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arracher les hommes à leurs préventions, & les entraîner dans fon parti, il y en a d'autres d'un caractére plus doux, plus tendre, plus moderé, qu'il employe lorfqu'il veut s'infinuer dans la bienveillance des Auditeurs les attendrir, & réveiller dans leur cœur des fentimens de douceur, de bonté & de Clemence. Ciceron dans fon Traité de l'Orateur faifant le parallele de ces deux moyens de perfuafion, dit que, lorfqu'ils font Orat. n. 128. bien maniés, ils mettent le comble à la gloire de l'Eloquence.

A ces Reflexions nous ajouterons trois remarques.

Premiere remarque. Quand vous traitez une paffion, appliquez-vous à trouver les termes & les figures qui lui conviennent. Car chaque paffion a fon langage, fes tours, fes expreffions & fes bienféances. Un difcours châtié, fleuri, périodique n'eft pas propre à émouvoir. La paffion s'explique autrement. Elle rejette tout ce qui amufe l'efprit, elle va droit au cœur.

Seconde remarque. Quelquefois la feule infinuation fuffit pour faire éclorre les fentimens. Mais d'ordinaire on n'emporte point le cœur d'emblée, ni

fun premier effort. Il y a fouvent des préventions à diffiper, & des obstacles à furmonter. Il faut donc y aller pied à pied, faire, pour ainsi dire, le siege dans les formes & emporter les dehors de la place, avant que de fonger à donner l'affaut général.

Troifiéme remarque. Le grand Secret pour bien manier les paffions, eft de n'y rien mêler d'incompatible ni d'étranger. L'ame veut fuivre fon objet; fi dans le tems que vous tâchez de lui inspirer un fentiment de joye, vous y mêlez quelques fujets de trifteffe, vous corrompez l'unité de la paffion, vous en arrêtez l'effet, & alors l'efprit de l'Auditeur fe détend & ne reçoit plus ou ne reçoit qu'imparfaitement l'impreffion que vous vouliez faire.

Les principales autorités qui entrent dans la preuve fe tirent de l'Ecriture Sainte, du droit naturel, du droit des gens, du droit Canonique, du droit Civil, des Edits, des Déclarations, des Coutumes générales & particulieres, des décifions & des réponses des Jurifconfultes, &c. Mais il faut y apporter du choix & beaucoup d'art. Une autorité amenée de

trop loin, ou forcée dans fon appli cation, au heu de produire l'effet que l'on fe propofe, décrédite le raifon

nement.

On ne doit même citer que pour le befoin & pour appuyer quelque vérité conteftée. les citations trop fréquentes interrompent le fil du difcours, & font plus d'honneur à la mémoire, qu'au jugement.

Au refte loin du difcours oratoire, toute affectation de bel efprit, toute. recherche d'érudition faftueuse. La vérité n'a pas befoin de tant de parure; il fuffit d'en faire fentir la force. Le bon Orateur est celui qui ne trouve rien de beau que ce qui eft vrai, qui dédaigne les ornemens empruntés, &, qui ramene tout aux principes de la raifon.

Enfin il raffemblera tous les argumens qui établiffent fa caufe, & les Drat. arrangera dans un ordre convenable én mettant au commencement & à la fin les meilleures preuves, & les plus foibles dans le milieu. C'est le fentiment de Ciceron.

REFUTATION.

On réfute les objections, foit en

détruifant les principes fur lefquels l'adverfaire a fondé fes preuves, foit en montrant que de bons principes il a tiré de faufles conféquences. Appliquez-vous à découvrir fes parallogifmes & à faire voir tantôt qu'il a prouvé autre chofe que ce qui étoit en question, tantôt qu'il a abufé de l'ambiguité des termes, ou qu'il a tiré une conclufion abfoluë & fans reftriction de ce qui n'étoit vrai que par accident; ou qu'à quelques égards, &c.

Paffez enfuite aux faux raisonnemens dans lesquels l'intérêt, la paffion & l'entêtement l'ont jetté. Relevez avec adreffe tout ce que l'animofité & la mauvaise foi lui ont fait avancer. C'est un champ vaste où l'Eloquence trouve lieu d'exercer toutes fes forces.

Il eft de l'adreffe de l'Orateur de tourner les objections de maniére qu'elles paroiffent ou frivoles ou incroyables, ou fe contredire, ou s'éloigner de l'état de la question.

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a des occafions où le ridicule Y que l'on jette fur les preuves de l'adverfaire produit quelquefois un meil

Ridiculum acri for- plerumque fecat res. tius ac melius magnas Horat.sat pe fat co

leur effet qu'une réfutation ferieuse, Mais il faut convenir que, s'il y a un talent rare, & de difficile ufage, c'eft celui de la raillerie. Nous verrons dans le Traité de l'Orateur les précautions & les ménagemens qu'il faut prendre pour railler avec grace, avec bienféance, avec fuccès. Je me contenterai ici d'avertir que la raillerie fert également pour attaquer & pour défendre; mais qu'elle fait plus d'honneur dans la repartie que dans l'attaque, qu'elle eft même plus permife, fur tout lorfque l'aggreffeur y a donné lieu.

L'Orateur Philippe difoit à Catulus en faifant allufion à fon nom & à la chaleur qu'il faifoit paroître en Cicero 2. de plaidant, Qu'as-tu donc à aboyer? Ce que j'ai, répondit Catulus, c'est que je vois un voleur. Catulus dicenti Philippo, quid Latras: furem, inquit, video.

Orat. n.220.

PERORAISON.

Comme l'Epilogue eft le couronnement de toute la piece, & que le fuccès dépend fouvent des dernieres impreffions, l'Orateur doit redoubler fes efforts pour terminer fon difcours

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