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contre la contagion des mauvais ufages on n'admet que les pensées vraies, folides & concluantes.

La feconde eft, que la lecture ne doit être faite ni rapidement, ni d'une `maniere fuperficielle, mais avec beaucoup d'attention, fi l'on veut juger fainement de ce qu'on lit.

La troifiéme eft, qu'il ne faut point fe laiffer ébloüir par l'apparence du beau on trouve quelquefois dans les Auteurs qui ont le plus de réputation, certains endroits brillans qui frappent d'abord, mais qui dans le fonds n'ont rien de folide, & dont on reconnoît le vuide quand on vient à les examiner attentivement. Auffi ne faut-il pas croire que les meilleursEcrivains ne fe trompent jamais. Ce font de grands hommes, dit Quintilien, mais ce font des hommes. Summi funt homines, homines tamen; & par conféquent fujets à faillir.

Ces principes pofés, voyons maintenant quels font les Livres dont la lecture peut le plus contribuer à nous former dans le goût d'une vraie, & faine éloquence.

L'Antiquité nous offre d'abord deux modéles fi parfaits chacun dans leur

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genre, qu'il eft difficile de décider à qui des deux on doit donner la préference. » Démofthêne, & Ciceron » font femblables dit Quintilien, »en ce qui regarde le deffein, l'or» dre, l'œconomie du difcours, le » talent de préparer les efprits, & » la maniere de prouver. A l'égard » du ftile, il y a de la différence » entr'eux; l'un eft plus ferré, l'au» tre plus abondant; l'un preffe da»vantage fon adverfaire, l'autre prend plus de terrain pour le com» battre le Grec lui tient toujours » l'épée dans les reins, le Romain l'ac>> cable par de fréquentes & rudes charges; il n'y a rien à retrancher » au premier; il n'y a rien à ajouter au » fecond; on trouve plus de foin & » d'exactitude en Démofthêne, plus » de naturel & de génie en Ciceron.

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Quintilien dit enfuite, que Cice»ron par fon heureux génie a égalé la » force de Démofthêne, l'abondance de » Platon,& la douceur d'Ifocrate ;* que

la Providence l'a fait naître, pour » montrer en lui jufqu'où pouvoit al»ler la force de l'Eloquence humaine.

*Dono quodam Pro- 1 quentia experiretur, videntia genitus, in quo &c. Lib. 10. c. I. totas vires fuas Elo

Il ajoute : » On croiroit qu'il obtient par grace, ce qu'il arrache de force; »& lorfque les juges emportés par fa » violence, s'imaginent fuivre leurs "propres mouvemens, ils font en»traînés par les fiens. D'ailleurs il y "a tant de poids & de raifon dans ce » qu'il dit, qu'on a honte de n'être pas »de fon avis. Cependant les chofes » qu'il produit, dont chacune coute»roit à d'autres des peines infinies,

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coulent chez lui naturellement & >> comme de fource; en forte que fa ma»niere d'écrire paroît toujours avoir » cet agrément, & cette heureuse fa»cilité à laquelle rien ne coute.

Quoique Quintilien ne décide pas en termes formels, lequel des deux Orateurs l'emporte fur l'autre, on dé couvre facilement sa pensée: on voit affez par l'éloge qu'il fait de Ciceron, qu'il lui donne la préference. Mais la conclufion que nous devons tirer de ce parallele, eft que pour devenir grand Orateur, il faut imiter d'un côté la véhemence & la folidité de Démofthêne, & de l'autre les graces naturelles, & la mgnifique éloquence de Ciceron.

Soyons donc attentifs en lifant leurs

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merveilleuses harangues à remarquer la jufteffe des penfées, la propriété, l'élegance & la nobleffe des expreffions, le fon harmonieux des pério des, la vivacité & la hardieffe des figures. Obfervons comment ces illuftres Orateurs fe rendent les Juges favorables, comment ils fçavent de tems en tems reveiller l'attention par des traits jettés à propos. Obfervons quelle brieveté, quelle clarté, & quel agrément ils mettent dans leurs narrations; quelle adreffe & quelle force ils employent dans leurs preuves: remarquons fur tout l'ufage qu'ils font des paffions: Elles font

encore toutes vivantes dans leurs Ouvrages. Le lecteur en reçoit le contrecoup malgré la diftance des temps & l'éloignement des intérêts.

Mais pour mieux connoître le génie, le caractére & les beautés de ces deux grands Orateurs, & fe mettre en état d'en tirer du profit, voici la méthode qu'il feroit à propos de fuivre. Je voudrois qu'on choisît parmi leurs harangues, celles qui paroiffent les plus éloquentes, qu'on les lût attentivement, & que fur chacune l'on fît les obfervations fuivantes.

Je demande, 1°. Que l'on faffe l'analyse de la piece qui aura été lûë, que l'on marque par écrit le plan de P'Orateur, l'ordre de fon discours, l'abregé de fes preuves, & de fes réponses aux objections.

2o. Qu'enfuite l'on mette auffi par écrit le jugement que l'on aura porté fur l'arrangement général de tout l'ouvrage, fur les diverfes parties qui le compofent, fur le tour, l'expreffion & le genre du ftile qui y domine. On fentira bien-tôt l'avantage de cet exercice; car il fouvre l'efprit, perfectionne le goût, grave en caractéres ineffaçables les préceptes dans la mémoire, & en fait connoître l'application.

Paffons aux Auteurs modernes ; la Magiftrature & le Barreau ont produit de célébres Orateurs: mais peu d'entr'eux ont donné au public leurs difcours. Si nous avions ceux que les premiers Magiftrats, & les gens du Roy prononcent chaque année à la rentrée des Cours, nous aurions de parfaits modéles d'une éloquence noble, grave, judicieufe, capable de maintenir le bon goût, & de fervir de rempart contre cette éloquence

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