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je veux dire ceux même qui gagnent, loin de s'enrichir, s'appauvriffent tôt ou tard. Il n'est donc permis à perfonne de jouer ; & fi quelqu'un s'avise déformais de le faire, il enfreindra mes ordres, & il ne fera pas moins rebelle à ceux de la Providence (1), qui veut que chacun foit content de fon fort. Il n'est personne ici-bas qui n'ait sa part déterminée des biens de la Nature; mais la mesure des richeffes de chacun ne dépend pas toujours des foins qu'il peut prendre pour les acquérir. L'état d'opulence & de pauvreté n'a point été laiffé à notre choix: tout eft réglé par la Providence. Cependant il fe trouve des hommes affez stupides & affez méchants pour méconnoître cette Providence, & pour vouloir se soustraire à ses ordres abfolus. Etouffant dans leurs cœurs les femences du bien que les loix humaines & celles de la nature y avoient répandues, ils foupirent après le bien d'autrui, & cherchent à l'envahir par les voies les plus illicites. Leur cupidité va fi loin, qu'ils ne font bientôt plus aucune difficulté de tromper, lorfqu'ils le peuvent impunément : ils mettent en ufage toutes fortes d'artifices; ils gagnent chaque jour; chaque jour les dépouilles des autres femblent devoir augmenter leurs tréfors: mais tout cela n'eft qu'une vaine apparence; ils ne tarderont pas à être dépouillés à leur tour.

Ce qui m'étonne encore davantage, c'eft d'apprendre qu'il fe trouve des hommes affez imbécilles fe laiffer tromper pour par ces joueurs de profeffion. On ne feroit pas la dupe de tels frippons fi l'on vouloit faire quelque attention fur leur con

(1) Le caractere chinois qu'on rend par ce fon Ming,& le mot Mantchou qui lui répond, peuvent s'expliquer également par le mot de providence, ou par celui de destinée, ou du fatum des Anciens. Il a véritablement l'une & l'autre de ces fignifications, tant en Chinois qu'en Tartare-Mantchou.

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duite. Ils féduifent d'abord de mille manieres ceux qu'ils veulent dépouiller; ils n'oublient rien pour leur donner infenfiblement le goût du jeu; mais quand une fois ils les tiennent dans leurs filets, ils ne les laiffent point échapper, qu'ils ne les

aient entierement ruinés.

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Un homme chez qui la paffion du jeu commence à s'infinuer, de temps; d'abord, joueur timide, ne donne au jeu que peu mais bientôt devenu plus hárdi, n'églige fes devoirs, abandonne fa profeffion, il ne cultive plus l'art ou le métier dont il tiroit fa fubfiftance & celle de fa famille, il n'a plus d'autre occupation ni d'autres penfécs que le jeu; il vend fes meubles, fes maifons & tout ce qu'il poffede, jufqu'à ce qu'enfin réduit à une mifere affreufe, fans reffource, fans honneur, fans réputation, il n'eft plus qu'un objet méprifable aux yeux des hommes, & un vil rebut de la nature humaine, qui fe trouve comme déshonorée de l'avoir produit.

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Officiers, Soldats, Gens de guerre, qui que vous foyez, évitez un excès fi criant; ne cherchez point à acquérir des richeffes par d'autre voie que par celle de vos travaux & de vos épargnes vous avez vos appointements fixes, ménagez-les; ne faites point de dépenfes inutiles: vous avez des terres, tivez-les avec soin & mettez à profit tout ce qu'elles vous rendront. Après avoir fuffisamment pourvu à votre entretien & à celui de votre famille, mettez le fuperflu en réferve pour l'avenir, & pour les temps de calamité.

Dans la crainte où je fuis que les Mantchous, mes efclaves, ne s'adonnent au jeu, j'ai voulu leur faire envisager une partie des défordres que cette funefte paffion entraîne après elle; j'ai voulu les prévenir des dangers qu'ils courroient en s'y livrant. Inftruits de mes intentions & de leurs devoirs, ils doivent étouffer toute pensée qui pourroit leur venir, de cher

cher

cher à s'enrichir par une voie non moins criminelle qu'inutile; les châtiments fuivront de près l'infraction à mes ordres fur cet article. Que ceux qui, par une licence inique, font adonnés au jeu, aient à fe corriger fans délai (1).

X. PRÉCEPTE.

Il faut éviter les combats & les querelles. L'AMOUR de la vie eft naturel à l'homme : le foin de la conserver eft naturellement le premier de fes foins: cependant il y a des gens affez infenfés pour ne pas craindre de la perdre, en se livrant aux excès d'une colere aveugle, qui leur fait oublier ce qu'ils font & ce qu'ils fe doivent à eux-mêmes. Leur colere, ou, pour mieux dire, leur fureur, vient quelquefois d'une haine invétérée qu'ils n'ont pas eu foin d'étouffer comme il faut, & qui fe réveille à la premiere occafion : quelquefois auffi elle leur vient pour avoir reçu quelque infulte réelle ou imagi

(1) Les Chinois & les Mantchous qui font aujourd'hui dans la Chine font peut-être, de toutes les nations du monde, celles qui, en apparence, ont le plus d'averfion pour le jeu. Un joueur, un homme capable de tous les crimes, & un malfaicteur avéré, font ici des termes prefque fynonymes. On ne laiffe pas cependant que de jouer, & de jouer même avec fureur. On a fait en différents temps des ordonnances très féveres contre le jeu. Les Empereurs de cette Dynastie, par une politique femblable à celle d'un de nos Rois, qui, pour arrêter le cours du luxe qui fe répandoit en France, permit aux courtifannes feulement ce qu'il défendoit aux perfonnes d'honneur, en dé. fendant rigoureusement le jeu dans toute l'étendue de l'Empire, l'ont permis aux porteurs de chaife feulement, gens fans aveu, qui font dans un mépris général; mais cette politique n'a pas eu tout le fuccès qu'on s'en étoit promis. L'Empereur regnant n'a excepté perfonne de la loi commune.

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naire, dont ils croient devoir fe venger fur-le-champ, à quelque prix que fe foit.

L'homme, dans quelque état que le Ciel l'ait fait naître, a des devoirs indifpenfables à remplir. Au-deffus de lui, il doit à fes Ancêtres le foin de faire à temps réglés les cérémonies préfcrites, pour marque de fa reconnoiffance: au - deffous, il doit à ses enfants & à ses descendants le bon exemple & les instructions. Ces deux devoirs ne font pas d'une petite conféquence; ils font indispensables. Comment peut-il fe faire qu'on n'y donne pas toute fon attention? On les oublie entiérement en s'oubliant foi-même. La colere étouffe tout fentiment d'honneur, de bienséance & d'humanité : on ne pense plus à la confervation de fa propre vie ; comment penferoit-on à remplir les autres obligations?

Les difputes, les querelles & les combats ont leur principe dans l'impatience & dans l'orgueil. On ne fauroit rien fouffrir; on s'emporte pour la moindre chose; la moindre chose blesse les cœurs naturellement inquiets & turbulents. Pour réprimer les faillies d'une colere naiffante, il faut savoir prendre fur foi. Un homme qui ne fait point se modérer, qui n'est pas maître de foi, ne fauroit manquer d'être dans l'inquiétude. Celui au contraire qui fe modere dans les occafions, acquiert une humeur douce, & jouit d'une tranquillité inaltérable ; pardonne aisément les affronts même les plus outrageants; ce que ne fauroit faire un homme qui a le trouble dans le cœur & l'inquiétude dans l'esprit.

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Une autre fource de querelles & de combats vient quelquefois de la mauvaise volonté de certaines gens qui vont femer la difcorde & irriter des cœurs qui, par eux-mêmes, ́ne font déja que trop portés à la vengeance; ils rappellent fans ceffe le fouvenir d'une injure qu'on avoit déja peut-être

oubliée ; ils en exagerent la grandeur; ils parlent fans cesse de la honte qu'il y a à la laiffer impunie; ils fourniffent des moyens, ils animent, ils engagent à des entrevues & à des explications, où, pour l'ordinaire, après quelques paroles, on en vient aux injures, & des injures aux coups & au mépris de fa propre vie. Avec quelle attention ne devroit-on pas éviter d'être les victimes de ces pertubateurs du repos public!

Dans le fort de la difpute il ne manque guere de se trouver quelqu'un qui exhorte à la paix, & qui fe donne pour entremetteur entre les deux partis; mais on ne l'écoute point; la vengeance & la colere étouffent la raison & tous les motifs qu'elle peut fuggérer; on court à fa propre perte, fans s'embarrasser des chagrins cuifants ni des malheurs qu'on va causer à toute fa famille & à fa poftérité (1). Lorsque quelqu'un a été tué, il

(1) Les querelles & les combats dont l'Empereur parle ici, ne regardent guere que les Mantchous; car, pour les Chinois, il eft rare qu'ils en vien. nent à ces fortes d'extrémités. Les vrais Chinois ne vont guere au-delà des injures, ou tout au plus de quelques coups de poings; & encore lorsqu'ils veulent se battre, ils ne le font point fans de longues délibérations : ils commencent par ôter leurs habits, ils les mettent proprement dans quelque endroit sûr, aimant beaucoup mieux qu'on leur déchire la peau du corps, qui ne leur coûte rien, que les vêtements qui leur coûtent de l'argent quand celle-là eft écorchée, difent-ils, on en eft quitte pour attendre patiemment la guérifon; mais quand ceux-ci font déchirés, il faut en acheter de nouveaux.

Après que leurs vêtements font à l'abri de toute infulte, ils se provofe quent mutuellement, & se disent, par-ci par-là, quelques injures pen. dant l'espace d'un quart-d'heure ou d'une demi-heure, jusqu'à ce que quelqu'un des fpectateurs, dont la curiofité de favoir le sujet de la dispute eft déja fatifaite, s'ennuyant de ne plus rien entendre de nouveau, se mette

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