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me. Il menace, il careffe, il fupplie : il eft triste, il est gai, il eft fier, il eft humble. Il fait entendre une infinité de choses, & fouvent il en dit plus, que n'en pourroit dire le difcours le plus éloquent.

[13] C'eft par les yeux que notre amè se ́ manifefte & le montre au-dehors. La joye leur donne de l'éclat : la trifteffe les couvre d'une espece de nuage. Ajoutez à cela que la nature leur a accordé le don des larmes, ces fidéles interprétes de nos fentimens.

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Cicéron montre que le ftile des Orateurs doit être diftingué de la diction des Philofophes, des Hiftoriens, des Sophiftes & des Poëtes.

62.

MARQUONS à prefent, en quoi confifte l'idée de la parfaite Eloquence. On voit d'abord, qu'elle tire fon nom de l'élocution, comme l'étymologie le fait affez connoître. C'est l'élocution qui lui communique tout ce qu'elle a d'éclatant & de merveilleux. Les autres parties font cachées dans l'Orateur. L'invention, la difpofition, & l'action ne le caractérisent point: Elles lui

font communes avec d'autres Ecri vains, qui prétendent auffi avoir droit de s'en fervir. Mais pour ce qui eft de l'élocution, perfonne ne lui en difpute la proprieté. C'est son

appanage. 63. A la [1] verité, on a vû quelques Philofophes employer dans leurs écrits les graces, & les ornemens du difcours. Tel a été celui qui par fon divin langage a merité le nom [2] de Théophrafte. Tel a été [3] Ariftote qui a défié Ifocrate même, en l'art de bien dire. Tel a été [4] Xenophon dont le ftile a tant de charmes, que les Muses semblent avoir parlé par fa bouche. Tel enfin a été [5] Platon, qui par la nobleffe & la majesté qui régnent dans fes ouvrages, a furpaffé quiconque s'eft mêlé de parler, ou d'écrire. Mais aucun d'eux n'a ces traits vifs & perçans qui laiffent l'aiguillon dans l'ame, & qui caractérifent l'élocution du Barreau.

Plus attentifs à calmer les paffions qu'à les exciter, ils ne s'exercent que fur des fujets paifibles; ils s'entretiennent d'un air tranquille avec des Sçavans. Leur but eft d'inftruire, & non de furprendre ou de toucher. C'est pourquoi lorfqu'ils affectent de mettre

quelque agrément dans leurs écrits, on les critique, & on leur reproche de faire plus qu'ils ne doivent. Ainsi il n'eft pas difficile de diftinguer le genre d'Eloquence dont il s'agit ici, de la diction philofophique.

64. La diction philofophique eft d'un caractere doux & tranquille, elle fuit le tumulte des affemblées publiques, & ne fe plait que dans la retraite. Libre & affranchie de la fervitude des nombres, elle ne fe pare ni des pensées, ni des expreffions qui charment le peuple. Elle n'excite point dans l'ame des Auditeurs les mouvemens de la colere, ni ceux de l'envie; elle ne cherche pas non plus à s'en faire admirer; on ne remarque en elle ni rufe, ni artifice, ni rien qui fente la violence & l'emportement: c'eft pour ainfi dire une vierge chaste, incorruptible, & pleine de pudeur; de forte qu'une telle diction merite plutôt le nom de converfation, que de difcours. Car quoique tout parler foit un discours, néanmoins le terme de difcours ou de harangue ne convient proprement qu'à l'Orateur.

65. Pour ce qui eft des [6] Sophiftes, leur diction doit être d'autant plus di

ftinguée de celle des Orateurs, qu'il eft plus aifé de s'y méprendre. Ils recherchent les mêmes fleurs & les mêmes agrémens que nous; mais leur but n'eft pas de de porter le trouble dans l'ame, ils tâchent au contraire d'y-entretenir le calme: ils veulent moins

perfuader, que plaire; loin de cacher ce deffein comme font les Orateurs. on les voit très-fouvent courir après des penfées qui ont plus d'éclat, que de folidité : les digreffions fréquentes, les fables, les métaphores les plus hardies, les figures qui confiftent à placer les mots, de maniere que les divers membres des phrafes fe répondent les uns aux autres & préfentent le même nombre de fyllabes, ou celles qui oppofent les contraires aux contraires, ou celles qui terminent chaque partie d'une période avec les mêmes chûtes, & les mêmes fons, entrent à tous propos dans leurs difcours; ainfi l'on peut dire qu'ils font le même ufage des mots, que le Peintre fait des couleurs pour varier, fon tableau.

66. Le ftile de l'hiftoire approche de ce genre d'écrire: les narrations y font ornées on y fait la description

de divers pays on y infere le récit des guerres & des combats. Les exhortations & les harangues même y trouvent place; mais elles n'y paroif fent point avec ces grands mouvemens, & ces altercations véhémentes que l'Orateur met fouvent en œuvre. Une diction unie, égale & coulante leur fuffit.

A

La parfaite Eloquence ne doit guéres moins s'éloigner du ftile hiftorique, que du ftile poëtique. Les Poëtes ont donné lieu de douter en quoi ils différent des Orateurs. Cette différence étoit affez marquée autrefois par le nombre & par la verfification. Mais aujourd'hui comment l'établirat-on, puifque les Orateurs ont auffi adopté le nombre?

67. On appelle [7] nombre tout ce qui a une chûte harmonieufe & agréable à l'oreille, fans avoir néanmoins la mesure des vers, (ce qui seroit un grand défaut dans la profe;) c'eft pourquoi quelques-uns ont crû que la profe de Platon & de Démocrite, ornée de figures brillantes, & foutenue, comme elle eft, d'une diction vive, hardie, impétueuse, quoiqu'éloignée de la cadence poëtique,

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