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Il eft vrai que je pafle fouvent ces bornes, car prévoyant que vous ne ferez pas le feul qui lirez mon ouvrage, je ne laiffe pas de donner en paffant quelques regles, qui ont une apparence de leçons, non pour vous Brutus, qui avez plus de lumires que moi fur cette matiere, mais pour d'autres qui feront fans doute curieux de lire ce Livre, moins parceque j'en ferai l'Auteur, que parcequ'il paroîtra fous vos aufpices.

113. Je pense que pour devenir parfait Orateur, il faut non-feulement acquerir l'art de parler avec étendue & avec abondance, ce qui eft la partie effentielle; mais qu'il faut encore poffeder à fonds la Dialectique qui a un rapport immédiat avec l'Eloquence. Car quoiqu'il femble qu'il y ait bien de la différence entre argumenter & haranguer, & qu'autre chofe foit de parler fimplement pour le faire entendre, autre de parler éloquemment, on peut néanmoins donner le nom de difcours à ces deux opérations, en attribuant la force, les ornemens & les graces. de l'élocution à l'Orateur, & laiffant le raifonnement & les fubtilités de la

dispute au Dialecticien, Vous fçavez que Zenon chef des Stoïciens avoit coutume de fe fervir de la main pour marquer la différence qui fe trouve entre la Dialectique & l'Eloquence, qu'il vouloit que la main fermée fût l'image de la premiere, & que la main ouverte repréfentât la feconde,

114. Avant lui Ariftote avoit dit au commencement de fa Rhétorique, que ces deux Arts fe répondent l'un à l'autre, qu'ils figurent enfemble, & qu'ils ne différent qu'en ce que la Dialectique ferre fes raifonnemens, & que l'Eloquence étend les fiens."

Je defire donc que notre Orateur connoifle toutes les formes du dif cours qui peuvent fervir à la perfuafion, Or, mon cher Brutus, vous à qui ces fortes de connoiffances font familieres, vous n'ignorez pas que la Logique admet deux méthodes, l'une d'Ariftote qui nous a laiffé plufieurs regles fur la maniere de raisonner, & l'autre des nouveaux Dialecticiens qui fous l'autorité [1] de Chryfipe leur maître, ont introduit une forme de difcourir plus épineufe & plus diffi

cile.

115. Tout homme qui prétend à

la qualité d'Orateur, doit non-feule ment avoir quelque teinture de ces deux méthodes, mais il doit encore être parfaitement inftruit de l'une ou de l'autre & s'y être exercé, Qu'il étudie donc la nature, la force & les différentes efpeces, tant des mots fimples, que des mots compofés & liés enfemble, qu'enfuite il apprenne en combien de manieres on peut exprimer chaque idée, par quelle regle on peur difcerner, fi une propofition eft vraye ou faulle, quelle conféquence on peut tirer de chaque prin cipe, & fi ce qui en réfulte convient. ou ne convient pas aux prémifles. Il faut auffi qu'il fçache difcerner les ambiguités, qu'il connoiffe l'art de les éclaircir, de les diftinguer & d'expli quer en quel fens chaque terme doit être entendu. Toutes ces choses se préfentent fonvent dans le difcours : C'eft pourquoi il eft néceffaire que l'Orateur en foit parfaitement in-. ftruit. Mais comme elles ont par elleşmêmes je ne fçai quoi de defagréa¬ ble & de fcholaftique, il fera obligé de les orner & de les polir en les expliquant

116, Toutes les fois que l'on traite,

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quelque matiere fi l'on veut fuivre l'ordre & la méthode que la raifon prefcrit, il faut commencer par établir l'état de la queftion. Car fi ceux qui contestent ne conviennent - entr'eux du fujet de la difpute, ils ne feront que parler en l'air, & ne finiront jamais rien, Que l'Orateur fasse donc connoître nettement fa pensée, qu'il développe par des définitions exactés tout ce qui eft obfcur, & qui a un fens caché. La définition est, comme vous fçavez, une expofition claire & abregée de la nature des choses. Mais ce n'eft pas affez d'avoir une idée diftincte du genre de chaque chofe, il faut encore examiner les différentes efpeces qui font comprises fous le genre, afin de pouvoir divifer le difcours dans toutes les parties convenables.

117. Ainfi l'homme Eloquent dont il s'agit doit s'étudier à connoître les regles des définitions, pour pouvoir s'en fervir dans le befoin. Sur quoi il eft bon d'obferver qu'il ne faut pas que les [2] définitions de l'Orateur foient fi ferrées, ni fi courtes que celles des Philofophes; il faut qu'il les étende, qu'il les. orne, & qu'il les proportionne à l'intelligence

telligence & à la portée du peuple. It divifera auffi, lorsqu'il en fera nécef) faire, le genre en toutes les efpeces, fans rien oublier d'effentiel & fans rien ajouter de fuperflu. Mais en quel tems & comment fera-t-il ufage de ces préceptes: c'eft de quoi je ne parlerai point maintenant, n'ayant pas deffein, comme je l'ai dit, de me donner ici pour un maître qui preferit des regles, mais pour un connoiffeur qui dit fimplement fon avis.

118. Notre Orateur ne fe contentera pas d'être inftruit des principes de la Logique, il faut encore qu'il acquiere la connoiffance des regles & des maximes de la morale, Sans cette fcience comment pourroit-il difcou rir avec force, avec dignité & avec étendue fur les différens points de la Religion, fur le mépris de la mort, fur la tendreffe naturelle envers les fur l'amour de la patrie, fur les biens & fur les maux, fur les ver tus & fur les vices, fur les devoirs de l'homme, fur la douleur & fur le plaifir, fur les illufions de l'efprit & fur les paffions du cœur? fujets qui entrent fouvent dans les difcours publics, mais que l'on traite d'ordinaire aveo

parens,

M

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