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Byzance & par plufieurs autres que Socrate appelle dans le Phédre de Platon [5] de grands Artistes en arran gement de mots, ou de grands Maî tres en l'art de compaffer des paroles. On remarque dans leurs difcours affez de pensées ingénieufes, mais tout y porte le caractére des chofes naiffantes; on n'y voit que des périodes à demi formées & femblables à des hé miftiches. D'ailleurs la diction y eft trop peignée, & l'art s'y fait trop fentir. En quoi [6] Herodote & Thucydide me paroiffent d'autant plus admirables, qu'ayant vécu dans le même fiécle que ces Sophiftes, ils ont montré un fi grand éloignement pour ces fortes de gentilleffes, ou plutôt pour ces fortes de puérilités.

Le premier comme un fleuve qui ne trouve ni obftacle ni embarras dans fon paifible cours, eft doux, uni, coul lant; le fecond plus vif & plus véhé ment semble fonner la charge, dans le récit des guerres qu'il décrit. Ajoutons que felon le témoignage de Théophrafte, ces deux Auteurs ont été les premiers qui ont ofé animer l'histoire & l'enrichir de cette diction ornée & abondante qu'elle n'avoit point aupa

ravant,

40. Ifocrate eft venu immédiatement après eux. J'ai coutume de mettre cet Ecrivain au-deffus de tous les Sophistes, & de tous les Rhéteurs ;: à quoi, mon cher Brutus, vous vous oppofez quelquefois avec cette érudition & cette politeffe qui vous font ordinaires; mais je me flatte que vous ferez de mon fentiment, lorfque vous fçaurez précisément ce que je loue dans cet Auteur.

Comme il s'apperçut que Trafymaque & Gorgias qui fe font appliqués les premiers à former la phrafe & à joindre artistement les mots, avoient des nombres trop courts, & que d'ailleurs le ftile de Thucydide n'étoit ni affez lié, ni affez arrondi, il commença à étendre la période & à la rendre plus douce, plus coulante, plus harmonieufe. Bien-tôt fa maifon devint une école d'Eloquence, où fe formé rent les plus célébres Orateurs, & les plus illuftres Ecrivains de fon fiécle.

41. S'il fut méprifé de quelques uns, il en fut bien dédommagé par les marques d'eftime que Platon lui donna. Honoré d'un tel témoignage il dut fe mettre auffi peu en peine du jugement des autres hommes, que je

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me fouciai peu de la cenfure de ceux qui me blâmoient, lorfque je me vis autorifé par les louanges & le témoignage de Caton. Or voici comme Platon fait parler Socrate fur la fin du Phedrus.

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» Ifocrate eft jeune, mon cher » Phedrus; mais je veux vous dire ce » que j'en augure, eh bien, qu'en au-"gurez-vous, dit Phedrus? je le trou» ve, répond Socrate, d'un génie fu"perieur à Lyfias. Je remarque auffi, » qu'outre qu'il a plus de difpofition » pour la Vertu, il a plus de talens » naturels pour l'Eloquence; de for» te que s'il parvient à un âge plus » avancé, & s'il perfevere dans le » genre d'étude qui fait l'objet de fon application, il n'y aura pas lieu de » s'étonner, s'il efface un jour la gloire » de tous les Orateurs qui l'ont pré»cedé, comme il l'emporte aujour

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d'hui fur tous ceux de fon âge; ou » s'il ne trouve pas dans cette étude » de quoi fe fatisfaire, on le verra » comme faifi d'un mouvement divin, » s'élever à tout ce qu'il y a de plus » fublime car ce jeune homme eft > naturellement Philofophe.

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42. Tel étoit le pronoftic que So

crate faifoit du jeune Ifocrate: parve nu à la vieillesse il reçut de Platon fon contemporain les mêmes éloges; oui Platon, ce fleau de tous les Rhéteurs ne loue & n'admire qu'Ifocrate. Que ceux donc, à qui un tel Auteur ne plaît pas, me laiffent du moins là liberté d'errer avec Socrate & avecPlaton..

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Le genre démonftratif que les Sophiftes fe font appropriés, eft donc agréable, doux, dégagé, coulant, plein de pensées fines & d'expreffions harmonieuses; mais il a été exclu dù Barreau & renvoyé aux Académies comme plus propre aux exercices dè pur appareil, qu'aux vrais combats. Cependant parceque ce genre eft la premiere nourriture de l'Eloquence, qui fuftentée d'abord d'un tel aliment, peut dans la fuite fe fortifier d'elle-même & prendre une vigueur plus mâle, il n'a pas été hors de propos d'en dire quelque chofe. En voilà affez pour ce qui regarde le berceau de l'Orateur & les exercices de fon enfance. Suivons-le maintenant dans Faction & fur le champ de bataille.

NOTES

Sur le huitiéme Chapitre de l'Orateur.`

[1] Voici un exemple de cette figure tire de l'Oraifon pour la Loi Manilia, où Ci céron fait un éloge magnifique des vertus & des exploits militaires de Pompée, Ita tantam bellum, tam diuturnum › tam longè lateque difperfum, quo bello omnes gentes ac nationes premebantur, Cn. Pompeïus extrema bieme apparavit, ineunte vere fufcepit, media aftate confecit.

On voit dans cet arrangement un rapport de paroles qui fe répondent mutuellement les unes aux autres; enforte que les différens membres de la phrafe préfentent à peu-près les mêmes nombres de fyllabes& forment une efpéce de concert mesure qui flatte agréablement l'oreille.

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[2] L'Antithefe eft une figure qui confifte dans l'oppofition des pensées ou des mots. Quand elle eft bien ménagée, elle produit dans le difcours la même beauté, que l'heureufe distribution des lumieres & des ombres produit dans la peinture. Exemple: Cujus adolefcentia, dit encore Cicéron en parlant de Pompée, ad fcientiam rei militaris, non alienis præceptis, fed fuis im-periis, non offenfionibus belli, fed victoriis, non ftipendiis, fed triumphis eft traducta.

[3] Cicéron femble avoir renfermé dans ce précepte deux figures, dont la premiere s'appelle en latin fimiliter definens, & la

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