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droit de vivre plus familiérement avec deux des Ecoliers dont la Nobleffe auroit pu l'obliger à fe contraindre. Il aimoit tant la joye & la bonne chére, & il ménagea fi peu fa bourse, qu'au bout de quinze mois, l'argent lui manqua. Il ne laila pas toutefois de rouler encore, tant par le crédit qu'on lui fit, que par quelques piftoles qu'il emprunta. Mais cela ne put le mener loin; & il demeura bien-tôt fans reffource.

Alors fes amis, le voyant hors d'état de faire de la dépenfe, cefférent de le voir, & fes créanciers commencérent à le tourmenter. Quoiqu'il affurât ceuxci, qu'il alloit inceffamment recevoir des Lettres de change de fon Pays, quelques-uns s'impatientérent, & le pourfuivirent même fi vivement en Justice qu'ils étoient fur le point de le faire emprifonner, lorfqu'en fe promenant fur les bords de la Riviére de Tormez, rencontra une perfonne de fa connoisfance, qui lui dit: Seigneur Don Pablos, prenez garde à vous, je vous avertis qu'il y a un Alguazil & des Archers à vos trouffes. Ils prétendent vous mettre la main fur le collet, quand vous rentrerez dans la Ville.

il

Bahabon, effrayé d'un avis qui ne s'accordoit

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cordoit que trop avec l'état de fes affaires, prit fur le champ la fuite, & le chemin de Corita. Mais il quitta la route de ce Bourg, pour gagner un bois qu'il aperçut dans la campagne, & dans lequel il s'enfonça, refolu de s'y tenir caché, jufqu'à ce que la nuit vint lui prêter fes ombres, pour continuer fa marche plus fûrement. C'étoit dans la faifon où les arbres font parez de toutes leurs feuilles. Il choifit le plus touffu pour y monter, & s'y affit fur des branches qui l'envelopoient de leurs feuillages.

Se croyant en fureté dans cet endroit, il perdit peu à peu la crainte de l'Alguazil, & comme les hommes font ordinairement les plus belles réflexions du monde, quand les fautes font commifes il fe reprefenta toute fa mauvaise conduite, & fe promit bien à lui-même, fi jamais il fe revoyoit en fonds, de faire un meilleur ufage de fon argent. Il jura fur-tout qu'il ne feroit jamais la dupe de ces faux amis, qui entraînent un jeune homme dans la débauche, & dont l'amitié fe diffipe avec les fumées du vin.

Tandis qu'il s'occupoit des différentes penfées qui fe fuccédoient les unes

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aux

aux autres dans fon efprit, la nuit furvint. Alors fe démêlant d'entre les branches & les feuilles qui le couvroient, il étoit prêt à fe couler en bas, lorsqu'à la foible clarté d'une nouvelle Lune, il crut difcerner une figure d'homme. A cette vue, qui lui rendit fa premiére peur, il s'imagina que c'étoit l'Alle guazil, qui l'ayant fuivi à la pilte, cherchoit dans ce bois; & fa frayeur redoubla, quand il vit qu'au pied du même arbre fur lequel il étoit, cet homme s'allit, après en avoir fait le tour deux ou trois fois.

Le Diable Boiteux s'interrompit luimême en cet endroit de fon recit: Sei

gneur Zambulo dit-il à Don Cléofas, permettez-moi de jouir un peu de l'embarras où je mets votre efprit en ce moment. Vous êtes fort en peine de fçavoir qui pourroit être ce mortel qui fe trouvoit-là fi mal à propos, & ce qui l'y amenoit? C'eit ce que vous aprendrez bien-tôt. Je n'abuferai point de votre patience.

Cet homme, après s'être affis au pied de l'arbre, dont l'épais feuillage déroboit à fes yeux Don Pablos, s'y repofa quelques inftans. Puis il fe mit à creufer la terre avec un poignard, &

fit une profonde foffe, où il enterra un fac de buffle. Enfuite il combla la fosfe, la recouvrit proprement de gazon, & fe retira. Bahabon, qui avoit obfervé tout avec une extrême attention, & dont les allarmes s'étoient changées en tranfport de joye, attendit que l'homme fe fût éloigné, pour defcendre de fon arbre & aller déterrer le fac, où il ne doutoit pas qu'il n'y eût de l'or ou de l'argent. Il fe fervit pour cela de fon couteau; mais quand il n'en auroit pas eu, il fe fentoit tant d'ardeur pour ce travail, qu'avec fes feules mains, il auroit pénétré jufqu'aux entrailles de la Terre.

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D'abord qu'il eut le fac en fa puisfance, il fe mit à le tâter, & perfuadé qu'il y avoit dedans des efpéces il fe hâta de fortir du bois avec fa proye, craignant alors beaucoup moins la rencontre de l'Alguazil, que celle de l'homme à qui le fac apartenoit. Dans le raviffement où cet Ecolier étoit d'avoir fait un fi bon coup, il marcha legérement toute la nuit, fans tenir de route affurée, fans fe fentir fatigué, ni incommodé du fardeau qu'il portoit. Mais à la pointe du jour, il s'arrêta fous des arbres, affez près du Bourg de MoloriI 3

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do, moins, à la vérité, pour fe repofer, que pour fatisfaire enfin la curiofité qu'il avoit de fçavoir ce que fon fac renfermeit. Il le délia donc, avec ce frémiffement agréable qui vous faifit au moment que vous allez prendre un grand plaifir. Il y trouva de bonnes doubles piftoles, & pour comble de joye, il en compta jufqu'à deux cens cinquante.

Après les avoir contemplées avec volupté, il rêva fort férieufement à ce qu'il devoit faire; & lorfqu'il eut formé fa réfolution, il ferra fes doublons dans fes poches, jetta le fac de buffle, & se rendit à Molorido. Il s'y fit enfeigner une Hôtellerie, où tandis qu'on lui préparoit à déjeûner, il loua une mule, fur laquelle il retourna dès ce jour-là même à Salamanque.

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Il s'aperçut bien à la furprise qu'on y fit paroître en le revoyant, que l'on n'ignoroit pas pourquoi il s'étoit éclipfé; mais il avoit fa fable toute prête. Il dit qu'ayant befoin d'argent & que n'en recevant point de fon pays, quoiqu'il y eût écrit vingt fois pour qu'on lui en envoyât, il s'étoit déterminé à y faire un tour; & que le foir précédent, comme il arrivoit à Molorido

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