de tranq illité que s'il n'y avoit aucun obftacle de la part des ennemis, &c.

I I.

De la maniere dont le Souverain & le Général fe communiquoient leurs fecrets.

OU-QUA

U-OUANG S'entretenant un jour avec Tai-koung, lui dit: 11 y a long-temps que je cherche en moi-même quelque moyen facile & sûr pour inftruire de mes intentions un Général de mes armées qui feroit déja bien avant dans le pays ennemi, & cela, fans qu'il fût poffible à tout autre, qui n'auroit pas mon fecret, de favoir ou de pouvoir pénétrer ce que je veux dire. J'ai déja imaginé bien des manieres, mais toutes souffrent des difficultés & font fujettes à des inconvénients; c'eft pour cette raison que je n'oferois les mettre en pratique: voyez vous-même fi vous ne trouveriez pas quelque expédient pour faire ce que je propofc. Je voudrois auffi que le Général pût m'inftruire à son tour, fans que ni ceux de l'armée, ni

les ennemis, ni les Grands de ma Cour, ni les Ministres pufsent pénétrer son fecret. Je comprends ce que vous voulez, répondit Tai-koung: je vais vous fuggérer deux moyens qui me paroiffent bons; vous vous en fervirez fi vous les trouvez tels. Le premier fera pour les affaires qui n'exigeront pas de détails ni de grandes explications pour être comprises, & le fecond pour celles où les détails & les explications font néceffaires.

Premier moyen. Quelques jours avant que votre Général parte pour fe rendre à l'armée, il faut lui donner une audience particuliere, de telle forte qu'il n'y ait que vous & lui, & que perfonne au monde ne puiffe entendre ni deviner ce qui fe paffera dans cet entretien fecret. Vous vous ferez muni

de

de huit petites planches, d'un bois ordinaire, fur lesquelles vous écrirez vous-même, ou vous ferez écrire par votre Général, des caracteres quelconques du haut en bas de chacune. Vous fendrez enfuite les morceaux de bois, de façon que les caracteres fe trouvent partagés dans leur longueur, comme le hafard le déterminera, fans y chercher aucun art, ni aucune fymmétrie. Vous garderez pour vous les huit premieres moitiés, & vous donnerez les huit autres à votre Général, afin qu'en les rapprochant, dans les occafions où vous vous en fervirez, vous foyez mutuellement furs que vous vous parlez l'un à l'autre, & que vous n'êtes entendus que de vous feuls. Vous ferez enfuite vos conventions fecretes, que vous écrirez, chacun à part, fur vos moitiés de planches à-peu-près de la maniere suivante, fur la premiere, qui fera de la longueur de dix pouces, victoire complette; & dans la lettre qui fera écrite de l'armée, il n'y aura que ces mots, la tablette de dix pouces. Sur la feconde planche vous écrirez, défaite des ennemis, prife du Général; & dans la lettre qui viendra de l'armée, on défignera seulement la longueur de la feconde tablette, qui fera de neuf pouces, en difant: la tablette de neuf pouces. Si l'on veut annoncer la prise de quelque ville, on écrira ces mots, la tablette de huit pouces, qui eft la longueur de la troisieme planche. Pour faire favoir que les ennemis font décampés & fe font retirés au loin, on défignera la longueur de la quatrieme planche qui doit être de fept pouces. Si le Général veut apprendre à son Souverain qu'il n'ofe rifquer aucune bataille, qu'il fe contente d'obferver l'ennemi & de fe tenir fur la défensive, jufqu'à ce que les troupes qu'il commande aient repris un peu courage, il défignera la planche de fix pouces. S'il a befoin de renfort; s'il veut apprendre que les vivres commencent à lui manquer, il défignera la planche de cinq pouces. S'il veut annoncer qu'il a été bleffé, que fon

Rr

« AnteriorContinuar »