AN. 1264. mal qui est fait. Au lieu de faire charitablement les avances pour m'attirer à la penitence, il refuse celles que je fais, me foumettant à tout ce qu'il me prefcrira de plus rude : il femble ne chercher qu'à me poufler au défespoir. Il me fait entendre indirectement, que je dois quitter l'empire, & me réduire à la condition d'un particulier: mais je ne vois pas à qui ma renonciation feroit utile. Elle ne le feroit pas à l'empire, puisque celui qui y étoit destiné, n'est pas capable de gouverner, & ne le fera jamais; & quant à mon interêt particulier quelle affurance me donnera-t-on de vivre en paix après ma renonciation? quelle sûreté pour ma femme & mes enfans? Quand on a une fois goûté de la fouveraine puiffance, il eft difficile de la quitter, fans exposer fa vie. Un empereur en place eft l'objet de la haine de plufieurs, qui ne lui font fideles qu'en apparence; & que ne feront-ils point, lorfqu'ils ne feront plus retenus par la crainte ? Enfin l'église a des regles certaines pour la pénitence, fuivant lesquelles vous traitez les particuliers en a-t-elle d'autres pour les empereurs? Si vous n'avez point de loix fur ce fujet, d'autres églises en ont; j'y aurai recours, & j'y trouverai le remede que je cherche. Il vouloit dire qu'il s'adrefferoit au pape; & c'étoit une menace terrible aux évêques Grecs. Après ce discours, les évêques réfolurent de fe- Pachym, lib. 14. courir l'empereur, qui envoya encore au patriarche Arfene plufieurs interceffeurs l'un après l'autre, principalement fon pere fpirituel Jofeph abbé de Galefe mais le patriarche n'en fut que plus aigri, & il demeura inflexible. Le cinquième du 3 C. 2. AN. 1264. mois d'Avril 1264, le jour nommé Acathiste, sçavoir le famedi de la cinquiéme femaine de carême, V. Maur, David. au fortir de l'office de la nuit, le primicier des notaires de l'église de Conftantinople préfenta à l'empereur un libelle, contenant plufieurs chefs d'accufation contre le patriarche, fçavoir : Qu'il avoit retranché des matines le pfeaume pour l'empereur. Qu'il avoit liaison avec le fultan & les gens, jufqu'à leur permettre fouvent de fe baigner au bain de l'église, quoiqu'ils fuffent Musulmans, & qu'il y eût des croix gravées dans les marbres de ce bain. Ce fultan étoit Azatin, ou plutôt Azeddin Turc Seljouquide fultan de Conie, que la crainte des Tartares avoit obligé à fe retirer chez les Grecs. Le troifiéme chef d'accufation contre Arfene, étoit d'avoir fait donner aux enfans du fultan la fainte euchariftie, quoiqu'on ne fçût pas s'ils étoient baptifés. Enfin que le fultan lui-même avec fes fatrapes, avoit afsisté le jour de Pâque aux matines, où le patriarche officioit. C'est ce que contenoit le libelle, avec quelques autres accufations semblables. Lib. II. 6. 24. L'empereur le reçut avec empreffement, assembla les évêques qui fe trouvoient à Constantinople & leur demanda confeil. Le patriarche Afene ayant eu communication de la plainte, fans en être encore accufé en forme, y répondit ainsi : C'étoit moi qui avois ordonné de chanter ce pfeaume dans l'églife fuivant l'usage des monafteres; & je l'ai fupprimé, trouvant que les autres prieres fuffifoient. De plus, l'empereur n'a pas fujet de s'en plaindre en l'état où Il eft. Je n'ai ni fçû ni ordonné que les gens du fultan fe fuffent fervis du bain de l'é glife, & on auroit la même raifon de les exclure AN. 1264. de tous les autres bains, puifque en tous on trouve des croix & de faintes images. J'ai traité le sultan & ses enfans comme des Chrétiens, fur la parole de l'évêque de Pifidie: fi on prouve qu'ils ne le foient pas, c'est lui seul qui en eft coupable. L'empereur ne trouva pas ces réponses du patriarche fuffifantes mais il voulut affembler un concile de tous les évêques, où le trouvaffent même les deux patriarches Nicolas d'Alexandrie & Euthymius : d'Antioche. XXXI. en concile. Le concile fe tint dans une fale du palais : l'em- Arfene dépofé pereur y tenoit la premiere place accompagné de toutes les perfonnes conftituées en dignité & de tout le fénat. Outre les évèques, on y voyoit des abbés de tous les monasteres, & les principaux d'entre les moines. L'accufateur prefenta fon libelle, qui fut lû publiquement on ordonna que le patriarche Arfene feroit cité, & on lui envoya trois évêques avec trois clercs, mais il refufa abfolument de comparoître difant qu'il ne récusoit pas le jugement, mais les perfonnes, la forme & le lieu. On veut, difoit-il, juger un patriarche dans le palais, en présence de l'empereur en l'état où il est & préoccupé du défir de vengeance, en présence des grands & des féculiers. Cette réponse fut donnée par écrit, & rapportée à l'affemblée; & la citation réiterée jusques à trois fois avec certains délais: car on vouloit que la procédure fût canonique; & Arfene fit toujours la même réponse. Cependant voulant encore effaier de faire en- . 5.} tendre raifon à l'empereur, il vint le trouver; & AN. 1264. l'empereur le reçut avec politeffe, & l'entretint assez long-tems de difcours obligeans. C'étoit un dimanche, & l'empereur avoit donné ordre que l'on commençât la messe, fi-tôt que le patriarche paroîtroit à l'entrée de l'églife, efperant furprendre une abP. 177 folution tacite. Quand donc l'heure fut venue, 5. 6. ils marcherent ensemble du palais à l'église, l'empe- On fit donc au patriarche une derniere citation, après laquelle on crut le pouvoir condamner par contumace, en vertu du foixante & quatorziéme canon des apôtres. Toutefois pour le plus sûr, le concile voulut encore examiner le fond; & ayant fait venir l'accufateur, on lui demanda les preuves des faits qu'il avançoit. Il alléguoit la notorieté publique : mais on ne laiffoit pas d'oüir des témoins, qui certifierent que le fultan avoit assisté aux prieres dans l'église. La difficulté étoit de fçavoir s'il étoit chrétien ou non; & le fultan voulant justifier le patriarche, envoya dire à l'empereur, qu'il qu'il étoit prêt à honorer des images, ou même à manger d'un Jambon. A quoi ceux qui vouloient condamner le patriarche, répondoient que quand le fultan feroit chrétiens, tous les Turcs de fa fuite ne l'étoient pas. Quand on vint aux opinions, tous les évêques, hors fept ou huit, furent d'avis de déposer le patriarche : mais la plûpart ne fondoient sa condamnation que fur la contumace. Ceux qui étoient d'un autre avis, revinrent bongré malgré à l'avis commun: on termina le concile par les acclamations ordinaires pour les empereurs, & on députa deux évêques pour signifier à Arsene sa condamnation. AN. 1264. C'étoit le foir affez tard, quand ils vinrent lui dé- 7. clarer fa fentence en présence de tout le clergé, & lui dirent de se préparer à partir. Il commença par rendre graces à Dieu, & leur dit qu'il étoit prêt d'aller où ils voudroient : puis fe tournant vers le clergé, il dit : Vous fçavez, mes enfans, ce qui s'est paffé à mon égard: Dieu l'a permis : il faut se foumettre à fa volonté, de quelque maniere qu'il difpose de nous. J'ai conduit comme j'ai pû le troupeau qu'il m'avoit confié : j'ai peut-être fait de la peine à plufieurs, comme plufieurs m'en ont fait : pardonnons-nous mutuellement nos fautes. Allez reconnoître le tréfor de l'églife, les reliques, les vafes facrés, les ornemens & les livres, afin qu'on ne m'accuse pas encore de l'avoir pillé. Adieu, mes enfans: je remporte du palais patriarcal ce que j'y ai apporté, mon habit, mes tablettes & trois piéces d'argent, que j'ai gagnées à transcrire un pseautier fuivant la régle monastique. Ayant ainsi parlé, il les Tome XVIII. H |