vins de la chaffe de meilleure heure qu'à l'ordinaire. J'entrai dans l'apartement de ma femme; elle ne m'attendoit pas fi-tôt. Elle venoit de recevoir une lettre du Duc & fe préparoit à lui faire réponfe: Elle ne pût cacher fon trouble ma vûë. J'en fremis & voiant fur une table du papier & de l'encre, je jugeai qu'elle me trahiffoit. Je Te pre me montrer ce qu'elle écrivoit; mais elle s'en défendit; deforte que je fus obligé d'emploier jufqu'à la violence pour fa tisfaire ma jaloufe curiofité. Je ti rai de fon fein, malgré toute fa résistance, une lettre qui contenoit ces paroles. Languirai-je toûjours dans l'at tente d'une feconde entrevue? Que vous êtes cruelle de me donner les plus douces efpérances, de tant tarder à tes remplir! Dontuan va tous les jours à la Chaffe ou à Toléde ; ne dévrions nous pas profiter de ces occafions? Aie plus d'égard à la vive ardeur qui me confume. Plaignez-moi, Madame : Songez que fi c'est un plaifir d'obtenir ce qu'on défire, c'est un tourment d'en attendre long-tems la poffeffion. Je ne pus achever de lire ce Billet fans être tranfporté de rage. Je mis la main fur ma dague, & dans mon premier mouvement je fus tenté d'ôter la vie à l'infidelle époufe qui m'ôtoit l'honneurs mais faifant réfléxion que c'étoit me vanger à demi, & que mon reffentiment demandoit encore une autre victime, je me rendis maître de ma fureur. Je diffimulai. Je dis à ma femme, avec le moins d'agitation qu'il me fut poffible! Madame, vous avez eu tort d'écouter le Duc. L'éclat de fon rang ne devoit point vous ébloüir; mais les jeunes perfonnes aiment le fafte. Je veux croire que c'eft-là tout vôtre votre crime, & que vous ne m'avez point fait le dernier outrage. C'eft pourquoi j'excufe vôtre indifcretion, pourvû que vous reatriez dans vôtre devoir, & que deformais fenfible à ma feule tendreffe, vous ne fongiez qu'à la mériter. Après lui avoir tenu ce difcours, je fortis de fon apartement, autant pour la laiffer fe remettre du trouble où étoient fes efprits, que pour chercher la folitude dont j'avois befoin moi-même pour calmer la colere qui m'enflâmoit. Si je ne pus reprendre ma tranquillité, j'affectai du moins un air tranquille pendant deux jours; & le troisième, feignant d'avoir à Toléde une affaire de la derniere conféquence, je dis à ma femme que j'étois obligé de la quiccer pour quelque tems, & que je la priois d'avoir foin de sa gloire pendant mon absence. Tome II. C Je partis; mais au lieu de continuër mon chemin vers Toléde je revins fecretement chez moi à l'entrée de la nuit, & me cachai dans la chambre d'un domestique fidèle, d'où je pouvois voir tout ce qui entroit dans ma maifon. Je ne doutois point que le Duc n'eût été informé de mon départ, & je m'imaginois qu'il ne manqueroit pas de vouloir profiter de la conjoncture. J'efperois les surprendre enfemble, je me promettois une entiere vengeance. Néanmoins je fus trompé dans mon attente. Loin de remarquer qu'on fe difpofât au logis à recevoir un galand, je m'aperçus au contraire que l'on fermoit les portes avec exactitude, & trois jours s'étant écoulez fans que le Duc eût paru, ni même aucun de fes gens, je me perfuadai que mon époufe s'étoit repentie de fa faute, & qu'elle avoit enfin rompu tout commerce avec fon Amant. Prévenu de cette opinion, je perdis le defir de me venger, & me livrant aux mouvemens d'un amour que la colere avoit fufpendu; je courus à l'apartement de ma femme. Je l'embraffai avec tranfport, & lui dis: Madame, je vous rends mon eftime & mon a mitié. Je vous avoue que je n'ai point été à Toléde. J'ai feint ce voiage pour vous éprouver. Vous devez pardonner ce piége à un mari dont la jaloufie n'étoit pas fans fondement. Je craignois que vôtre efprit féduit par de fuper. bes illufions, ne fût pas capable de fe détromper; mais graces au Ciel, vous avez reconnu vôtre erreur, & j'efpere que rien ne troublera plus nôtre union. Ma femme me parut touchée de ces paroles, & laiffant couler quelques pleurs: Que je fuis mal. heureufe, s'écria-t-elle, de vous |