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en étoit la caufe rougir la Dame,

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& que ce qui faifoit n'étoit qu'un fimple dépit de fe voir négligée. Il fe trompoit dans fa conjecture. Un mouvement, plus vif que la vanité, excitoit l'émotion qu'elle laiffoit paroître: mais, de peur qu'il ne démêlât fes fentimens elle changea de difcours & affecta 9 pendant le reste de l'entretien, un enjouement qui auroit mis en défaut la pénétration de Mendoce, quand il n'auroit pas d'abord pris le change.

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Auffi-tôt que la Veuve de Cifuentes fe trouva feule, elle tomba dans une profonde rêverie. Et fentit alors toute la force de l'inclination qu'elle avoit conçue pour Don Juan, & la croyant plus mal récompensée qu'elle ne l'étoit. Quelle injufte & barbare puiffance, dit-elle en foupirant, fe plaît à enflâmer des cœurs qui ne s'accordent pas? Je n'aime point Don Fadrique qui m'adore, & je brûle pour Don Juan: dont une autre que moi occupe la penfée! Ah! Mendoce, ceffe de me reprocher mon indifférence; ton Ami t'en venge affez.

A ces mots, un vif fentiment de douleur & de jaloufie lui fit répandre quel ques larmes; mais l'efpérance, qui fçait adoucir

vint

adoucir les peines des Amans, bien-tôt reprefenter à fon efprit de flâteufes images. Elle fe reprefenta, que fa Rivale pouvoit n'être pas fort dangereufe: que Don Juan étoit peut-être moins arrêté par fes charmes, qu'amufé par fes bontés ; & que de fi foibles liens n'étoient pas difficiles à défaire. Pour juger elle-même de ce qu'elle en devoit croire, elle réfolut d'entretenir en particulier le Tolédan. Elle le fit avertir de fe trouver chez elle. Il s'y rendit; & quand ils furent tous deux feuls Dona Théodora prit ainfi la parole.

Je n'aurois jamais penfé, que l'amour pût faire oublier à un galant homme ce qu'il doit aux Dames. Néanmoins, Don Juan, vous ne venez plus chez moi, depuis que vous êtes amoureux. J'ai fujet, ce me femble, de mè plaindre de vous. Je veux croire toutefois, que ce n'eft point de votre propre mouvement que vous me fuyez. Votre Dame vous aura fans doute défendu de me voir. Avoüez le moi, Don Juan, & je vous excufe. Je fçai que les Amans ne font pas libres dans leurs actions, & qu'ils n'oferoient defobéir à leurs Maîtreffes.

Madame, répondit le Tolédan, je

con

conviens que ma conduite doit vous étonner; mais, de grace, ne fouhaitez pas que je me juftifie. Contentez-vous d'aprendre que j'ai raifon de vous éviter. Quelle que puiffe être cette raifon, reprit Dona Théodora toute émuë je veux que vous me la difiez. Hé bien! Madame, répartit Don Juan, il faut vous obéir: mais ne vous plaignez fi vous entendez plus que vous

pas,

n'en voulez fçavoir.

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Don Fadrique, pourfuivit-il, vous a raconté l'avanture qui m'a fait quitter la Caftille. En m'éloignant de Toléde, le cœur plein de reffentiment contre les femmes, je les défiois toutes de me jamais furprendre. Dans cette fiére difpofition, je m'aprochai de Valence; je vous rencontrai: &, ce que perfonne encore n'a pu faire peut-être, je foutins vos premiers regards fans en être troublé. Je vous ai revûe même depuis, impunément. Mais, hélas! que j'ai payé cher quelques jours de fierté! Vous avez enfin vaincu ma résistance: votre beauté, votre efprit tous vos charmes fe font exercez fur un rebelle; en un mot, j'ai pour vous tout l'amour que vous êtes capable d'infpirer.

Voilà,

Voilà, Madame, ce qui m'écarte de vous. La perfonne dont on vous a dit que j'étois occupé, n'eft qu'une Dame imaginaire. C'eft une fauffe confidence, que j'ai faite à Mendoce, pour prévenir les foupçons que j'aurois pu lui donner, en refufant toujours de vous venir voir avec lui.

Ce difcours, à quoi Dona Théodora ne s'étoit point attenduë, lui caufa une fi grande joye, qu'elle ne put l'empêcher de paroître. Il eft vrai, qu'elle ne fe mit point en peine de la cacher, & qu'au lieu d'armer fes yeux de quelque rigueur, elle regarda le Tolédan d'un air affez tendre, & lui dit : Vous m'avez apris votre fecret, Don Juan; je veux auffi vous découvrir le mien. Ecoutez-moi.

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Infenfible aux foupirs d'Alvaro Ponce, peu touchée de l'attachement de Mendoce, je menois une vie douce & tranquille lorfque le hazard vous fit paffer près du bois où nous nous rencontrâmes. Malgré l'agitation où j'étois alors, je ne laiffai pas de remarquer, que vous m'offriez votre fecours de très bonne grace; & la maniére avec laquelle vous fçûtes féparer deux Rivaux furieux, me fit concevoir une opinion

opinion fort avantageufe de votre adresfe & de votre valeur. Le moyen que vous propofates pour les accorder, me déplût. Je ne pouvois, fans beaucoup de peine, me réfoudre à choifir l'un ou l'autre. Mais pour ne vous rien déguifer, je crois que vous aviez déja un peu de part à ma répugnance. Car dans le même moment que forcée par la néceffité, ma bouche nomma Don Fa drique, je fentis que mon cœur fe déclaroit pour l'Inconnu. Depuis ce jour, que je dois apeller heureux, après l'aveu que vous m'avez fait, votre mérite a augmenté l'eftime que j'avois pour

vous.

Je ne vous fais pas, continua-t'elle, un myftére de mes fentimens. Je vous, les déclare avec la même franchife, que j'ai dit à Mendoce que je ne l'aimois point. Une femme qui a le malheur de Te fentir du panchant pour un Amant qui ne fçauroit être à elle, à raifon de fe contraindre, & de fe venger du moins de fa foibleffe, par un filence éternel; mais je crois que l'on peut fans fcrupule découvrir une tendreffe innocente, à un homme qui n'a que des vues légitimes. Oui, je fuis ravie que vous m'aimiez; & j'en rends graces au Ciel,

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