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CHAPITRE XIV.

Caractere particulier du stile temperé.

V

91. Oici un autre genre d'écrire qui a un peu plus de force & d'abondance que celui dont je viens de parler, mais qui n'a pas tant d'élevation que celui dont je parlerai dans un moment. Plus plein que le fimple, moins riche, & moins magnifique que le fublime, il admet

néanmoins toutes fortes d'ornemens. Mais la douceur & l'agrément y doivent principalement dominer. La véhémence & l'énergie y ont peu de part.

92. Plufieurs auteurs Grecs fe font fignalés par cette efpece d'Eloquence. Selon moi Demetrius de [1] Phalere les a tous effacés. Son ftile doux & tranquille eft femé de métaphores & de changemens de mots qui lui comOu qui font muniquent un éclat vif & pareil à cedans fes dif- lui des aftres.

cours com

me autant

d'étoiles

J'appelle, comme je l'ai déja dit, mébrillantes, taphores les figures que l'on tire par

fimilitude d'une autre chofe, ou pour donner plus de grace au difcours, ou pour remedier à la difette de la langue.

Jappelle changement de mots, les figures où aux termes propres on en fubftitue de métaphoriques qui ont le même fens, & qui font tirés des chofes qui y ont du raport.

93. Quoique cette derniere opération fe faffe par voye de tranfport métaphorique, toutefois il y a quelque différence entre métaphore & changement de mots. Lorfqu'Ennius a dit, arcem & urbem orbas. Vous privez la citadelle & la ville de leurs enfans. C'est une vraie métaphore, mais s'il avoit dit fimplement arcem, pro patriâ, il eût fait un changement de paroles. De même lorfqu'il a employé le terme d'Afrique, pour celui d'Africain, il a fait un changement de mots, horri dam Africam terribili tremere tumultu. Les Rhéteurs appellent [2] ce trope [3]hypallage, parcequ'il y a échange ou mutation de mots, & les Grammairiens le nomment métonymie, parceque les termes y font tranf portés,

94.

Ariftote attribue tous ces tropes à la métaphore, & y joint auffi la [4] catachrefe, comme lorfque nous difons un efprit mince, au lieu d'un petit efprit. Ce trope qui confifte à fe fervir par une licence abufive des termes empruntés de chofes qui ont une fignification approchante, s'employe, s'il en eft befoin, en vûe du plaifir qu'il procure, ou parcequ'il eft plus convenable.

Au refte le difcours eft tout autre, lorfque plufieurs métaphores fe fuccedent les unes aux autres. Les Grecs appellent[s] allegorie, cette continuation de figures, terme fort fignificatif; mais le mot géneral de métaphore préfente encore mieux à l'efprit l'idée de tous ces tropes. Démetrius de Phalere en fait un fréquent ufage, & fon difcours en reçoit une douceur inexprimable. Mais quoique la métaphore lui foit familiere, il fe fert encore plus volontiers de l'échange des mots.

95. Toutes les figures de diction & plufieurs autres de fens, trouvent leur place dans le ftile temperé : il admet auffi les differtations étendues & fçavantes, les lieux communs qui ne s'élevent que jufqu'à certain degré,

& qui ne peuvent pas comporter les grands efforts de l'Eloquence. En un mot ce ftile eft peu différent de celui que les Philofophes employent dans leurs Ecoles. Il fera goûté & approuvé dans l'Orateur dont je parle, tant qu'il ne fera point comparé avec la majefté & la force du ftile fublime.

96. Enfin il faut encore raporter à ce genre d'écrire cette efpece d'élocution qui eft fufceptible des pensées les plus ingénieuses, & qui recherche toutes les graces & toutes les beautés du difcours, Fleurie, brillante, polie & ajustée, elle a paffé du cabinet des Sophiftes au Barreau; mais également rejettée par les Partifans du ftile fimple & par les amateurs du fublime, elle n'a pû trouver d'azile que chez les Sectateurs du temperé.

NOTES

Sur le quatorziéme Chapitre de l'Orateur. [1] Démetrius de Phalere eft le dernier des Orateurs attiques. Cicéron le préfere à tous les autres dans le genre fleuri & tempere. Il dit ailleurs que Demetrius fucceda à cette foule d'excellens Orateurs dont le caractere

étoit une beauté naturelle & fans fard, que In Bruto, na fes difcours néanmoins étoient plus pro- 37. & 38.

pres pour des actions de pompe & de cérémonie, que pour les combats du Barreau, qu'il fongeoit plus à charmer les Athéniens par la douceur de fon ftile, qu'à les enflammer par le feu des paffions, qu'il fut le premier qui fit dégénerer l'Eloquence, & qu'il fe contentoit de laiffer dans l'efprit de fes auditeurs un fouvenir agréable de fa douceur & de fa délicateffe, fans vouloir comme faifoit Periclès, y laiffer des traits piquans mêlés avec les appas du plaifir.

[2] Trope eft un changement par lequel on tranfporte un mot de fa propre fignification à un autre, pour communiquer au difcours plus de force ou d'agrément par le raport qu'il y a entre le mot transporté & la chofe à laquelle on l'applique, comme lorfque nous difons la lumiere de l'efprit, le feu de l'imagination, nous comparons l'ardeur de l'imagination avec l'ardeur du feu, & la lumiere de l'efprit avec la fplendeur des aftres.

Ce mot de trope vient du mot grec τpi, verto, je change, parceque par cette maniere de parler on détourne un mot de fon fens naturel pour lui en donner un autre. Les tropes bien ménagés, amenent beaucoup de richetses & de varietés dans le langage. Mais pour être bons, il faut qu'ils ne foient ni obfcurs, ni tirés de trop loin. Lidée du trope doit être tellement liée avec l'idée du nom propre, que l'une réveille l'autre, & qu'elles fe fuivent mutuellement. Les principaux font 1 métaphore, la métonymie, la fynecdoche, la métalepfe, la catachrefe, T'hyperbole, l'allégorie, Phypotypofe, l'antonomafe, &c.

[3] Hypallage

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