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remplie des plus habiles gens, mes difcours où l'on apperçoit quelques teintures de fciences, & mes écrits honorés de l'eftime publique me déceloient affez. D'ailleurs quel fruit aurois-je tiré de ma diffimulation, & pourquoi aurois-je voulu prouver que j'étois peu inftruit dans cet art, à moins que je n'euffe eu deffein de paffer pour un homme qui auroit fait peu de progrès dans fes études ?

Il faut pourtant avouer qu'il y avoit plus d'honneur à traiter les points précedens, que ceux dont je vais parler.

147. Car il s'agit à préfent d'enseigner la maniere d'arranger les mots de mesurer & de compter pour ainfi dire les fyllabes; or cette connoiffance, toute néceffaire qu'elle eft à l'Orateur, procure beaucoup moins de gloire lorfqu'on l'enfeigne, que lorfqu'on la met en pratique. En effet, il en eft des Sciences & des beaux Arts comme de ces grands arbres dont on admire la hauteur, mais dont les racines n'offrent rien d'agréable à la vûe, quoique fans les racines la tige & les branches ne pourroient fubfifter. Comparaifon très-vraye & très-sensible en tout, mais principalement par

rapport au fujet dont il s'agit.

Or foit que le defir de vous fatisfaire, mon cher Brutus, m'ait arraché ce Traité, foit que le Proverbe commun qui défend à chacun d'avoir honte de parler de fa profeffion, m'ait encouragé, je ne puis m'empêcher d'avouer que je me plais infiniment à ce travail. Cependant il a fallu ici prévenir la critique de certaines gens que je foupçonnois avoir deffein de m'attaquer.

148. Mais quand même ce que j'ai dit, ne feroit pas auffi bien fondé, qui pourroit être affez dur & d'affez mauvaise humeur pour ne pas m'accorder la liberté de chercher plûtor de la confolation dans le fein des belles Lettres, que de m'abandonner à l'oifiveté que je détefte, ou à la trifteffe que je tâche de vaincre? qui, dis-je, pourroit me refufer cette liberté, fur-tout dans un tems où je ne puis plus vaquer ni aux fonctions du Barreau, ni aux affaires publiques? qu'il me foit donc permis de me livrer au plaifir de cultiver dans le cabinet ces Mufes qui me conduifoient autrefois au Barreau & au Senat. Au refte, que l'on ne croye pas que la

Rhétorique m'occupe tout entier [3]; je prépare des ouvrages d'une toute autre importance, & fi je puis leur donner la derniere main, on verra que mes travaux domestiques ne font point inférieurs à mes plaidoyers & à mes harangues.

NOTES

Sur le vingtiéme Chapitre de l'Orateur.

[1] Cicéron rapporte lui-même les éloges & le témoignage fingulier que le Senat & le peuple Romain avoient donnés aux fervices importans qu'il avoit rendus à la République. Voici comme il en parle dans fa harangue contre Pison n. 6 & 7.

1. Catulus Prince du Senat & le premier mobile de la déliberation dans une affemblée nombreuse de Senateurs, me proclama pere de la Patrie. 2°. Lorfque je quittai le Confulat, le Tribun du Peuple me défendit de haranguer, enforte que je ne pus prononcer le difcours que j'avois préparé. Il me permit feulement de faire le ferment accoutumé (qui confiftoit à dire qu'on n'avoit rien fait contre les interêts de la République.) Mais alors je jurai fans héfiter, que j'avais Sauvé le Senat & le peuple Romain. Toute l'af femblée applaudit à mon ferment, & le Peuple jura à fon tour que j'avois dit la verité.

[2] Pour entendre ces paroles il faut fçavoir que chez les Romains il y avoit non

feulement des places publiques & des champs publics confacrés à la Religion qui étoient inaliénables par la loi des 12 tables, mais qu'il y avoit encore des fonds de terre appartenans à des familles particulieres, lefquels jouiffoient des mêmes privileges, & qui étant auffi confacrés par la Religion, devenoient perpétuels & inaliénables. C'eft pourquoi il eft dit dans le fecond Livre des Loix de Cicéron facra privata perpetua manento.

&

[3] Nous devons à l'oppreffion de la République Romaine par Cefar, les ouvrages de Philofophie que Cicéron a compoles. Comme il vit après la bataille de Pharfale que l'autorité du Senat étoit anéantie, qu'il ne pouvoit plus employer fes foins & fes lumieres pour les affaires publiques ni pour les fonctions du Barreau, il fe retira dans fes maifons de campagne, où il fe mit à travailler à fes Livres philofophiques, dont la beauté ne cede point à celle de fes piéces d'Eloquence. C'eft alors qu'il compofa fes Tufculanes, fes Livres des Offices, de la Nature des Dieux, de la Divination, des Loix, des Fins du bien & du mal. Il avoit eu des fa jeuneffe beaucoup de goût & d'ouverture pour ces fortes de Sciences. Mais les affaires d'Etat & du Barreau l'avoient toujours tellement occupé, qu'il n'avoit pas eu le tems de rien écrire en ce genre. Il profita donc de l'occafion & employa fon loifir à compofer ce grand nombre d'excellens Ouvrages qui montrent l'étendue de fes lumieres & la fécondité de fon genie.

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De l'arrangement des mots & principa lement de leur liaifon dans la période.

149.

RE

EVENONS à notre fujet. La perfection de l'arrangement confifte. 1°. A lier les mots les uns aux autres, de maniere que les dernieres fyllabes s'ajuftent par un heureux accord avec celles qui les précedent. 2°. A employer des expreffions dont la douceur flate agréa blement l'oreille, & dont l'affemblage même procure à la phrase son arrondiffement. 3°. A donner à toute la période un tour harmonieux & unè jufte cadence. Or voyons ce qui produit cette charmante ftructure, qui exige à la verité un certain foin; mais un foin où la peine ne foit point trop marquée. Ce feroit un travail puéril & infini fi on vouloit y apporter cette exactitude fcrupuleufe que Scevola cenfure en Albutius, & qu'il tourne ingénieufement en raillerie dans ces vers du Poëte Lucile, que vos phrafes font jolies, Albutius, & artiftement

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