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les perfections, s'appliquera à con noître tous les lieux de l'Art oratoire, afin de choisir ceux qui feront propres à fon fujet. Mais en parcourant ces fources génerales, il fe gardera bien d'abufer de l'abondance qu'elles préfentent, il n'y puifera qu'avec mefu re & difcernement: car toutes fortes de preuves ne conviennent ni en tout tems, ni à toutes fortes de causes. It faut donc que le jugement lui ferve de guide dans la recherche & l'ufage des argumens.

48. Il ne fe contentera pas d'avoir: trouvé ce qui fe peut dire fur la queftion qu'il aura à traiter, il pefera encore les idées qui fe feront offertes à fon efprit. Rien n'eft fi fécond que l'efprit de l'homme, fur-tout quand il eft cultivé par l'étude. Mais commeles terres les plus fertiles en produifant le bon grain, produisent auffi

une multitude de mas

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qui font tort à la bonne semence[4], de même il eft à craindre que cette abondance de lieux communs n'engendre une foule de pensées ou frivoles, ou inutiles, ou étrangeres au fu jet ainfi il faut que notre Orateur faffe un jufte difcernement de ce qui›

convient ou ne convient pas fans cela comment pourroit-il s'arrêter & fe fixer aux bonnes preuves? comment fçauroit-il adoucir ce qu'il y a de rude & de choquant dans la cause, diffimuler ou même fupprimer ce qui ne peut être bien réfuté, détourner à propos l'attention des juges, leur donner le change & préfenter des raifons plus probables, que celles qu'on lui oppose?

49. Le fecond devoir de l'Orateur eft de fçavoir diftribuer & bien arranger fes preuves [5]. Que fon exorde ait de la dignité, & que tout ce qui fervira d'introduction à fa caufe foit orné, brillant, lumineux; qu'après s'être rendu maître de l'efprit des juges par ce premier effort, il attaque les moyens de l'adversaire; qu'il tache de les affoiblir, & même de les ruiner entierement. Pour ce qui eft de l'arrangement de ses preuves, il aura' foin de mettre les plus fortes au commencement & à la fin du difcours, & d'inferer les plus foibles dans le milieu.

Voilà en peu de mots ce qui regarde les deux premieres parties fur lefquelles je paffle rapidement, parceque, comme je l'ai déja remarqué, quelque

que effentielles qu'elles foient, elles demandent moins d'art & de travail.

so. Hâtons-nous donc de venir à la troifiéme partie, c'est-à-dire à ce qu'il y a de plus important dans l'Eloquence: fur quoi il ne fera pas hors de propos de rapporter ici un mot de notre ami [6] Carneade au fujet de Clitomaque & de Charmidas: Il prétendoit que le premier avoit coutume de dire toujours les mêmes chofes, & que le fecond employoit auffi les mêmes penfees, mais qu'il leur donnoit un tour différent. Or fi dans la Philofophie où l'on n'a d'ordinaire égard qu'aux chofes & non à l'expreffion, il eft néanmoins fi important de prendre garde à la maniere dont on s'exprime; quelle attention ne doit-on pas apporter dans la compofition des difcours oratoires, où l'élocution eft la partie principale ?

51. Auffi ai-je bien compris, mon cher Brutus, par les lettres que vous m'avez écrites à ce fujet, que lorfque vous me demandiez mon fentiment fur ce qui peut perfectionner l'Orateur & l'élever au comble de la gloi. re, votre demande n'avoit point pour objet l'invention & la difpofition, mais feulement l'élocution. En effet

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c'eft à bien traiter cette partie que confifte la plus grande difficulté de la Rhétorique; difficulté qui vient de deux causes. La premiere eft, que le langage des hommes, femblable à une cire molle & flexible, prend toutes les formes qu'on veut lui donner. La feconde eft, que la différence des efprits & des goûts a produit différens caracteres de ftiles.

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52. Les uns recherchent dans l'Eloquence un torrent & une volubilité de paroles qui fe fuivent & fe fuccé dent fans interruption : les autres, qui aiment une élocution concife, s'étudient à couper leurs difcours par des phrafes courtes, par des intervalles & de fréquentes paufes qui laiffent le tems de refpirer. Voilà deux manieres d'écrire bien differentes : cependant l'une & l'autre a fon prix & fa perfetion. Il s'en trouve encore qui s'attachent à un ftile doux, uni, égal, pur, clair & naïf; d'autres préferent une diction dure, trifte, auftere; tel eft la diverfité des goûts & des caracteres. Ainfi il y a autant d'efpeces d'Orateurs, qu'il y a de différentes efpeces d'élocution: d'où il arrive que les uns veulent avoir la réputation d'écrire

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dans le genre fublime, les autres dans le temperé, & d'autres dans le fimple. 53. Mais puifque j'ai commencé à vous donner plus que vous ne me demandiez, & que j'ai parlé de l'invention & de la difpofition; quoique vous n'euffiez voulu fçavoir mon fentiment que fur le genre le plus parfait en l'art de parler. Je dirai encore quelque chofe de l'action de l'Orateur afin qu'aucune partie de la Rhétorique ne m'échappe. Car pour ce qui eft de la mémoire, comme elle est commune à plufieurs autres arts, ce n'est pas ici le lieu d'en parler.

NOTES

Sur le neuviéme Chapitre de l'Orateur.

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[1] Les devoirs de l'Orateur font ici indiqués. Quid dicat Orater, ce qu'il doit dire. Linvention lui en montre les moyens ; qu quidque loco, comment il doit arranger les différentes parties de fon difcours, la difpofition en enfeigne les regles. Quomodo, de qu'elle maniere il doit s'énoncer: ce qui renferme l'élocution & l'action.

[2] Toutes les matieres qui regardent les conteftations font comprises, felon Cicéron, dans ces trois articles. 1o. Si la chofe eft. 2°. De quelle nature elle eft. 3°. Quelle en eft la qualité. C'est-à-dire qu'il faut exa

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