Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Il rencontra le lendemain dans la rue un de fes amis, qui n'étoit guéres mieux que lui dans fes affaires, & qui lui dit: Je parts dans deux jours pour aller m'embarquer à Cadix, où bien-tôt un vaiffeau doit mettre à la voile pour la nouvelle Efpagne. Je ne fuis pas content de ma condition dans ce Pays-ci, & le coeur me dit que je ferai plus heureux au Méxique. Je vous confeillerois de m'accompagner, fi vous aviez devant vous cent écus feulement.

Je ne ferois pas en peine d'en avoir deux cens, répondit Piquillo; j'entreprendrois volontiers ce voyage, fi j'étois fûr de gagner ma vie aux Indes. La-deffus, fon ami lui vanta la fertilité de la Nouvelle Efpagne, & lui fit envifager tant de moyens de s'y enrichir, qu'Ambrofio fe laiffant perfuader, ne penfa plus qu'à fe préparer à partir avec lui pour Cadix. Mais avant que de quitter Salamanque, il eut foin de faire tenir une Lettre à Bahabon par laquelle il lui mandoit, que trouvant une belle occafion de paffer aux Indes il vouloit en profiter, pour voir fi la fortune lui feroit plus favorable ailleurs, que dans fon Pays:

[ocr errors]
[ocr errors]

cet avis,

qu'il prenoit la liberté de lui donner en l'affurant qu'il conferveroit éternellement le fouvenir de fes bontez.

Le départ d'Ambrofio caufa quelque chagrin à Don Pablos, qui voyoit parlà déconcerter le deffein qu'il avoit de s'acquitter peu-à-peu. Mais confidérant que dans quelques années ce Bourgeois pourroit revenir à Salamanque il fe confola infenfiblement, & s'attacha plus que jamais à l'étude du Droit Civil & du Droit Canon. Il y fit de fi grands progrès, tant par fon aplication, que par la vivacité de fon efprit, qu'il devint le plus brillant fujet de l'Univerfité, qui le choifit enfin pour fon Rec teur. Il ne fe contenta pas de foutenir cette dignité par une profonde fcience; il travailla fi fort fur lui, qu'il âquit toutes les vertus d'un homme de bien.

Pendant fon Rectorat, il aprit qu'il y avoit dans les prifons de Salamanque un jeune Garçon accufé de Rapt, & prêt à perdre la vie. Alors fe reffouvenant que le fils de Piquillo avoit enlevé une femme il s'informa qui étoit ce prifonnier, & ayant découvert que c'étoit le fils d'Ambrofio, lui-même, il entreprit la défenfe. Ce qu'il y a d'admirable

[ocr errors]

mirable dans la Science des Loix, c'eft qu'elle fournit des armes pour & contre; & comme notre Recteur la poffédoit à fond il s'en fervit fort utilement pour l'accufé. Il eft bien vrai qu'il joignit à cela le crédit de fes amis, & les plus fortes follicitations: ce qui opéra plus que tout le refte.

Le coupable fortit donc de cette affaire plus blanc que la neige. Il alla remercier fon Libérateur qui lui dit : C'est à la confidération de votre pere, que je vous ai rendu fervice. Je l'aime; & pour vous en donner une nouvelle marque, fi vous voulez demeurer dans cette Ville, & y mener une vie d'honnète homme, j'aurai foin de votre fortune. Si à l'exemple d'Ambrofio, vous fouhaitez de faire le Voyage des Indes, vous pouvez compter fur cinquante pistoles. Je vous en fais bon. Le jeune Piquillo lui répondit: puifque j'ai le bonheur d'etre protégé de votre Seigneurie, j'aurois tort de m'éloigner d'un féjour où je jouis d'un fi grand avantage. Je ne fortirai point de Salamanque, & je vous protefte d'y tenir une conduite dont vous ferez fatisfait. Sur cette affurance, le Recteur lui mit dans la main une vingtaine de pistoles,en lui difant:

difant :

Tenez, mon ami atta

&

chez-vous à quelque honnête profesfion; employez bien votre tems, foyez fûr que je ne vous abandonnerai point.

[ocr errors]

,

il

Deux mois après cette avanture arriva que le jeune Piquillo, qui de tems en tems venoit faire fa cour à Don Pablos, parut un jour tout en pleurs devant lui. Qu'avez-vous, lui dit Bahabon? Seigneur, répondit le fils d'Ambrofio, je viens d'aprendre une nouvelle qui me déchire le coeur. Mon pere a été pris par un Corfaire Algérien, & il eft actuellement dans les fers. Un Vieillard de Salamanque qui revient d'Alger, où il a été dix ans captif, & que les Peres de la Merci ont racheté depuis peu, m'a dit tout à l'heure l'avoir laiffé dans l'efclavage. Hélas! ajoûta-t'il, en fe frapant la poitrine & s'arrachant les cheveux, miférable que je fuis! C'eft moi dont le libertinage a réduit mon pere à cacher fon argent, & à fé bannir de fa Patrie! C'est moi qui l'ai livré au Barbare qui l'accable de chaînes! Ah! Seigneur Don Pablos, pourquoi m'avez-vous tiré des mains de la Jultice? Puifque vous aimez_mon pere, il falloit être fon vengeur, & me laiffer

laiffer expier par ma mort, le crime d'avoir caufé tous fes malheurs.

A ce difcours, qui marquoit un fripon de fils converti, le Recteur fut touché de la douleur que le jeune Piquillo faifoit paroître. Mon enfant, lui dit-il, je vois avec plaifir que vous vous repentez de vos fautes paffées ; mais effuyez vos larmes, il fuffit que je fçache ce qu'Ambrofio eft devenu,

pour vous affurer que vous le reverrez: Sa délivrance ne dépend que d'une rançon dont je me charge. Quelques maux qu'il puiffe avoir foufferts, je fuis perfuadé qu'à fon retour trouvant en vous un fils fage & plein de tendreffe pour lui, il ne fe plaindra pas de fon mauvais fort.

Don Pablos, par cette promeffe, renvoya le fils d'Ambroife tout confolé: & trois ou quatre jours après il partit pour Madrid, où étant arrivé, il remit aux Religieux de la Merci une bourse où il y avoit cent piftoles, avec un petit papier fur lequel ces paroles étoient écrites: Cette fomme eft donnée aux Peres de la Rédemption, pour le rachat d'un pauvre Bourgeois de Salamanque, apellé Ambrofio Piquillo, Captif à Alger. Ces bons Religieux, dans ce voyage qu'ils

« AnteriorContinuar »