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mais il a fuivi une route toute différente. Il prend au berceau celui qu'il veut former à l'Eloquence, il lui choi fit des maîtres vertueux & habiles il montre comment il faut lui enfeigner les principes des Langues, des Sciences & des beaux Arts: il prefcrit la méthode qu'on doit garder pour cultiver fes difpofitions naturelles, pour éclairer fon efprit, diriger fes lectures, corriger fes effais, & le former peu à peu à l'exactitude de la compofition.

Non content de donner des régles par rapport à la conduite de l'efprit, il en donne auffi par rapport à la conduite des mœurs; il veut qu'on porte le jeune Eléve à la pratique de la vertu par des maximes de droiture, de probité & d'honneur; qu'on ne lui présente jamais que de bons modéles, & qu'on écarte de fes yeux & de fes oreilles les mauvais exemples, les difcours fufpects, les livres dangereux, & tout ce qui feroit capable de le corrompre. On ne peut rien voir de plus judicieux que les avis qu'il donne fur cet article, & il est étonnant qu'un Payen ait pû dreffer un plan de morale fi épurée.

Enfuite quand il trouve le Difci ple affez fort pour étudier avec fuc cès la Rhétorique, il lui en ouvre les tréfors, il lui en découvre la na¬ ture, la fin & les moyens; rien n'eft omis dans cette excellente méthode. L'invention, la difpofition, l'élocution, l'action, ou prononciation, en un mot toutes les parties du difcours oratoire y font traitées avec tant d'ordre & de liaison, que les vérités femblent naître les unes des autres.

De fon tems l'éloquence avoit beaucoup dégeneré. On commençoit à préférer le clinquant à l'or pur; on rejettoit les penfées que la nature dicte pour courir après celles que l'art fuggére. On vouloit dans un dif cours, des pointes, des jeux de mots des traits brillans. On cherchoit, non ce qui orne la vérité, mais ce qui la farde, & on croyoit n'avoir ni efprit, ni délicateffe, fi ce qu'on difoit pouvoit s'entendre facilement, & fans avoir befoin d'interpretes.*

*

On préfere aujourd'hui, comme on faifoit de fon tems, le brillant au folide,

* L'Eloquence françoise eft menacée de la même décadence dont Quintilien fe plaignoit autrefois. le merveilleux au

Quintilien s'éleva contre cette dépravation de goût; il entreprit de reffufciter la faine éloquence, & de rappeller les efprits à la noble & majeftueuse fimplicité qui régnoit dans

vrai, les faillies d'une imagination éblouiffante à la jufteffe du bon efprit. On abandonne les beautés naturelles pour courir après des ornemens recherchés. On s'éloigne de cette noble fimplicité dont les grands modéles tant anciens que moder

livres de la faine antiquité avoit commencé à introduire dans notre nation depuis un fiécle, c'est-àdire depuis l'établissement de l'Académie Françoife. Ces nouveaux Sophistes ne veulent que des penfées rares, extraordinaires, alambiquées.

font remplis que d'antithefes, de metaphores outrées & de rafinement. C'est un tiffu d'épigrammes artistement arrangées. On ne fçauroit oppofer de trop fortes barrieres au torrent de ce mauvais ftile qui gâte l'efprit de nos jeunes Orateurs, ni faire trop d'efforts pour retenir le bon goût qui femble vouloir nous

nes nousavoient don-Leurs ouvrages ne né l'exemple. On s'écarte de cette fage fobrieté qui fçait diftribuer avec mefure dans le difcours les fleurs, les graces & les richeffes du langage. Il s'eft élevé parmi nous une fecte de nouveaux Ecrivains qui femble avoir formé l'étrange projet de nous détourner des routes fûres, & de détruire ce bon goût que la lecture des

échaper.

le fiécle d'Augufte. Il montra que rien n'eft beau s'il n'eft établi fur le vrai, & que les penfées guindées, obfcures, enflées, pleines de fafte & d'oftentation, doivent être absolument bannies de tout difcours sensé.

Par de telles inftructions, il corrigeoit les abus de fon fiécle, rétabliffoit le bon goût parmi fes contemporains, & en affuroit la durée.

Cependant quelque eftimable que foit fon livre il n'eft pas autant lû qu'il le mérite; ce qui peut venir principalement de deux caufes.

La premiere eft que cet ouvrage eft trop long, & qu'il contient beaucoup d'inutilités par rapport à nos ufages.

La feconde eft qu'on y trouve un grand nombre de minucies gramma ticales, d'observations fur des fujets peu intéreffans, & même beaucoup d'endroits obfcurs & épineux.

D'où il arrive que la plûpart de nos François naturellement impatiens & ennemis de la fatigue & du travail de l'efprit, abandonnent une étude femée de tant de difficultés. Ils ne font pas réflexion qu'on ne parvient à la fcience que par la peine, que

le délectable doit toujours ceder à l'utile, & que s'il y a quelques endroits rudes & épineux dans ce livre, il y en a beaucoup plus d'agréables, & d'engageans.

Il ne faut pas oublier ici Denys d'Halicarnasse, ni Longin. Ce font de grands Maîtres; les Ouvrages qui nous reftent de Denys d'Halicarnaffe fur l'art dont nous parlons ne font que des morceaux de Rhetorique, mais des morceaux precieux & dont la lecture peut être très-utile à ceux qui afpirent à l'éloquence. Le livre de Longin eft encore plus propre à former un grand Orateur. M. Defpréaux qui l'a traduit avec tant de fidélité, de nobleffe & d'élegance, dit que Longin en traitant des beautés de l'élocution a employé toutes les finef fes de l'élocution, que fouvent il fait la figure qu'il enfeigne, & qu'en parlant du fublime, il eft lui-même très-fublime.

Revenons à Ciceron. Il avoit compofé dans fa jeuneffe deux livres de l'invention oratoire. Mais parvenu à un âge plus mûr, âge plus mûr, & peu content de ce premier effai, il refolut de donner quelque chofe de plus

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