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CHAPITRE IV.

Suite conclufion de l'Hiftoire de la force de l'Amitié.

S'I les Valets de Dona Théodora n'avoient pû empêcher fon enlévement, ils s'y étoient du moins opofez avec courage, & leur réfiftance avoit été fatale à une partie des gens d'Alvaro Ponce. Ils en avoient entr'autres bleffé un fi dangereufement, que fes bleffures ne lui ayant pas permis de fuivre fes camarades, il étoit demeuré prefque fans vie étendu fur le fable.

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On reconnut ce malheureux pour un Valet de Don Alvar ; & comme on s'aperçut qu'il refpiroit encore porta au Château où l'on n'épargna rien pour lui faire reprendre fes efprits. On en vint à bout, quoique le fang qu'il avoit perdu l'eut laiffé dans une extrême foibleffe. Pour l'engager à parler, on lui promit d'avoir foin de fes jours, & de ne le pas livrer à la rigueur de la Justice, pourvû qu'il voulut dire où fon Maître emmenoit Dona Théodora. D 4

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Il fut flâté de cette promeffe, bien qu'en l'état où il étoit, il dût avoir peu d'efpérance d'en profiter. Il rapella le peu de force qu'il lui reftoit, & d'une voix foible, confirma l'avis que Don Fadrique avoit reçû. Il ajoûta enfuite, que Don Alvar avoit deffein de conduire la Veuve de Cifuentes à Saffari, dans l'Isle de Sardaigne, où il avoit un parent dont la protection & l'autorité lui promettoient un für azile.

Cette difpofition foulagea le defefpoir de Mendoce & du Tolédan. Ils laifférent le bleffé dans le Châteaù, où il mourut quelques heures après : & ils s'en retournérent à Valence, en fongeant au parti qu'ils avoient à prendre. Ils réfolurent d'aller chercher leur ennemi commun dans fa retraite. Ils s'embarquérent bien-tôt tous deux, fans fuite, à Dénia, pour paffer au Port-Mahon, ne doutant pas qu'ils n'y trouvaffent une commodité pour aller à l'Isle de Sardaigne. Effectivement, ils ne furent pas plûtôt arrivez au Port-Mahon, qu'ils aprirent qu'un vaiffeau fretté pour Cagliari devoit inceffamment mettre à la voile. Ils profitérent de l'occafion.

Le vaiffeau partit avec un vent tel qu'ils le pouvoient fouhaiter: mais, cinq

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ou fix heures après leur départ, il furvint un calme; & la nuit, le vent étant devenu contraire, ils furent obligez de louvoyer, dans l'efpérance qu'il changeroit. Ils navigérent de cette forte pendant trois jours. Le quatrième, fur les deux heures après midi, ils découvrirent un vaiffeau qui venoit droit à eux les voiles tendues. Ils le prirent d'abord pour un vaiffeau marchand; mais voyant qu'il s'avançoit prefque fous leur canon, fans arborer aucun pavillon, ils ne doutérent plus que ce ne fut un Corfaire.

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Ils ne fe trompoient pas. C'étoit un Pirate de Tunis, qui croyoit que les Chrétiens alloient fe rendre fans combattre mais lorsqu'il s'aperçut qu'ils' brouilloient les voiles & préparoient leur canon, il jugea que l'affaire feroit plus férieufe qu'il n'avoit pensé. C'est pourquoi il s'arrêta, brouilla auffi fes voiles, & fe difpofa au combat.

Ils commençoient de part & d'autre à fe canonner & les Chrétiens fembloient avoir quelque avantage; mais un Corfaire d'Alger, avec un Vaiffeau plus grand & mieux armé que les deux auarrivant au milieu de l'action, prit le parti du Pirate de Tunis. Il s'aprocha

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procha du Bâtiment Efpagnol à pleines voiles, & le mit entre deux feux.

Les Chrétiens perdirent courage à cette vûe, & ne voulant pas continuer un combat qui devenoit trop inégal ils cefférent de tirer. Alors il parut fur la poupe de Navire d'Alger, un Efclave qui fe mit à crier en Espagnol aux gens du Vaiffeau Chrétien, qu'ils eusfent à fe rendre pour Alger, s'ils vouloient qu'on leur fit quartier. Après ce cri, un Turc, qui tenoit une banderolle de taffetas verd, parfemée de demi lunes d'argent entrelaffées, la fit flotter dans l'air. Les Chrétiens, confidérant que toute leur réfiftance ne pouvoit être qu'inutile, ne fongérent plus à fe défendre. Ils fe livrérent à toute la douleur que l'idée de l'efclavage peut caufer à des hommes libres; & le Maître, craignant qu'un plus long retardement n'irritât des vainqueurs barbares, ôta la banderolle de la poupe, fe jetta dans l'efquif avec quelques-uns de fes matelots, & alla fe rendre au Corfaire d'Alger.

Ce Pirate envoya une partie de fes foldats vifiter le Bâtiment Espagnol, c'eft-à-dire, piller tout ce qu'il y avoit dedans. Le Corfaire de Tunis, de fon côté, donna le même ordre à quelques

uns

uns de fes gens ; de forte que tous les paffagers de ce malheureux Navire furent en un inftant defarmez & foüillez, & on les fit paffer enfuite dans le Vaiffeau Algérien, où les deux Pirates en firent un partage qui fut réglé par le fort.

C'eût été du moins une confolation pour Mendoce & pour fon ami, de tomber tous deux au pouvoir du même Corfaire. Ils auroient trouvé leurs chaînes moins pefantes, s'ils avoient pû les porter ensemble. Mais la fortune, qui vouloit leur faire éprouver toute la rigueur, foumit Don Fadrique au Corfaire de Tunis, & Don Juan à celui d'Alger. Peignez vous le defefpoir de ces amis, quand il leur fallut fe quitter. Ils fe jettérent aux pieds des Pirates, pour les conjurer de ne les point féparer. Mais ces Corfaires, dont la barbarie étoit à l'épreuve des fpectacles les plus touchans, ne fe laifférent point fléchir. Au contraire, jugeant que ces deux Captifs étoient des perfonnes confidérables & qu'ils pourroient payer une groffe rançon, ils réfolurent de les partager.

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Mendoce & Zarate > voyant qu'ils avoient affaire à des coeurs impitoyables

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