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prefque toutes les nuits le Duc dans l'apartement de Madame. Je me fuis caché, pour éclaircir mes foupçons; & je ne fuis que trop perfuadé qu'ils font juftes.

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A ce difcours, je me levai tout fu rieux; je pris ma robe de chambre & mon épée & marchai vers l'apartement de ma femme, accompagné de Fabio qui portoit de la lumiére. Au bruit que nous fimes en entrant, le Duc, qui étoit affis fur le lit, fe leva, & prenant un piftolet qu'il avoit à fa ceinture, il vint au-devant de moi, & me tira, mais ce fut avec tant de trouble & de précipitation, qu'il me manqua. Alors je m'avançai fur lui brufquement, & lui enfonçai mon épée dans le cœur. Je m'adreffai enfuite à ma femme, qui étoit plus morte que vive: Et toi, lui dis-je, infâme, reçois le prix de toutes tes perfidies. En difant cela, je lui plongeai dans le fein mon épée, toute fumante du fang de fon Amant.

Je condamne mon emportement, Seigneur Don Fadrique, & j'avoue que j'aurois pu affez punir une époufe infidèle, fans lui ôter la vie. Mais quel homme pourroit conferver fa raifon dans une pareille conjoncture? Peignez

Vous

vous cette perfide femme, attentive à ma maladie; reprefentez-vous toutes fes démonstrations d'amitié, toutes les circonftances, toute l'énormité de fa trahifon; & jugez, fi l'on ne doit point pardonner fa mort, a un mari qu'une fi jufte fureur animoit.

Pour achever cette tragique Hiftoire en deux mots: Après avoir pleinement affouvi ma vengeance, je m'habillai à la hâte. Je jugeai bien, que je n'avois pas de tems à perdre; que les parens du Duc me feroient chercher par toute P'Espagne, & que le crédit de ma famille ne pouvant balancer le leur je ne ferois en fûreté que dans un Pays étranger. C'eft pourquoi je choifis deux de mes meilleurs chevaux, & avec tout ce que j'avois d'argent & de pierreries je fortís de ma maifon avant le jour, fuivi du Valet qui m'avoit fi bien prouvé fa fidélité. Je pris la route de Valence, dans le deffein de me jetter dans le premier vaiffeau qui feroit voile vers l'Italie. Comme je paffois aujourd'hui près du bois où vous étiez j'ai ren contré Dona Théodora, qui m'a prié de la fuivre, & de l'aider à vous fépa

.rer.

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Après que le Tolédan eut achevé de

parler,

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parler, Don Fadrique, lui dit: Seigneur Don Juan vous vous êtes justement vengé du Duc de Naxera. Soyez fans inquiétude fur les pourfuites que fes parens pourront faire. Vous demeurerez, s'il vous plaît chez moi en attendant l'occafion de paffer en Italie. Mon oncle eft Gouverneur de Valence. Vous ferez plus en fureté ici qu'ailleurs ; & vous y ferez avec un homme qui veut être uni deformais avec vous d'une étroite amitié.

Zarate répondit à Mendoce dans des termes pleins de reconnoiffance, & accepta l'azyle qu'il lui prefentoit. Admirez la force de la fympathie, Seigneur Don Cléofas, pourfuivit Afmodée; ces deux jeunes Cavaliers fe fentirent tant d'inclination l'un pour l'autre, qu'en peu de jours il fe forma entre eux une amitié comparable à celle d'Orefte & de Pilade. Avec un mérite égal, ils avoient ensemble un tel raport d'humeur, que ce qui plaifoit à Don Fadrique, ne manquoit pas de plaire à Don Juan. C'étoit le même caractére. Enfin, ils étoient faits pour s'aimer. Don Fadrique, fur-tout, étoit enchanté des maniéres de fon ami. Il ne pouvoit

voit même s'empêcher de les vanter à tout moment à Dona Théodora.

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Ils alloient fouvent tous deux chez cette Dame, qui voyoit toujours avec indifférence les foins & les affiduitez de Mendoce. Il en étoit très-mortifié, & s'en plaignoit quelquefois à fon ami qui, pour le confoler, lui difoit, que les femmes les plus infenfibles fe laiffoient enfin toucher : qu'il ne manquoit aux Amans que la patience d'attendre ce tems favorable qu'il ne perdit point courage: que fa Dame, tôt ou tard récompenferoit fes fervices. Ce discours, quoique fondé fur l'expérience, ne raffuroit point le timide Mendoce, qui craignoit de ne pouvoir jamais plaire à la Veuve de Cifuentes. Cette crainte le jetta dans une langueur, qui faifoit pitié à Don Juan. Mais Don Juan fut bien-tôt plus à plaindre que lui.

Quelque fujet qu'eût ce Tolédan d'être révolté contre les femmes, après l'horrible trahifon de la fienne; il ne put fe défendre d'aimer Dona Théodora. Cependant, loin de s'abandonner à une paffion qui offenfoit fon ami, il ne fongea qu'à la combattre; &, perfuadé qu'il ne la pouvoit vaincre qu'en s'éloi

s'éloignant des yeux qui l'avoient fait naître, il réfolut de ne plus voir la Veuve de Cifuentes. Ainfi lorfque Mendoce le vouloit mener chez elle il trouvoit toujours quelque prétexte pour s'en excufer.

D'une autre part, Don Fadrique n'al loit pas une fois chez la Dame, qu'elle ne lui demandât pourquoi Don Juan ne la venoit plus voir. Un jour qu'elle lui faifoit cette question, il lui répondit en fouriant, que fon Ami avoit fes raisons. Et quelles raifons peut-il avoir de me fuir, dit Dona Théodora? Madame répartit Mendoce > comme je voulois aujourd'hui vous l'amener, & que je lui marquois quelque furprife fur ce qu'il refufoit de m'accompagner, il m'a fait une confidence, qu'il faut que je vous révéle pour le juftifier. Il m'a dit, qu'il avoit fait une Maîtreffe, & que n'ayant pas beaucoup de tems à demeurer dans cette Ville, les momens lui étoient chers.

Je ne fuis point fatisfaite de cette excufe, reprit en rougiffant la Veuve de Cifuentes. Il n'eft pas permis aux Amans, d'abandonner leurs Amis. Don Fadrique remarqua la rougeur de Dona Théodora. Il crut que la vanité feule

en

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