Imágenes de páginas
PDF
EPUB

à l'occafion des impreffions que les corps environnans font fur les yeux & fur les oreilles impreffions qui fe communiquent juf qu'à cette partie du cerveau, qui eft, poar ainfi dire, le fiége de l'ame; car il y a des routes qui percées par la main de la nature, s'étendent depuis le fiége de l'ame jufqu'aux extrêmités du corps; en forte que les yeux, les oreilles & les narines ne font que les organes & les canaux des fenfations de la vûe, de l'ouye & de l'odorat. Il faut même que l'ame foit attentive à l'action des objets, fans quoi il n'y auroit point de fenfation. Car fouvent nous difons que nous n'avon's ni vû, ni entendu les perfonnes qui fe font présentées devant nous, parcequ'alors fortement occupés de quelques penfées, ou diftraits par la violence des maux que nous reffentons, nous n'avons fait aucune attention ni à la préfence,ni aux actions de ces perfonnes ; d'où il eft aifé de conclure que c'est l'efprit qui voit & qui entend, & que les parties du corps qui fervent à la vue & à l'oüye, &c. ne font que des fenêtres par où l'ame reçoit l'impreffion des objets. Telle eft la doctrine de Cicéron dans fes Tufculanes. Tufc. I » Nos enim ne nunc quidem oculis cerni"mus ea quæ videmus. Neque enim eft » ullus fenfus in corpore, fed via quafi quæ»dam funt ad oculos, ad aures, ad nares » à fede animi perforatæ. Itaque fæpè aut » cogitatione aliqua, aut vi morbi impediti » apertis atque integris & oculis & auribus, » nec videmus, nec audimus; ut facilè in» telligi poffit animum & videre & audire, » non eas partes que quafi feneftræ funt

animi, quibus tamen fentire nihil queat >> mens, nifi id agat & adfit.

CHAPITRE XXVII.

En quoi confifte la nature du Nombre

180.

[ocr errors]

oratoire.

ELLE eft la cause du nombre. Il faut maintenant en expliquer la nature, qui eft le troifiéme point de ma division. A la verité cette explication n'eft point neceffairement liée au plan que je me fuis propofé: mais elle a pour objet les plus profondes recherches de l'art. Car on peut demander quel eft le nombre oratoire, en quoi il confifte, d'où il réfulte, s'il eft unique ou s'il y en a de deux ou de plufieurs efpeces, de quelle maniere il eft compofé, quel en eft le but, quand & en quel endroit du difcours il faut le placer; enfin par quel reffort il cause à l'ame un fentiment de plaifir.

181. Or dans cette occafion comme en plufieurs autres, on peut fe fervir de deux fortes de méthodes, l'une qui entre dans un grand détail,

l'autre plus courte & en même tems plus aifée. La question où il s'agit de fçavoir, fi à proprement parler, il y a un nombre oratoire, appartient à la premiere méthode. Nous examinerons donc

1. Si la profe eft fufceptible de nombre. Car il y a bien des gens qui n'en conviennent pas, parcequ'il n'y a point de regles fixes & certaines pour la profe, comme il y en a pour les vers; & que d'ailleurs ceux qui prétendent qu'il y a des nombres profaïques ne peuvent dire fur quoi ils fondent leur fentiment.

2o. Nous rechercherons, fuppofé qu'il y ait un nombre ou plufieurs dans la profe, quelle eft leur vertu & leur proprieté, s'ils font femblables à ceux de la verfification, ou s'ils font d'une autre efpece. Et en cas qu'ils leur foient femblables, qui font ceux dont la profe doit fe fervir & combien il y en a qui lui conviennent. Car les uns veulent qu'il n'y en ait qu'un : les autres en admet tent plufieurs d'autres auffi les admettent tous fans exception.

3. Nous verrons de quelque efpece qu'ils puiffent être, s'ils font com

muns à tous les genres d'Eloquence & à toutes les parties de l'Oraifon; fi par exemple la narration, l'inftrution, la perfuafion reçoivent indifféremment les mêmes nombres, ou fi chaque genre de difcours en exige de différens.

[ocr errors]

4°. S'ils font communs à tous genres de difcours, qui font-ils ? S'ils font différens en quoi confifte la différence ? & pourquoi le nombre ne paroît-il pas auffi fenfiblement dans la profe, que dans les vers ?

5. Nous demanderons fi ce qu'on appelle nombreux dans le difcours devient tel ou par le feul nombre, ou par un certain arrangement de mots, ou par la qualité des figures qu'on employe, ou fi chacune de ces chofes fournit fa perfection particuliere, en forte que le nombre par fes intervalles, la compofition par l'arrangement des paroles, & les figures par leurs ornemens concourent à former ce qu'on appelle la lumiere propre de l'Oraison; ou fi la feule compofition eft la fource de toute élegance & produit le nombre & toutes les beautés du difcours. Sur quoi il faut remarquer qu'autre chofe eft ce qui plaît

à l'oreille par la douceur des mots, autre ce qui eft parfait par la mesure & la cadence, autre ce qui eft orné de figures. A la verité les figures ont quelque reffemblance avec le nombre , parceque tout ce qui eft judicieusement figuré tient du nombreux, & renferme en foi un caractere de

perfection; mais quant à la compofition, elle differe également du nombre & des figures. En effet toute fa vertu se borne à bien faire fentir dans les phrases ou la force ou la douceur des paroles [1]. Voilà à peu près les queftions qu'il faudra traiter pour expliquer la nature du nombre.

182. Premierement il n'est pas dif ficile de connoître qu'il y a veritablement des nombres dans la profe; puifque le jugement de l'oreille fuffic pour en établir la preuve. Car il feroit déraisonnable de nier qu'il y en ait, fous prétexte que nous ne fçaurions expliquer pourquoi ni comment ils s'y font introduits. La découverte même du nombre poëtique n'eft point dûe au raisonnement, mais au fentiment. La raison n'a fait autre chose, que de réflechir fur ce que le fentiment avoit produit; elle a mefuré la

« AnteriorContinuar »