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CHAPITRE III.

Idée générale des trois genres d'Eloquence.

20. L

Il y a[1] trois fortes de ftiles, ou trois genres d'Eloquence. Le fublime, le fimple, & le temperé. On a pû voir quelques Orateurs exceller dans l'un des trois en particulier; mais peu ont également réuffi dans tous les trois : ce qui fait notre objet. Ceux qui fe font diftingués dans le premier genre ont joint à l'élévation des pensées, & à la nobleffe de l'expreffion, la véhémence, la varieté, l'abondance, la force & une adresse merveilleuse à émouvoir les efprits, & à s'en rendre maîtres. Mais il y a différentes claffes parmi ceux-ci: car les uns y ont employé une compofition rude, auftére, peu nombreuse, peu finie, & les autres y ont apporté une diction châtiée, polie, harmonieufe.

21. Le fecond caractére de l'Eloquence eft tout différent du premier. Les Orateurs qui ont réuffi dans ce genre ont écrit d'une maniére ferrée,

fine, délicate, limée; contens d'inftruire, & de mettre dans un beau jour les matiéres qu'ils traitoient, ils ont évité tout ce qui a l'air d'amplification. Il y a encore dans ce genre différens degrés : les uns adroits, ingénieux, mais groffiers en apparence, & négligés à dessein, ont affecté les maniéres, & le langage des perfonnes qui font fans étude, & fans art : les autres plus polis, plus gracieux, plus enjoüés n'ont pas rejetté les fleurs, ni les petits ornemens qu'ils trouvoient fous leurs mains.

22. Le troifiéme genre eft celui qui tient le milieu entre le fublime, & le fimple. Il n'a ni la véhémence du premier, ni toute la fineffe du fecond: voifin des deux fans leur reflembler, il participe de l'un & de l'autre, ou pour parler plus jufte, il en est également éloigné. Sa diction douce, & coulante ne fe diftingue que par une heureuse facilité, & par un caractére toujours égal, ou fi elle admet quelque élévation, quelques faillies, foir dans les pensées, foit dans les expreffions, ce font des ornemens qui femblables aux [2] bas fleurons d'une Couronne, ont très-peu de relief.

23. Les Orateurs qui ont excellé dans l'un de ces trois genres fe font rendu illuftres, mais font-ils parvenus à la perfection que nous demandons? c'eft ce qu'il faut maintenant -examiner. On en a vû quelques-uns chez les Grecs faire régner dans leurs difcours tantôt la fineffe, & la délicareffe, tantôt la force, & la majesté: Nous nous estimerions fort heureux, fi nous pouvions trouver parmi nous la reffemblance de tels Orateurs? II nous feroit glorieux d'avoir à citer des exemples domeftiques, fans être obligés d'en chercher d'étrangers.

24. Je me fouviens que dans mon dialogue des célébres Orateurs, où certainement je n'ai pas épargné les Youanges à nos Romains, foit par une inclination naturelle pour mes compatriotes, foit par le defir d'exciter une émulation générale ; je me fouviens, dis-je, d'avoir mis [3] Démothêne fort au-deffus de tous les Orateurs, parcequ'à mon fens, c'eft celui qui a le plus approché de cette Eloquence dont je me fuis formé l'idée, & dont je n'ai jamais trouvé d'exemple. Nul autre n'a porté plus loin la perfection des trois ftiles; nul n'a été

ni plus élevé dans le genre fublime ni plus délicat dans le fimple, ni plus. fage dans le temperé.

C'eft pourquoi [4] j'avertis certai nes gens qui afpirent à l'atticisme ou qui même veulent déja paffer pour attiques, & dont les difcours deftitués de fageffe & d'érudition commencent à fe répandre dans le monde, je les avertis, dis-je, de regarder Démofthêne comme le modéle le plus digne de leur [s] admiration, comme celui qui a porté l'atticisme à un tel point, qu'Athenes même n'a pû rien produire de plus parfait. Qu'ils apprennent donc de lui ce que c'eft qu'atticifme; qu'ils mefurent l'Eloquence fur les forces de ce grand homme, & non fur la foibleffe de leurs talens car aujourd'hui chacun ne loue, que ce qu'il croit pouvoir imiter. Mais puifqu'ils ont bonne intention, & qu'il ne leur manque pour bien juger du ftile attique, que d'avoir plus de lumières & de difcernement, je veux bien les inftruire en quoi coniftent fa perfection & fon véritable caractére. Il ne fera pas même hors de propos d'en parler ici.

NOTES

Sur le troifiéme Chapitre de l'Orateur.

Voye Pref. [1] Cicéron donne ici une idée générale p. 2425. des trois ftiles, du fublime, du fimple, &

du temperé. Il eft important de remarquer exactement les proprietés & les convenances qu'il attribue ici à chaque gente d'Eloquence, pour le mettre en état de mieux juger de l'explication ample & détaillée qu'il en fera dans la fuite, depuis le n. 75, jufqu'au n. 134.

[2] Il y a dans le texte ut in corona toros. Je fçai que torus fignifie tore, moulure, Aftra-' gale; Mais ces termes ne conviennent gueres aux ornemens d'une couronne; c'est pourquoi je me fuis fervi du terme de bas fleurons.

[3] Voici comme Cicéron parle de Démofthene dans le Dialogue intitulé Brutus 2. 35, aucune des qualités qui concourent à former le parfait Orateur n'a manqué à Démofthêne. Il a fait entrer dans les caufes qu'il a traitées, tout ce que la pénétration d'efprit, l'adreffe & l'artifice peuvent fournir. Rien de plus délicat, de plus vif, de plus ferré, de plus lumineux, ni de plus châtié & de plus net, que fon ftile. Faut-il de l'élevation, de la dignité, de la force? rien de plus fublime, ni de plus vehement que fes penfées, foit par la majefté qui les accompagne, foit par le tour vif & animé dont elles font exprimées.

[4] Il faut fe fouvenir ici de ce que j'ai dit dans la Préface, que du tems de Ci

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