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Digreffion par laquelle Cicéron montre que fans avilir fa gloire ni dégrader fes talens, il peut faire des traités de Rhétorique, & enseigner à fes Concitoyens les regles de cet Art.

140. Mdans cette carriere, je me Ais fur le point d'entrer fens encore plus d'agitation & de trouble, que lorsqu'il m'a fallu traiter les articles précedens [1]. Je crains que non-feulement mes envieux, (efpece de gens que l'on rencontre par tout) mais encore mes amis & les plus zelés partifans de ma gloire, ne me cenfurent & ne trouvent à redire qu'un homme qui a rendu de fi importans fervices à la République, & qui pour cette raifon a reçu du Senat & du Peuple les plus grands éloges, qu'aucun autre citoyen ait jamais reçus, s'occupe à donner tant d'écrits & tant de préceptes fur l'art de parler. Toutefois quand je n'aurois autre chose à leur répondre, finon que je n'ai pû refufer cet ouvrage aux vives follici

tations d'un ami intime, d'un homme illuftre & dont la demande n'avoit rien en foi que de jufte & de louable, l'excufe feroit fans doute légitime.

141. Mais fi à ces raisons j'ajoute que par là j'ai voulu donner des regles aux jeunes Orateurs & leur faciliter les routes de l'Eloquence, quel homme équitable ofera me blamer? Ne fçait-on pas combien l'Eloquence a eu de part dans le gouvernement de cette République? Ne fçait-on pas que dans les tems de paix elle a tenu parmi nous le premier rang, tandis que nous n'avons donné que la feconde place à la Jurifprudence? On n'ignore pas non plus que le talent de la parole a toujours été à Rome en poffeffion du credit, de la gloire & du pouvoir, que la Jurifprudence n'a jamais eu pour partage, que d'enfeigner les moyens d'intenter une action ou de fe garantir des furprises de l'adverfaire, & que fouvent elle a été obligée d'implorer le fecours de l'Eloquence, fans quoi elle auroit eu bien de la peine à conferver les droits & les limites de fon empire.

142. Or puifqu'il a toujours été glo

rieux d'enseigner le droit civil, puif que les plus illuftres des Romains fe font toujours fait un mérite d'en inftruire les jeunes gens qui fréquentoient leurs maifons, y aura-t-il du deshonneur à enseigner l'art oratoire? & critiquera-t-on ceux qui prennent la peine d'en donner des préceptes à la jeunesse ?

Au fond, fi c'est un mal de parler éloquemment, il faut bannir de Rome l'Eloquence: mais fi au contraire elle · fert d'ornement non-feulement à ceux qui la poffedent, mais à tout un Etat, pourquoi feroit-il honteux d'étudier ce qu'il eft glorieux de fçavoir, ou pourquoi y auroit-il du deshonneur à enfeigner ce qu'il eft beau de con

noître ?

143. Mais enfeigner le droit, dirat-on, eft une chofe ordinaire & ufitée de tout tems: au lieu qu'enfeigner la Rhétorique, eft parmi nous une nouveauté.

J'en conviens, mais voici la raifon de cette différence. Les Jurifconfultes n'avoient point d'heures marquées pour inftruire. Tous les tems leur étoient bons; ils rendoient réponse à ceux qui venoient les confulter, & ces

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réponses fervoient de leçons à leurs difciples qui étoient préfens. Au contraire, les Orateurs étoient fi occupés ou à méditer les caufes qu'on leur apportoit, ou à compofer dans le cabinet, ou à plaider dans le Barreau que s'il leur reftoit quelques heures après leurs occupations, elles étoient destinées au délaffement de l'efprit & du corps: ainfi ils ne trouvoient aucun tems pour enfeigner. Peut-être même que la plupart de nos anciens Orateurs avoient plus de genie que de fçavoir, plus de talent pour haranguer, que pour inftruire: au lieu que nous fommes peut-être plus propres à enseigner les regles de l'Eloquence, qu'à les mettre en pratique.

144. L'on ajoute qu'il y a peu de dignité à enfeigner. Oui, s'il s'agiffoit d'enfeigner comme on enfeigne dans l'Ecole. Mais fi c'eft par voye d'avertiffement, d'exhortation, d'interrogation, de lecture & d'entretien familier, quel deshonneur y aura-t-il N'eft-il pas beau de rendre les hommes plus parfaits qu'ils ne font? D'ail leurs [2] s'il eft honnête d'enseigner par quelles claufes & par quelles formules, on peut rendre valable l'alié...

nation des biens confacrés à la Religion, pourquoi ne le fera t-il pas d'enfeigner l'art de défendre cette même alienation par le talent de la parole?

145. On objecte enfin que ceux même qui ignorent la Jurifprudence ne laiffent pas de faire la profeffion de Jurifconfultes, au lieu que les plus habiles Orateurs cachent leur art; preuve certaine, dit-on, que la Jurifprudence eft agréable aux hommes, & que l'Eloquence leur eft fufpecte.

Mais je demande à ceux qui font cette objection, fi l'Eloquence peut tellement fe cacher & fe déguifer, qu'elle échappe entieremént à la pénétration des connoiffeurs, ou fi l'on rifque d'avilir fa réputation en enseignant un art qu'il eft beau d'apprendre & auquel le monde attache une fi haute idée de gloire & d'honneur ?

146. Que les autres fe cachent donc tant qu'ils voudront; pour moi je me fuis toujours fait un mérite d'en fçavoir les regles, & comment auroisje pû en dérober la connoiffance au Public, puifque je n'ai quitté Rome dans ma jeuneffe, & je n'ai paffé la mer que pour m'en inftruire à fond? Ajoutons que ma maison toujours

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