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Oui, Madame, reprit Zarate, Ciel le préviendra. Je fens déja qu'il m'infpire. Ce qui me vient dans l'efprit en ce moment, eft fans doute un avis fecret qu'il me donne. Le Dey ne m'a permis de vous voir, que pour vous porter à répondre à fon amour. Je dois aller lui rendre compte de notre converfation. Il faut le tromper. Je vais lui dire que vous n'êtes pas inconfolable: que la conduite qu'il tient avec vous, commence à foulager vos peines; & que s'il continue, il doit tout efpérer. Secondez-moi de votre côté. Quand il vous reverra, qu'il vous trouve moins trifte qu'à l'ordinaire. Feignez de prendre quelque forte de plaifir à fes difcours.

Quelle contrainte, interrompit Dona Théodora! Comment une ame franche & fincére pourra-t'elle fe trahir jufqueslà ? & quel fera le fruit d'une feinte fi pénible? Le Dey Le Dey, répondit-il, s'aplaudira de ce changement, & voudra, par fa complaifance, achever de vous gagner. Pendant ce tems-là, je travaillerai à votre liberté. L'ouvrage, j'en conviens eft difficile; mais je connois un esclave adroit dont j'espére que l'induftrie ne nous fera pas

inutile.

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Je vous laiffe, pourfuivit-il; l'affaire veut de la diligence. Nous nous reverrons. Je vais trouver le Dey, & tâcher d'amufer par des fables fon impétueufe ardeur. Vous, Madame, préparez vous à le recevoir. Diffimulez. Efforcez-vous. Que vos regards, que fa prefence bleffe, foient defarmez de haine & de rigueur. Que votre bouche, qui ne s'ouvre tous les jours que pour déplorer votre infortune, tienne un langage qui le flâte. Ne craignez point de lui paroître trop favorable. Il faut tout promettre, pour ne rien accorder. C'eft affez, répartit Théodora. Je ferai tout ce que vous me dites, puisque le malheur qui me menace m'impofe cette cruelle néceffité. Allez, Don Juan, employez tous vos foins à finir mon efclavage. Ce fera un furcroit de joye pour moi, fije tiens de vous ma liberté.

Le Tolédan, fuivant l'ordre de Mézomorto, fe rendit auprès de lui: Hé bien! Álvaro, lui dit le Dey avec beaucoup d'émotion, quelles nouvelles m'aportes-tu de la belle Efclave? L'as-tu dispofée à m'écouter? Si tu m'aprens que je ne dois point me flåter de vaincre fa farouche douleur, je jure par la tête du Grand

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Grand Seigneur mon Maître, que j'obtiendrai dès aujourd'hui par la force, ce que l'on refufe à ma complaifance. Seigneur, lui répondit Don Juan, il n'eft pas befoin de faire ce ferment inviolable. Vous ne ferez point obligé d'avoir recours à la violence, pour fatisfaire votre amour. L'Efclave eft une jeune Dame, qui n'a point encore aimé. Elle est fi fiére, qu'elle a rejetté les vœux des premiers Seigneurs d'Efpagne. Elle vivoit en Souveraine, dans fon Pays. Elle fe voit captive ici. Une ame orgueilleufe doit fentir long-tems la différence de fes conditions. Čependant cette fuperbe Espagnole s'accoûtumera comme les autres à l'esclavage. J'ofe même vous dire, que déja fes fers commencent à lui moins pefer. Ces déférences attentives que vous avez pour elle, ces foins refpectueux qu'elle n'attendoit pas de vous, adouciffent fes déplaifirs, & triomphent peu à peu de fa fierté. Ménagez, Seigneur, cette favorable difpofition. Continuez, achevez de charmer cette belle Efclave, par de nouveaux refpects; & vous la verrez bien-tôt renduë à vos defirs, perdre dans vos bras l'amour de la liberté.

Tu me ravis par ce difcours, s'écria

le Dey. L'efpoir que tu me donnes peut tout fur moi. Oui, je retiendrai mon impatiente ardeur, pour mieux la fatisfaire. Mais ne me trompes-tu point? Ou ne t'es-tu pas trompé toi-même! Je vais tout à l'heure entretenir l'Esclave. Je veux voir fi je démêlerai dans fes yeux ces flâteufes aparences que tu y as remarquées. En difant ces paroles, il alla trouver Théodora ; & le Tolédan retourna dans le Jardin, où il rencontra le Jardinier, qui étoit cet Efclave adroit dont il prétendoit employer l'induftrie pour tirer d'efclavage la Veuve de Cifuentes.

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Le Jardinier nommé Francifque étoit Navarrois. Il connoiffoit parfaitement Alger, pour y avoir fervi_plufieurs Patrons avant que d'être au Dey. Francifque mon ami, lui dit Don Juan, vous me voyez très-affligé. Il y a dans ce Palais une jeune Dame des plus confidérables de Valence. Elle a prié Mézomorto de taxer lui-même fa rancon; mais il ne veut pas qu'on la rachete, parce qu'il en eft amoureux. Et pourquoi cela vous chagrine-t'il fi fort, lui dit Francifque? C'eft que je fuis de Ja mème Ville répartit le Tolédan. Ses parens & les miens font intimes

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amis, il n'eft rien que je ne fuffe capable de faire pour contribuer à la mettre en liberté.

Quoique ce ne foit pas une chofe aifée, repliqua Francifque, j'ofe vous asfurer que j'en viendrois à bout, fi les parens de la Dame étoient d'humeur à bien payer ce fervice. N'en doutez pas, répartit Don Juan; je réponds de leur reconnoiffance, & fur-tout de la fienne. On la nomme Dona Théodora. Elle eft Veuve d'un homme qui lui a laiffé de grands biens; & elle eft aufli généreufe que riche. En un mot, je fuis Efpagnol, & noble ; ma parole doit

vous fuffire.

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Hé bien! reprit le Jardinier, fur la foi de votre promeffe je vais chercher un Renégat Catalan que je connois, & lui propofer... Que dites-vous, interrompit le Tolédan tout furpris? Vous pourriez vous fier à un miférable, qui n'a pas eu honte d'abandonner fa Religion pour. Quoique Renégat, interrompit à fon tour Francifque, il ne laille pas d'être honnête homme. Il me paroît plus digne de pitié, que de haine; & je le trouverois excufable, fi fon crime pouvoit recevoir quelque excufe. Voici fon Hiftoire en deux mots.

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