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efpérances. Hélas! dévrois-je croire que Dona Théodora pourroit vous voir long-tems fans vous aimer fans fe rendre à ces charmes, dont j'ai moi-même éprouvé le pouvoir? Vous êtes un véritable Ami. Je n'impute plus mon malheur, qu'à la fortune; & loin de vous hair, je fens augmenter pour vous ma tendreffe. Hé quoi! vous renoncez pour moi à la poffeffion de Dona Théodora? Vous faites à notre amitié un fi grand facrifice, & je n'en ferois pas touché? Vous pouvez dompter votre amour, & je ne ferois pas un effort pour vaincre le mien? Je dois répondre à votre générosité, Don Juan, fuivez le panchant qui vous entraîne: époufez la Veuve de Cifuentes. Que mon cœur, s'il veut, en gémiffe Mendoce vous en preffe.

Vous m'en preffez en vain, repliqua Zarate. J'ai pour elle, je le confeffe, une paffion violente; mais votre repos m'eft plus cher que mon bonheur. Et le repos de Théodora, reprit Don Fadrique, vous doit-il être indifférent? Ne nous flâtons point. Le panchant qu'elle a pour vous, décide de mon fort. Quand vous vous éloignerez d'elle; quand pour me la céder, vous iriez C 6 loin

loin de fes yeux traîner une vie déplorable, je n'en ferois pas mieux. Puifque je n'ai pû lui plaire jufqu'ici, je ne lui plairai jamais. Le Ciel n'a réfervé cette gloire qu'à vous feul. Elle vous a aimé dès le premier moment qu'elle vous a vû. Elle a pour vous une inclination naturelle. En un mot, elle ne fçauroit être heureuse qu'avec vous. Recevez donc la main qu'elle vous prefente. Comblez fes defirs & les vôtres. Abandonnez-moi à mon infortune, & ne faites pas trois miférables, lorsqu'un feul peut épuifer toute la rigueur du Deftin.

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- Afmodée, en cet endroit, fut obligé d'interrompre fon recit, pour écouter l'Ecolier, qui lui dit: Ce que vous me racontez eft furprenant. Y'a-t'il en effet des gens d'un fi beau caractére? Je ne vois dans le monde que des amis qui fe brouillent, je ne dis pas pour des Maitrelles comme Dona Théodora mais pour des coquettes fieffées. Un Amant peut-il renoncer à un objet qu'il adore & dont il eft aimé, de peur de rendre un Ami malheureux? Je ne croyois cela poffible que dans la nature du Roman, où l'on peint les hommes tels qu'ils dévroient être, plûtôt que tels

qu'ils font. Je demeure d'accord, répondit le Diable, que ce n'eft pas une chofe fort ordinaire; mais elle eft nonfeulement dans la nature du Roman, elle eft auffi dans la belle nature de l'homme. Cela eft fi vrai, que depuis le Déluge, j'en ai vû deux exemples, y compris celui-ci. Revenons à mon Hiftoire.

Les deux Amis continuérent à fe faire un facrifice de leur paffion; & l'un ne voulant point céder à la générosité de l'autre, leurs fentimens amoureux demeurérent fufpendus pendant quelques jours. Ils cefférent de s'entretenir de Théodora: Ils n'ofoient plus même prononcer fon nom. Mais tandis que l'Amitié triomphoit ainfi de l'Amour dans la ville de Valence, l'Amour, comme pour s'en venger, régnoit ailleurs avec tyrannie, & fe faifoit obéir fans réfis

tance.

Dona Théodora s'abandonnoit à fa tendreffe, dans fon Chateau de Villaréal, fitué près de la mer. Elle penfoit fans ceffe à Don Juan, & ne pouvoit perdre l'efpérance de l'époufer; quoiqu'elle ne dût pas s'y attendre, après les fentimens d'amitié qu'il avoit fait éclater pour Don Fadrique.

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Un

Un jour, après le coucher du Soleil, comme elle prenoit fur le bord de la mer le plaifir de la promenade avec une de fes femmes, elle aperçut une petite chaloupe qui venoit gagner le rivage. Il lui fembla d'abord qu'il y avoit dedans fept à huit hommes de fort mauvaife mine; mais après les avoir vus de plus près, & confidérez avec plus d'attention, elle jugea qu'elle avoit pris des mafques pour des vifages. En effet, c'étoient des gens mafquez, & tous armez d'épées & de bayonnettes.

Elle frémit à leur afpect, & ne tirant pas un bon augure de la defcente qu'ils fe préparoient à faire, elle tourna brusquement fes pas vers le Château. Elle regardoit de tems en tems derriére elle pour les obferver, & remarquant qu'ils avoient pris terre, & qu'ils commençoient à la pourfuivre, elle fe mit à courir de toute fa force. Mais comme elle ne couroit pas fi bien qu'Atalante, & que les Mafques étoient legers & vigoureux, ils la joignirent à la porte du Chàteau, & l'arrêtérent.

La Dame & la fille qui l'accompagnoit, poufférent de grands cris, qui attirérent auffi-tôt quelques Domestiques; & ceux-ci donnant l'allarme au Châ

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teau, tous les Valets de Dona Théodora accoururent bien-tôt, armez de fourches & de bâtons. Cependant deux hommes des plus robuftes de la troupe masquez, après avoir pris entre leurs bras la Maîtreffe & la fuivante, les emportoient vers la chaloupe, malgré leur réfiftance; pendant que les autres faifoient tête aux gens du Château, qui commencérent à les preffer vivement. Le combat fut long: mais enfin, les hommes mafquez exécutérent heureufement leur entreprife, & regagnérent leur chaloupe en fe battant en retraite. Il étoit tems qu'ils fe retiraffent, car ils n'étoient pas encore tous embarquez qu'ils virent paroître du côté de Valence quatre ou cinq Cavaliers qui piquoient à outrance, & fembloient vouloir venir au fecours de Théodora. A cette vue, les Raviffeurs fe hâtérent fi bien de prendre le large, que l'empresfement des Cavaliers fut inutile.

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Ces Cavaliers étoient Don Fadrique & Don Juan. Le premier avoit reçu ce jour-là une lettre, par laquelle on lui mandoit, que l'on avoit apris de bonne part, qu'Alvaro Ponce étoit dans l'Isle de Majorque; qu'il avoit équipé une espèce de Tartane, & qu'avec une ving

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