Imágenes de páginas
PDF
EPUB

par une Peroraifon vive, frapante, animée. La Peroraifon a deux fortes de fonctions. La premiere confiste à faire une courte recapitulation des principales preuves; & la feconde eft deftinée à exciter dans l'ame des Juges les fentimens qui peuvent conduire à la perfuafion. La premiere partie demande beaucoup de précifion, d'adreffe, & de difcernement pour ne dire que ce qu'il faut, & pour rappeller en peu de mots & par des tours variés l'effentiel & la fubftance des moyens qui établissent la caufe; mais l'Eloquence referve sa plus grande force pour la feconde partie. C'est par les fecours du Pathétique qu'elle domine, qu'elle triomphe & qu'elle affure fon empire. Les preuves font comme une lumière qui éclaire les Juges fans les échauffer, mais les fentimens les remuent, les ágitent, les tranfportent hors d'euxmêmes, & font qu'ils s'intéreffent à notre cause, comme fi c'étoit la leur propre. Appliquez-vous donc tantôt a les enflammer de colere, tantôt à les attendrir par la pitié, ici à les porter à la févérité, là à les tourner vers la clémence.

Mais pour imprimer ces divers. fentimens dans l'ame des Auditeurs il faut, comme je l'ai déja dit, que vous en foyez touché vous-même. Il n'y a que le cœur qui puiffe parler au cœur. On ne parvient point à faire fentir aux autres ce qu'on ne fent pas foi-même.

Si on veut voir une excellente Percraison, on n'a qu'à lire celle qui eft à la fin de la harangue de Ciċeron pour Milon: elle eft parfaite. Ce grand homme poffedoit au fouverain dégré toutes les parties de l'Eloquence. Mais il excelloit fur tout dans les Epilogues, c'eft pour cela, comme il le dit lui-même, que quand plufieurs Avocats étoient obligés de plaider une même cause, on lui deftinoit toujours la Peroraison. Or, ajoute-t-il, mes grands fuccès en ces occafions devoient être moins attribués aux méditations de mon efprit, qu'aux effufions de mon cœur, & aux vifs sentimens de douleur dont j'étois pénetré. Orat. Quid ego de miferationibus loquar? quibus ego fum ufus pluribus, quod etiam fi plures dicebamus, Perorationem mihi tamen omnes relinquebant; in quo ut viderer excellere, non ingenio, fed dolore affequebar.

REFLEXION

SUR L'ELOCUTION.

Comme Ciceron a traité à fonds l'Elocution, je ne dirai fur cette partie que ce qui a le plus de rapport à nos ufages,

L'Invention fournit les raisons, & les argumens néceffaires aux fujets que l'on veut traiter. La difpofition enfeigne à les arranger dans un ordre convenable. Mais l'Elocution est la lumiere propre & naturelle du difcours: elle lui communique de l'éclat, de l'agrément, de la force & une efpece d'ame. Elle eft à l'Eloquence ce que le coloris eft à la peinture. Pour faire un beau tableau, il ne fuffit pas que le deffein foit bien imaginé, & que les proportions y foient exactement obfervées, il faut enco're que le coloris vienne animer tout l'Ouvrage, & achever de donner aux objets ce vif éclat, ce vrai & cette parfaite imitation de la nature qui charment les fpectateurs, & qui enlevent les applaudiffemens.

De même l'Orateur a beau former un plan jufte & exact, trouver les

véritables raifons qui doivent y entrer & les placer dans leur point de vûë, s'il ne fçait les peindre, les orner, les relever par de vives couleurs, & les animer par la force & les graces de l'expreffion, fon difcours fera comme un corps fans vie & fans Orat. fentimens. Auffi Ciceron dit que de fçavoir inventer les chofes, & les arranger, c'eft le fait d'un homme fenfé, mais que de fçavoir les exprimer, c'est le propre de l'Orateur.

à

Entrons maintenant dans le détail & tâchons de donner d'abord une idée distincte & marquée des qualités que demande le difcours oratoire. Ces qualités peuvent fe réduire quatre efpéces, qui font la pureté, la clarté, l'élégance & la convenance: Nous expliquerons enfuite le plus fuccinctement que nous pourrons les trois genres d'Eloquence qui font le démonftratif, le délibératif & le judiciaire.

PUR ET E.

La pureté eft la premiere perfection du ftile Oratoire. S'il eft honteux à tout homme qui vit parmi les honnêtes gens de ne pas fçavoir

exactement la langue de fon pays il l'eft encore plus a l'homme public qui doit faire régner la Justice & la vérité par le ministére de la parole. On a beau dire qu'il fuffit de bien penfer pour bien parler, l'expérience dément tous les jours cette maxime. Combien voit-on de gens qui penfent bien, & qui néanmoins s'expriment fi mal, que leurs idées les plus fublimes, & leurs fentimens les plus nobles n'agiffent qu'imparfaitement fur l'efprit de ceux qui les écoutent ? tant il eft vrai que pour ne point faire tort aux chofes, il faut avoir foin du choix & de l'arrangement des paroles,

Notre Orateur s'appliquera donc à bien apprendre fa langue. Deux moyens conduifent à ce but; le premier eft la fréquentation des perfonnes qui parlent correctement & poliment: le fecond eft la lecture des bons Auteurs dont nous avons parlé dans la feconde partie,

On dira peut-être que ce foin extrême de la pureté du ftile énerve la vigueur de l'efprit, l'entretient dans la recherche des bagatelles, & l'empêche de s'élever, Pour détruire cet

« AnteriorContinuar »