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Que les petits génies fe tiennent dans les bornes étroites de l'imitation, fans ofer les franchir; à la bonne heure: il y a de la prudence dans leur timidité. Pour moi, j'aime le nouveau; & je tiens que, pour émouvoir & ravir les Spectateurs il faut leur prefenter des images aufquelles ils ne s'attendent point.

Les Captives font donc couchées par terre. Phoenix, Gouverneur d'Achille, eft avec elles. Il les aide à fe relever l'une après l'autre. Enfuite, il commence la Protafe par ces Vers.

*Priam va perdre Hector, & fa fuperbe Ville;

Les Grecs veulent venger le Compagnon d'Achille;

Le fier Agamemnon, le divin Camelus Neftor,pareil aux Dieux, levaillant Eumelus, Léonte de la pique, adroit à l'exercice, Le nerveux Dioméde, l'éloquent Ulysse, Achille s'y prépare; & déja ce Héros Pouffe vers Illium fes immortels Chevaux Pour arriver plutôt où fa fureur l'entraîne, Quoique l'ail qui les voit ne les fuivequ'à peine, Il leur dit: Chers Xanthus, Balius, avancez, Et lorsque vous ferez de carnage laffez, Quand les Troyens fuyans rentreront dans leur Ville Regagnez

*Hom. Lib. XIX.

Regagnez notre Camp, mais non pas fans
Achille.
Xantus baille la tête, répond par ces mots :
Achille, vous ferez content de vos Chevaux ;
Ils vont aller au gré de votre impatience:
Mais de votre trépas l'inftant futal s'avance.
Junon aux yeux de beuf ainfi le fait parler.
Et d'Achille aufi-tôt le Char femble voler.
Les Grecs, en le voyant, de mille cris de joye
Soudain font retentir les rivages de Troye.
Ce Prince, revêtu des armes de Vulcain
Paroit plus éclatant que l'Aftre du matin:
Ou tel que le Soleil, commençant fa carriére
S'éleve pour donner au Monde la lumière ;
Ou brillant comme un feu que les Villageois
font,

Pendant l'obfcure nuit, fur le fommet d'un

Mont.

Je m'arrête a pourfuivi l'Auteur tragique, pour vous laiffer refpirer un moment; car fi je vous recitois toute ma Scène de fuite, la beauté de ma verfification, & le grand nombre de traits brillans & de penfées fublimes_qu'elle contient, vous fuffoqueroient. Remarquez la jufteffe de cette comparaifon : Plus éclatant qu'un feu que les Villageois font..... Tout le monde ne fent point cela, mais vous qui avez de l'efprit &

du

vous en devez être en

du véritable chanté. Je le fuis fans doute a ré pondu l'Auteur comique en fouriant d'un air malin; rien n'eft fi beau : & je fuis perfuadé que vous ne manquerez pas de parler auffi dans votre Tragédie, du foin que Thétis prenoit de chaffer les mouches Troyennes qui s'aprochoient du corps de Patrocle. Ne penfez pas vous en mocquer, a repliqué le Tragique. Un Poete qui a de l'habileté, peut tout rifquer. Cet endroit-là eft peut-être celui de la Piéce le plus propre à me fournir des Vers pompeux. Je ne le ratterai pas fur ma parole.

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Tous mes Ouvrages a-t'il continué fans façon, font marquez au bon coin. Auffi quand je les lis, il faut voir comme on les aplaudit. Je m'arrête à chaque Vers, pour recevoir des louanges. Je me fouviens qu'un jour je lifois à Paris une Tragédie, dans une maifon où il va tous les jours de Beaux Efprits à l'heure du dîner, & dans laquelle, fans vanité, je ne paffe pas pour un Pradon. La grande Comteffe de Vieille-brune y étoit. Elle a le goût fin & délicat. Je fuis fon Poëte favori. Elle pleuroit à chaudes lar

mes

mes dès la premiére Scène. Elle fut obligée de changer de mouchoir au fecond Acte; elle ne fit que fangloter au troifiéme; elle fe trouva mal au quatriéme; & je crus, à la catastrophe, , qu'elle alloit mourir avec le Héros de ma Piéce.

A ces mots quelque envie qu'eut l'Auteur Comique de garder fon férieux, il lui est échapé un éclat de rire. Ah! que je reconnois bien, dit-il, cette bonne Comteffe à ce trait-là. C'eft une femme qui ne peut fouffrir la Comédie. Elle a tant d'averfion pour le Comique, qu'elle fort ordinairement de fa loge après la grande Piéce, " pour emporter toute fa douleur. La Tragédie eft fa belle paffion. Que l'Ouvrage foit bon ou mauvais, pourvû que vous y faffiez parler des Amans malheureux Vous êtes fûr d'attendrir la Dame. Franchement fi je compofois des Poëmes férieux, je voudrois avoir d'autres aprobateurs qu'elle.

Oh! j'en ai d'autres auffi, dit le Poëte Tragique. J'ai l'aprobation de mille perfonnes de qualité, tant males que femelles... Je me défierois encore du fuffrage de ces perfonnes-là, interrompit l'Auteur Comique. Je ferois en garde

garde contre leurs jugemens. Sçavezvous bien pourquoi? C'eft que ces fortes d'Auditeurs font diftraits > pour la plûpart, pendant une lecture, & qu'ils fe laiffent prendre à la beauté d'un Vers, ou à la délicateffe d'un fentiment. Cela fuffit pour leur faire louer tout un Ouvrage, quelque imparfait qu'il puiffe être d'ailleurs. Tout au contraire, entendent-ils quelques Vers dont la platitude ou la dureté leur bleffe l'oreille il ne leur en faut pas davantage pour décrier une bonne Piéce.

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Hé bien a repris l'Auteur férieux puifque vous voulez que ces Juges-là me foient fufpects, je m'en fie donc aux aplaudiffemens du Parterre. Hé! ne me vantez pas, s'il vous plaît votre Parterre, a repliqué l'autre. Il fait paroître trop de caprice dans fes décifions. Il fe trompe quelquefois fi lourdement aux reprefentations des Piéces nouvelles, qu'il fera des deux mois entiers fottement enchanté d'un mauvais Ouvrage. Il eft vrai, que dans la fuite, l'impreffion le defabufe & que l'Auteur demeure deshonoré après un heureux fuccès.

C'est un malheur qui n'eft pas à craindre pour moi, a dit le Tragique. On Tome II.

D

réim

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