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grossier. Ce n'est pas, à la vérité, sur la 1776. parure que tombe l'émulation des Colons ; Janv. c'est par le nombre et la beauté de leurs troupeaux, et sur-tout par la force de leurs boeufs de trait, qu'ils ambitionnent de se surpasser. C'est aussi par l'activité, par des actions de courage et par les autres qualités qui rendent un homme propre à l'état du mariage et à l'éducation d'une famille, que les jeunes garçons obtiennent l'estime du beau sexe: aussi n'a-t-on jamais ouï dire qu'une femme, pour l'emporter sur sa voisine en fait de parure, ait mis en danger ni les biens communs entr'elle et son mari, ni sa propre vertu. Une coiffe simple et d'un tissu serré, une robe de grosse toile de coton, la vertu et l'intelligence du ménage, sont les seuls ornemens du beau sexe, et avec eux, une femme se croit suffisamment parée. La légèreté, la coquetterie, les graces empruntées auroient fort peu d'effet sur le coeur de jeunes garçons élevés dans toute la simplicité rustique, et qui ne sont jamais sortis de la maison paternelle. Enfin l'on peut ici, si c'est une chose possible dans quelque endroit du monde, mener une vie innocente, aisée et

vertueuse.

Charmé de voir les mœurs et la façon de vivre de ces bons et simples paysans, j'étois

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1776.

souvent porté à ramener la conversation sur ce sujet, et je leur disois tout ce qui me Janv. paroissoit propre à éveiller en eux le sentiment de leur propre bonheur, auquel il me sembloit qu'ils n'attachoient pas encore assez de prix. Je crus ne pouvoir mieux employer le peu de hollandois que j'avois appris, qu'à persuader à ces bonnes gens qu'ils devoient être contens de leur sort, et conséquemment être heureux. Un jour que j'en étois sur ce chapitre voici la réponse obligeante et pleine de justesse que me fit une femme prudente et sensée, fille d'un magistrat de Zwellendam, et qui s'étoit mariée à un riche fermier de Bruntjes-hoogte.

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Mon bon ami, me dit-elle, vous parlez comme un homme sensible et qui a de l'expérience. Je suis tout-à-fait de votre avis, et je vous desire tout le bonheur que vous pouvez souhaiter vous-même. Qu'avez-vous besoin de courir le monde plus long-tems et d'aller chercher fort loin le bonheur? Vous le trouvez-ici, et vous êtes le bienvenu parmi nous. Vous avez déja un chariot, des bœufs et des chevaux de selle; c'est le point principal pour commencer un établissement. Vous trouverez dans ce voisinage assez de terres non cultivées, et propres tant au labourage qu'au pâturage.

Vous pouvez choisir dans un grand espace 1776. de terrain l'emplacement qui vous conJanv. viendra le mieux. Il se trouvera ici assez

de gens qui, pour se débarrasser d'un trop grand nombre de bétail, vous en enverront une partie à nourrir et à élever, sous la condition que les petits qu'ils produiront, seront à vous. Plusieurs jeunes fermiers ont ainsi acquis de la fortune en peu d'années; d'ailleurs, par vos connoissances en médecine, vous pourrez vous rendre utile à vos voisins, qui, en récompense de vos services, ne manqueront pas de vous donner de tems en tems une génisse ou un veau. Enfin j'ose vous prédire que bientôt vous serez maître d'un troupeau nombreux, de vaches et de moutons. Cependant i manque encore un point à votre bonheur, un point essentiel sans doute; c'est une femme aimable et sensée; mais cherchez, regardez autour de vous, et je vous garan→ tis que vous ne serez pas longtems sans en trouver une de ce caractère dans cette contrée ».

Ces avis si raisonnables, si conformes à la voix de la nature, surtout sortant de la bouche d'une femme dont je ne pouvois suspecter la sincérité ni les intentions, me touchèrent vivement; il est pourtant à re

marquer que cette femme qui me les donnoit, avoit elle-même un mari qui la ren- 1776. doit assez malheureuse.

Cependant peu de tems après mon arrivée, j'eus le chagrin de voir la paix de cet heureux coin de terre troublée par une querelle entre deux voisins; ce qui servit à me confirmer dans la persuasion, que c'est moins à la position dans laquelle le ciel nous a fait naître que nous devons notre bonheur, qu'à nous-mêmes et à ceux qui nous aiment. Qu'on me pardonne d'avoir un moment reposé mon cœur sur ces doux sentimens! Je reprends ma narration.

Je restai à Agter-Bruntjes-hoogte jusqu'au 21 janvier. Pendant ce tems, mes bœufs, qui, lorsque j'arrivai, étoient fort maigres, avoient repris de l'embonpoint, et étoient en bon état. Nous-mêmes avions pris soin de boire du lait de beurre, et faisant honneur à la table abondante de ces bons paysans nous tâchions de nous dédommager de la faim, de la soif, et des autres souffrances que nous avions essuyées pendant un mois entier dans le désert. Entr'autres friandises, on nous servit le 3 janvier un plat aussi délicieux que singulier les testicules de deux veaux, auxquels on

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Janv

avoit fait le jour même l'amputation. Les 1776. femmes en mangèrent comme nous , sans Janv. rougir.

J'ai déjà parlé de quelques atteintes de goutte que j'avois senties dans le désert; mais ici elle se déclara d'une manière plus violente, ensorte que le huit et le neuf de ce mois je pouvois à peine me soutenir sur les pieds. La roideur que je sentois dans les muscles et les articulations, jointe à des douleurs aiguës et à une chaleur sèche répandue sur toute la peau, me donnèrent l'idée de prendre un bain de vapeurs, remède émollient dont j'avois déjà vu d'heureux effets. Deux personnes malades de la goutte, en Afrique, à qui j'ordonnai les bains chauds artificiels, s'en étoient très-bien trouvées; je savois aussi plusieurs exemples de l'efficacité des bains chauds naturels dans cette maladie.

Ces considérations, jointes à la souffrance insupportable, et au regret de perdre mon tems, m'engagèrent à en faire l'épreuve sur moi-même, et à heurter ainsi de front, et la douleur, et le préjugé ordinaire que la goutte ne supporte pas l'eau.

L'appareil fut aussi simple et aussi aisé que le remède. Je plaçois mes pieds deux

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