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tres; car il n'eft ni fi ferré que l'attique, ni fi diffus que l'afiatique; enforte qu'il femble tenir quelque chofe du génie des Rhodiens, & quelque chofe du génie de fon Auteur. En effet, Efchine qui avoit choifi Rhodes pour le lieu de fon exil, y porta le goût & les fciences d'Athenes, établit une école d'Eloquence, & y forma des Difciples; mais comme les plantes dés générent en changeant de climat & de terroir de même le goût attique perdit beaucoup de fa premiere pureté parmi les Rhodiens après la mort d'Eschine.

On ne peut pas douter que le genré attique, ce genre & pur, & naturel, f éloigné de toute affectation, ne foit le plus parfait. Les Auteurs qui ont écrit dans ce ftile ont quelque chofe de commun entr'eux, fçavoir un jugement excellent & un goût für; mais ils différent par le caractére d'efprit. C'eft pourquoi je pense dit Quintilien, que ceux-là fe trompent qui n'admettent le goût attique que dans les Orateurs qui ont un ftile fimple, clair, expreffif, & qui contens pour ainfi dire d'une certaine frugalité d'Eloquence, s'interdifent les grands mouvemens.

Qui veulent-ils, ajoute Quintilien, que nous prenions pour exemple: Lyfias? Je le veux. En effet c'eft l'Auteur favori desi Partifans du goût attique, mais je leur demande, fi Ifocrate n'a pas écrit dans ce ftile, ils diront peut-être que non. Ce pendant c'eft de fon école que font for tis les plus grands Orateurs d'Athens perides n'eft-il pas dans le goût attique?

Toute-fois il a beaucoup plus donné à la douceur & à l'agrément du ftile, que Lyfias. Que diront-ils d'Efchine: n'est-il pas plus étendu, plus hardi, plus, élevé, que tous ceux dont je viens de parler? Que diront-ils de Démosthène, n'a-t-il pas plus de force, plus de grandeur, plus d'impétuofité & plus d'harmonie, que tous ces Orateurs que l'on exalte fi fort parmi les Romains, & dont tout le mérite ne confifte fouvent que dans une timide & circonf pecte délicateffe? Concluons donc qu'écrire & parler attiquement, c'eft parler de la maniére la plus parfaite; mais que chaque Orateur attique eft différent des autres par le caractére d'efprit.

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[2] Periclès charmoit les Atheniens par la douceur & l'agrément de fes paroles: il attiroit leur admiration par la fécondité de fon génie. Il les forçoit d'entrer dans fes, fentimens par la véhémence de fes fou droya difcours. Cic. in Bruto n. 44.

[3] Thucydide a toutes les qualités qu'il faut avoir pour bien écrire l'Hiftoire; mais Ciceron ne trouve pas que la lecture de fon livre puiffe être utile à l'Orateur; parceque dit-il, fon ftile n'eft ni affez harmonieux, ni affez lié, ni affez arrondi. Thucydides præfractior nec fatis, ut ita dicam, rotundus. n. 40. In Thucydide orbem orationis defidero. Orat.

n. 234.

[4] Selon la tradition commune, les Atheniens ont été les premiers qui ont enfeigné aux hommes l'Agriculture, ou qui en pnt perfectionné l'Art.

CHAPITRE VI

Cicéron montre que foutenu par le defir de plaire à Brutus il ne fe rebure point, quelques difficultés qu'il trouve dans l'execution de fon ouvrage.

33.

R

EVENONS donc, Brutus, à notre fujet. Commençons à ébaucher le parfait Orateur & à former les premiers traits de cette Eloquence dont M. Antoine n'avoit point vu d'exemple: Entreprise diffi cile, s'il en fut jamais; mais tout eft facile à qui aime; or [r] j'aime & j'ai toujours aimé votre caractéré d'efprit, vos mœurs, votre goût pour les belles choses. Je brûle du defit de vous revoir & votre absence me cause chaque jour une trifteffe acca blante. Je foupire fans ceffe après ces heureux momens où nous pourrons reprendre notre ancien commerce', & où il me fera permis de jouir des charmes de vos fçavans entretiens. Mon impatience s'augmente encore par la renommée des vertus que vous pratiquez & que votre prudence fçait A bien concilier & rapprocher, quel

que différence & quelque diftance qu'il y ait entre elles.

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34. Qu'y a-t-il de plus oppofé & de plus éloigné en apparence, que la douceur & la féverité Cependant où trouver un autre homme qui poffede ces deux perfections dans un degré plus éminent? Qu'y a-t-il de plus difficile, que , que de gagner les cours de tout le monde dans une place, où l'on eft obligé de juger tous les jours les conteftations des particuliers? C'eft toutefois en quoi vous réuffiflez, admirablement. Vous avez l'art de vous conferver la bienveillance de ceux mêmes contre qui vous décidez, & de les renvoyer fatisfaits & convain Vide Plutarg. cus de l'équité de vos jugemens. Ainfi quoique vous ne faffiez rien par far veur, ni dans la vûe de plaire, vous ne faites pourtant rien qui ne plaise infiniment.

in vita Bruti,

Auffi de toutes les Provinces de PEmpire, [2] la Gaule Cifalpine que vous gouvernez eft la feule qui ne fe reffent point de l'embrasement général. Dans cette paifible contrée, dans cette belle partie de l'Italie, où se trouve la fleur & la force des Citoyens Romains, vous jouiffez des fruits de votre fageffe.

35. Que dirai-je de votre appli cation continuelle à l'étude, que les plus grandes occupations ne peuvent interrompre? Vous ne ceffez d'écrire, ou de me folliciter à écrire: c'est par votre confeil que j'ai entrepris le Trai té de l'Orateur, auffi-tôt que j'ai eu achevé l'éloge de [3] Caton; éloge dans lequel je ne me ferois jamais engagé, craignant de déplaire à un frécle auffi ennemi de la Vertu que le nôtre, fi vous ne m'en aviez follicité, & fi je n'avois cru que je ne pouvois fans crime refufer ce tribut de louanges à la mémoire d'un homme qui nous fut fi cher. J'obéis donc en Core; mais je protefte que c'est à với tre priere & après une longue reffftance, que j'ole travailler à ce nouvel ouvrage. Car je veux vous rendre complice de ma faute; afin que fi je viens à fuccomber fous le poids de mon fujet, vous effuyiez le blâme de nayoir impofe un fardeau fi peu proportionné à mes forces, comme jer. luyerai celui de m'en être téme rairement chargé, avec cette différence néanmoins que le mérite de mon obéiffance fervira d'excuse à ma témerité.

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