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taine de gens qui n'avoient rien à perdre, il fe propofoit d'enlever la Veuve de Cifuentes, la premiére fois qu'elle feroit dans fon Château. Sur cet avis, le Tolédan & lui, avec leurs Valets-dechambre, étoient partis de Valence fur le champ, pour venir aprendre cet attentat à Dona Théodora. Ils avoient découvert de loin, fur le bord de la mer un affez grand nombre de perfonnes qui paroiffoient combattre les uns contre les autres, & foupçonnant que ce pouvoit être ce qu'ils craignoient, ils pouffoient leurs chevaux à toute bride, pour s'opofer au projet de Don Alvar. Mais quelque diligence qu'ils puffent faire ils n'arrivérent que pour être témoins de l'enlévement qu'ils vouloient prévenir.

Pendant ce tems-là, Alvaro Ponce, fier du fuccès de fon audace, s'éloignoit de la côté avec fa proye, & fa chaloupe alloit joindre un petit vaiffeau armé qui l'attendoit en pleine mer. Il n'eft pas posfible de fentir une plus vive douleur, que celle qu'eurent Mendoce & Don Juan. Ils firent mille imprécations contre Don Alvar, & remplirent l'air de plaintes aufli pitoyables que vaines. Tous les Domeftiques de Théodora, animez par

un

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un fi bel exemple,__ n'épargnérent point les lamentations. Tout le rivage retentiffoit de cris. La fureur, le defefpoir la defolation régnoient fur ces triftes bords. Le raviffement d'Héléne ne caufa point, dans la Cour de Sparte grande confternation.

une fi

CHAPITRE III.

Du démêlé d'un Poëte Tragique, avec un Auteur Comique.

'Ecolier ne put s'empêcher d'interrompre le Diable en cet endroit : Seigneur Afmodée, lui dit-il, il n'y a pas moyen de réfifter à la curiofité que j'ai de fçavoir ce que fignifie une chofe qui attire mon attention, malgré le plaifir que je prens à vous écouter. Je remarque dans une chambre, deux hommes en chemife qui fe tiennent à la gorge & aux cheveux, & plufieurs perfonnes en robe de chambre, qui s'empresfent à les féparer. Aprenez-moi, je vous prie, ce que tout cela veut dire. Le Démon, qui ne cherchoit qu'à le con

tenter,

tenter, lui donna fur le champ cette fatisfaction, de la maniére fuivante.

Les Perfonnages que vous voyez en chemife & qui fe battent, lui dit-il, font deux Auteurs François ; & les gens qui les féparent, font deux Allemands, un Flamand & un Italien. Ils de

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meurent tous dans la même maison qui eft un Hôtel garni, où il ne loge guéres que des Etrangers. L'un de ces Auteurs fait des Tragédies, & l'autre des Comédies. Le premier, pour quelque defagrément qu'il a effuyé en France, eft venu en Efpagne; & le dernier, peu content de fa condition à Paris, a fait le même voyage dans l'efpérance de trouver à Madrid une meilleure fortune.

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Le Poëte tragique eft un efprit vain & préfomptueux, qui s'eft fait, en dépit de la plus faine partie du Public une affez grande réputation dans fon Pays. Pour tenir fa Mufe en haleine, il compofe tous les jours. Ne pouvant dormir cette nuit, il a commencé une Piéce, dont il a tiré le fujet de l'Iliade. Il en a fait une Scène ; & comme fon moindre défaut eft d'avoir, ainfi que fes confréres une demangeaifon continuelle d'affaffiner les gens du recit de

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fes Ouvrages, il s'est levé

a pris fa

chandelle, & tout en chemife eft venu fraper rudement à la porte de l'Auteur comique, qui faifant un meilleur ufage de fon tems dormoit d'un profond fommeil.

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Celui-ci s'eft réveillé au bruit, & eft allé ouvrir à l'autre, qui d'un air de poffédé, lui a dit en entrant: Tombez, mon ami, tombez à mes genoux: Adorez un Génie que Melpoméne favorife. Je viens d'enfanter des Vers... Mais, que dis-je, je viens? C'eft Apollon luimême qui me les a dictez. Si j'étois à Paris, j'irois les lire aujourd'hui de maifon en maifon. J'attens quil foit jour, pour en aller charmer Monfieur notre Ambaffadeur auffi-bien que tous les François qui font à Madrid. Avant que je les montre à perfonne, je veux vous les reciter.

Je vous remercie de la préférence, a répondu l'Auteur comique, en baillant de toute fa force. Ce qu'il y a de fàcheux! c'eft que vous prenez un peu mal votre tems: Je me fuis couché fort tard; le fommeil m'accable; & je ne réponds pas que j'entende, fans me rendormir, tous les Vers que vous avez à me dire. Oh! j'en réponds bien

moi,

moi, a repris le Poëte tragique. Quand vous feriez mort, la Scène que je viens de compofer, feroit capable de vous rapeller à la vie. Ma verfification n'est point un affemblage de fentimens communs & d'expreffions triviales, que la rime feule foutienne; c'eft une Poëfie mâle qui émeut le cœur & frape l'esprit. Je ne fuis pas de ces Poëtereaux, dont les pitoyables nouveautez ne font que paffer fous la Scène comme des ombres, & vont à Utique divertir les Afriquains; mes Piéces, dignes d'être confacrées avec ma ftatue dans la Bibliothéque Palatine, ont encore la foule, après trente reprefentations. Mais venons, ajoûta ce Poëte modefte, venons aux Vers dont je veux vous donner l'é

trenne.

Voici ma Tragédie: La mort de Patrocle. Scène premiére. Briféïde, & les autres captives d'Achille paroisfent. Elles s'arrachent les cheveux, & fe frapent le fein, pour témoigner la douleur qu'elles ont de la perte de Patrocle. Elles ne peuvent pas même fe foutenir; abattues par leur defefpoir, elles fe laiffent tomber fur le Théatre. Vous me direz que cela eft un peu hazardé; mais c'est ce que je recherche. Que

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