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fe regardoient l'un l'autre, & s'exprimoient par leurs regards l'excès de leur affliction. Mais lorsque l'on eut achevé le partage du butin & que le Pirate de Tunis voulut regagner fon bord avec les Efclaves qui lui étoient échus, deux Amis penférent expirer de douleur. Mendoce s'aprocha du Tolédan, & le ferrant entre fes bras: Il faut donc, lui dit-il que nous nous féparions! Quelle affreufe néceffité! Ce n'eft pas allez que l'audace d'un raviffeur demeure impunie, on nous défend même d'unir nos plaintes & nos regrets. Ah! Don Juan, qu'avons-nous fait au Ciel, pour éprouver fi cruellement fa colére?. Ne cherchez point ailleurs la caufe de nos difgraces, répondit Don Juan, il ne les faut imputer qu'à moi. La mort des deux perfonnes que je me fuis immolées, quoiqu'excufables aux yeux des hommes, aura fans doute irrité le Ciel, qui vous punit auffi d'avoir pris de l'amitié pour un miférable que pourfuit la Juftice.

En parlant ainsi, ils répandoient tous deux des larmes fi abondamment, & foupiroient avec tant de violence, que les autres Efclaves n'en étoient pas moins touchez que de leur propre infor

tune.

tune. Mais les foldats de Tunis, encore plus barbares que leur Maître, remar quant que Mendoce tardoit à fortir du vaiffeau, l'arrachérent brutalement des bras du Tolédan, & l'entraînérent avec eux, en le chargeant de coups. Adieu, cher Ami, s'écria-t'il, je ne vous reverrai plus. Dona Théodora n'est point vengée! Les maux que ces cruels m'aprêtent, feront les moindres peines de mon esclavage.

Don Juan ne put répondre à ces paroles. Le traitement qu'il voyoit faire à fon Ami, lui caufa un faififfement qui lui ôta l'ufage de fa voix. Comme l'ordre de cette Hiftoire demande que nous fuivions le Tolédan, nous laifferons Don Fadrique dans le navire de Tunis.

Le Corfaire d'Alger retourna vers fon Port, où étant arrivé, il mena fes nouveaux Efclaves chez le Bacha, & de-là au Marché où l'on a coutume de les vendre. Un Officier du Dey Mézomorto acheta Don Juan pour fon Maître, chez qui l'on employa ce nouvel Efclave à travailler dans les Jardins du Haram. * Cette оссира

* C'eft le nom que l'on donne à tous les Sérails des particuliers. Il n'y a que le Sérail du Grand Seigneur qui foit apellé Sérail.

Occupation, quoique pénible pour un Gentilhomme, ne laiffa pas de lui être agréable, à caufe de la folitude qu'elle demandoit dans la fituation où il fe trouvoit, rien ne pouvoit le flåter davantage, que la liberté de s'occuper de fes malheurs. Il y penfoit fans ceffe: & fon efprit, loin de faire quelque effort pour fe détacher des images les plus afAligeantes fembloit prendre plaifir à se les retracer.

Un jour, que fans apercevoir le Dey qui fe promenoit dans le Jardin, il chantoit une Chanfon trifte en travaillant Mézomorto s'arrêta pour l'écouter. Il fut affez content de fa voix, & s'aprocha de lui par curiofité, il lui demanda comme il fe nommoit. Le Tolédan lui répondit, qu'il s'apelloit Alvaro. En entrant chez le Dey, il avoit jugé à propos de changer de nom fuivant la coutume des Efclaves; il avoit pris celui-là, parce qu'ayant continuellement dans l'efprit l'enlevement de Théodora par Alvaro Ponce il lui étoit venu à la bouche plûtôt qu'un autre. Mézomorto, qui fçavoit paffablement l'Espagnol lui fit plufieurs queftions fur les coutumes d'Espagne, & particuliérement fur la conduite que les hom

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mes y tiennent pour fe rendre agréables aux femmes à quoi Don Juan répondit d'une maniére dont le Dey fut trèsfatisfait.

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Alvaro, lui dit-il, tu me parois avoir de l'efprit, & je ne te crois pas un homme du commun : mais qui que tu puiffe être tu as le bonheur de me plaire, & je veux t'honorer de ma confiance Don Juan, à fes mots fe profterna aux pieds du Dey, & fe leva, aprèsavoir porté le bas de fa robe à fa bouche, à fes yeux, & enfuite fur fa tête.

Pour commencer à t'en donner des marques, reprit Mézomorto je te dirai, que j'ai dans mon Sérail les plus belles femmes de l'Europe. J'en ai une, entr'autres, à qui rien n'eft comparable. Je ne crois pas que le Grand Seigneur même en poffède une fi parfaite, quoique fes vaiffeaux lui en aportent tous les jours de tous les endroits du monde. Il femble que fon vifage foit le Soleil réfléchi; & fa taille paroît être la tige du rofier planté dans le Jardin d'Eram. Tu m'en vois enchanté.

avec

Mais ce miraclè de la nature, une beauté fi rare, conferve une trifteffe mortelle, que le tems & mon amour ne fçauroient diffiper. Bien que la fortune

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l'ait foumise à mes defirs, je ne les ai point encore fatisfaits. Je les ai tûojours domptez; &, contre l'ufage ordinaire de mes pareils, qui ne recherchent que le plaifir des fens, je me fuis attaché à gagner fon cœur, par une complaifance & par des refpects, que le dernier des Mufulmans auroit honte d'avoir pour une Efclave Chrétienne.

Cependant, tous mes foins ne font qu'aigrir fa mélancolie dont l'opiniâtreté commence enfin à me laffer. L'idée de l'esclavage n'eft point gravée dans l'efprit des autres avec des traits fi profonds; mes regards favorables l'ont bien tôt effacée. Cette longue douleur fatigue ma patience. Toutefois, avant que je céde à mes transports, il faut que je faffe un effort encore. Je veux me fervir de ton entremife. Comme l'Esclave eft Chrétienne, & même de ta Nation, elle pourra prendre de la confiance en toi, & tu la perfuaderas mieux qu'un autre. Vantes-lui mon rang & mes richeffes. Reprefentes-lui, que je la diftinguerai de toutes mes Efclaves: fais lui même envifager, s'il le faut, qu'elle peut afpirer à l'honneur d'être un jour la femme de Mézomorto; & dislui, que j'aurai pour elle plus de con

fidé

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