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duite des fidèles & parfaitement foumis aux évêques ; & des moines entiérement féparés du monde, & appliqués uniquement à prier & travailler en filence. Au treiziéme fiécle l'idée de cette perfection étoit oubliée, & l'on étoit touché des défordres que l'on avoit devant les yeux: l'avarice du clergé, fon luxe, fa vie molle & voluptueufe, qui avoit auffi gagné les monaftéres rentés.

On crut donc qu'il falloit chercher le remède dans l'extrémité oppofée; & renoncer à la poffeffion des biens temporels, non feulement en particulier, fuivant la règle de S. Benoît, fi févére fur ce point; mais en commun, en forte que le monastère n'eût aucun revenu fixe. C'étoit l'état des moines d'Egypie; car quel revenu auroient-ils pu tirer des fables arides qu'ils habitoient? Or ceux à qui le revenu manque, n'ont que deux moyens de fubfifter, le travail ou la mendicité. Il étoit impoffible aux moines de mendier dans des déferts où ils vivoient feuls : il falloit donc néceffairement travailler, & c'étoit le parti qu'ils avoient pris.

c.337

Mais les freres Mineurs & les autres nouveaux religieux du treiziéme fiécle choifirent la mendicité. Ils n'étoient pas moines, mais destinés à converfer dans le monde, pour travailler à la converfion des pécheurs : ainfi ils ne manquoient pas de perfonnes de qui ils puffent efpérer des aumônes; & d'ailleurs leur vie errante, & la néceffité de préparer ce qu'ils devoient dire au peuple, ne leur paroiffoient pas compatibles avec le travail des mains. Enfin la mendicité leur fembloit plus humiliante comme étant le dernier état de la fociété humaine, au- deffous des ouvriers, des gagne-deniers & des porte-faix. D'autant plus que jufques-là elle avoit été méprifée & rejettée par les plus faints religieux. Le vénérable Guigues, dans les conftitutions des Chartreux, traite d'odieuse la néceffité de quêter ; & le concile de Paris en 1212 veut que l'on donne aux religieux qui voyagent, de quoi fubfifter, pour ne les pas Hift.liv.LXVII. réduire à mendier à la honte de leur ordre.

Il est vrai que S. François avoit ordonné le travail à fes difciples, ne leur permettant de mendier que comme la derniére reffource. Je veux travailler, dit-il, dans fon teftament, & je veux fermement que tous. les autres freres s'appliquent à quelque travail honnête ; & que ceux qui ne fçavent pas travailler, l'apprennent que fi on ne nous paye pas, ayons recours à la table de Notre-Seigneur, demandant l'aumône de porte en porte. Il conclud fon testament par une défenfe expreffe de demander au pape aucun privilége, ni de donner aucune explication à fa règle. Mais l'efprit de chicane & de difpute qui régnoit alors, ne permettoit pas cette fimplicité.

Il n'y avoit pas quatre ans que le faint homme étoit mort, quand les freres Mineurs, affemblés au chapitre de 1230, obtinrent du pape Grégoire IX une bulle qui déclare qu'ils ne font point obligés à l'obfervation de fon teftament, & qui explique la règle en plufieurs articles. Ainfi le travail des mains, fi recommandé dans l'écriture, & fi eftimé par les anciens moines, eft devenu odieux; & la mendicité, odieufe auparavant, eft devenue honorable.

J'avoue que le mérite perfonnel des freres Mendians y a bien con

58.

a 70:

C. IT.

Hift. liv. LXXVIII.

n. 6.

Opufc. p.
Hift. liv. LXXIX. nèà

26.

2.637

5. Difc. n. 8.

que

tribué. Ayant pris pour objet de leur inftitut la converfion des pécheurs, & en général l'inftruction des fidèles, ils regardérent l'étude comme un devoir capital, & y réuffirent mieux que la plupart des étudians de leur tems, parce qu'ils agiffoient par des intentions plus pures, ne cherchant la gloire de Dieu & le falut du prochain: au lieu que les autres clercs ou moines étudicient fouvent pour parvenir aux bénéfices & aux dignités eccléfiaftiques. C'est ainsi que les freres Prêcheurs & les freres Mineurs, dès l'enfance de leurs ordres, fe rendirent fi confidérables dans les Univerfités naiffantes de Paris & de Boulogne, où l'on regarda comme des lumiéres de leur fiécle, Albert le Grand, Alexandre de Alès, & enfuite S. Thomas & S. Bonaventure. Je n'examine point ici quelles étoient ces études dans le fond, je l'ai fait ailleurs; il fuffit que ces faints religieux y réuffiffoient mieux que les autres.

Leurs vertus en même tems les faifoient aimer & refpecter de tout le monde : la modeftie, l'amour de la pauvreté & de l'abjection, le zèle de la propagation de la foi, qui les faifoit aller chez les infidèles chercher le martyre. De-là vient qu'ils furent fi-tôt chéris & favorifés par les papes, qui leur donnérent tant de priviléges, par les princes & les Hift.lib. LXXXVI.n. rois: jufques-là que faint Louis difoit, que s'il pouvoit fe partager en 6. deux, il donneroit aux freres Prêcheurs la moitié de fa perfonne, & l'autre aux freres Mineurs. Dès les commencemens on fit plufieurs évêques de l'un & de l'autre de ces ordres, & on en vit bientôt de cardinaux.

G. de Bello loco. 6. 12.

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Les freres Prêcheurs au commencement n'étoient pas tant un nouveľ ordre, qu'une nouvelle congrégation de chanoines réguliers. Auffi Jacques de Vitri, auteur du tems, les appelle chanoines de Boulogne. Saint Dominique, avant que de quitter l'Espagne, & penfer à la fondation de fon ordre, étoit chanoine régulier dans la cathédrale d'Ofma; & la premiére approbation de fon inftitut, le qualifie prieur de faint Romain à Toulouse, & confirme à cette église la poffeffion de tous fes biens. Ce ne fut qu'au premier chapitre général tenu en 1220, que lui & fes confreres embrafférent la pauvreté entiére, renonçant aux fonds de terre & aux revenus affurés, à l'exemple des freres Mineurs; ce qui les réduifit à être mendians comme eux. Mais ils pratiquérent la pauvreté plus fimplement & plus noblement ; & je ne vois point chez eux de ces difputes frivoles fur la propriété & le fimple ufage de fait, qui diviférent fi cruellement les freres Mineurs, & produifirent enfin l'héréfie des Fraticelles.

Ce feroit ici le lieu de traiter à fond la matiére de la pauvreté évangélique, & nous ne pourrions en cette recherche fuivre de meilleur guide que faint Clément Alexandrin, inftruit par les difciples des apôtres. Il a fait un traité fur cette question: Quel est le riche qui fera fauvé? où il raisonne ainfi. La richeffe eft de foi indifférente, comme la force & la beauté du corps; ce font des inftrumens dont on peut ufer bien ou mal, & des espèces de biens. Les biens temporels, dont l'abondance fait la richeffe, font la matiére néceffaire de plufieurs bonnes œuvres commandées par JESUS CHRIST; s'il ordonnoit à tous les.

fidèles de les quitter, il fe contrediroit; & en effet il ne l'ordonna pas à Zachée, il trouva bon qu'il en gardât la moitié. Au contraire l'extrême pauvreté eft un mal en foi, plutôt qu'un bien : c'est un obstacle à la vertu, & une fource de plufieurs tentations violentes, d'injuftice, de corruption, d'impudence, de lâcheté, de découragement, de défefpoir; c'est pourquoi l'écriture dit: Ne me donnez ni les richefles, ni la pauvreté.

Il ne faut donc pas prendre groffiérement le précepte de vendre tous fes biens, non plus que celui de haïr fon pere. Comment JESUS CHRIST pourroit-il nous ordonner de le hair pofitivement, lui qui nous commande d'aimer même nos ennemis ? Il veut feulement nous faire entendre par cette expreffion fi forte, que nous ne devons pas préférer à Dieu les perfonnes qui nous font les plus chéres; mais les abandonner, s'il eft befoin, pour nous attacher à lui. Ainfi, en nous ordonnant de renoncer aux richeffes, il nous oblige feulement à combattre les paffions qu'elles excitent naturellement, l'orgueil, le mépris des pauvres, l'amour des plaisirs fenfuels, le defir de s'enrichir à l'infini, & les autres femblables. Un riche ufant bien de fes richeffes, & toujours prêt à les perdre, comme Job, fans murmurer, eft un véritable pauvre d'efprit. Telles font les maximes de ce grand docteur du fecond fiécle de l'églife, bien au-deffus des fophifmes de la fcolaftique moderne.

Laiffons les raifonnemens, & nous en tenons à l'expérience. Trente ans après la mort de faint François, on remarquoit déja un relâchement confidérable dans les ordres mendians. Je ne rapporterai pas les plaintes de Matthieu Paris, ni de Pierre des Vignes au nom du clergé féculier: c'étoit les parties intéreffées. Je me contenterai du témoignage de faint Bonaventure, qui ne peut être fufpect. C'eft dans la lettre qu'il écrivit en 1257, étant général de l'ordre, à tous les provinciaux & les cuftodes. Il fe plaint de la multitude des affaires pour lesquelles ils demandoient de l'argent, de l'oifiveté de quelques freres, de leur vie vagabonde, l'importunité à demander, les grands bâtimens, l'avidité des fépultures & des teftamens; chacun de ces articles mérite quelques réflexions.

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Les freres mendians, fous prétexte de charité, fe mêloient de toutes fortes d'affaires publiques & particulières. Ils entroient dans le fecret des familles, & fe chargeoient de l'exécution des teftamens. Ils acceptoient des députations pour négocier la paix entre les villes & les princes les papes fur tout leur donnoient volontiers des commiffions, comme à des gens fans conféquence, qui leur étoient entiérement dévoués & qui voyageoient à peu de frais. Ils les employoient quelquefois à des levées de deniers. L'affaire qui les détournoit le plus, étoit l'inqui- Hift. lib.LXXXII, ♫ fition. Car quoiqu'elle ait pour but la confervation de la foi, l'exercice en eft femblable à celui des juftices criminelles; informations, captures de criminels, prifons, tortures, condamnations, confifcations, peines infamantes ou pécuniaires, & fouvent corporelles par le miniftére du bras féculier. Il devoit paroître étrange, au moins dans les commencemens, de voir des religieux faifant profeffion de l'humilité la plus pro

45.

fonde, & de la pauvreté la plus exacte, tout d'un coup transformés en magiftrats, ayant des appariteurs & des familiers armés, c'eft-à-dire des gardes, & des tréfors à leur difpofition, fe rendant terribles à tout le monde.

eft

Le mépris du travail des mains a attiré l'oifiveté chez les mendians, comme chez les autres religieux. Il n'eft pas aifé de connoître fi le tems deftiné à l'oraifon mentale, ou à l'étude, eft fidellement employé ; on peut à genoux, & en pofture du plus grand recueillement, penfer à tout ce que l'on veut. Un religieux enfermé dans fa cellule, peut, fous prétexte d'étude, faire des lectures, je ne dirai pas mauvaises, mais inutiles & de fimple curiofité; enfin il peut baailler & s'endormir. Il n'en pas de même du travail, il eft fenfible, & l'ouvrage qui reste en fait foi. De plus, les efprits propres à l'étude ne font pas communs; la plupart des hommes s'exercent peu à raifonner, & à penfer de fuite, & font peu curieux, fi ce n'eft de nouvelles & de petits faits particu liers, matiére des jugemens téméraires & des médifances. Les anciens fçavoient étudier & mieux que les modernes, leurs écrits en font foi; & toutefois faint Bafile & faint Grégoire de Nazianze, dans leur reWift. liv. XIV. n. 2. traite, ne dédaignoient pas les travaux les plus bas. On peut tirer vanité d'avoir fait un bon livre; mais on n'en tira jamais d'avoir fait des nattes ou des corbeilles on peut toute la journée s'appliquer à ces ouvrages; il ne faut ni belle humeur, ni tête repofée.

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Le troifiéme défaut que faint Bonaventure reproche à fes freres, est la vie vagabonde de plufieurs, qui, pour donner, dit-il, du foulagement à leurs corps, font à charge à leurs hôtes, & fcandalifent au lieu d'édifier. C'est l'inconvénient des voyages trop fréquens, qui donnent occafion d'excéder dans la nourriture & le fommeil, fous prétexte de se remettre de la fatigue, & dérangent l'uniformité de la vie régulière. Le quatriéme décret eft l'importunité à demander; qui fait craindre, dit faint Bonaventure, la rencontre de nos freres

comme

celle des voleurs. En effet, cette importunité est une espèce de violence à laquelle peu de gens fçavent réfifter, fur-tout à l'égard de ceux dont l'habit & la profeffion ont attiré du refpect; & d'ailleurs c'eft une fuite naturelle de la mendicité. Car enfin il faut vivre: d'abord la faim & les autres befoins preffans font vaincre la pudeur d'une éducation honnête; & ayant une fois franchi cette barriére, on fe fait un mérite & un honneur d'avoir plus d'industrie qu'un autre à attirer des aumônes.

La grandeur & la curiofité des bâtimens, continue le faint docteur, trouble notre paix, incommode nos amis, & nous expofe aux mauvais jugemens des hommes. Les bâtimens troublent la paix des religieux, par les foins & les mouvemens que les fupérieurs & ceux qui agiffent lous leurs ordres font obligés de fe donner, pour examiner les deffeins, les plans, & veiller à l'exécution; mais fur-tout pour fournir à la dépenfe, n'ayant aucun fonds affuré : & c'eft ce qui incommode les amis. Mais tant que l'ouvrage dure, la paix de toute la communauté est troublée par l'embarras des matériaux & des ouvriers. Quant aux mauvais jugemens des hommes au fujet de ces bâtimens, Pierre des Vignes les

Hift. liv. LXXXII.

exprime affez; en difant: Ces freres qui, dans la naiffance de leur re-
ligion, fembloient fouler aux pieds la gloire du monde, reprennent le n. 7.
fafte qu'ils ont méprifé n'ayant rien ils poffédent tout, & font plus
riches que les riches mêmes. Enfin faint Bonaventure reproche à fes
freres l'avidité des fépultures & des teftamens, qui attire, dit-il, l'in-
dignation du clergé, & particuliérement des curés. C'eft auffi de quoi
fe plaignoit Matthieu Paris, en difant: Ils font foigneux d'affifter à la
mort des grands & des riches, au préjudice des pafteurs ordinaires;
ils font avides de gain, & extorquent des teftamens fecrets; ils ne re-
commandent que leur ordre, & le préférent à tous les autres.

Mais après faint Bonaventure le relâchement fit de grands progrès chez les freres Mineurs, par le malheureux fchifme qui divifa tout l'Ordre, entre les freres fpirituels & ceux de l'obfervance commune. Le bon pape faint Célestin, dont le zèle étoit plus grand que la prudence, autorifa cette divifion, en établiffant la congrégation des pauvres Hermites fous la conduite du frere Libérat. Ce qui pouffa la divifion au dernier excès, fut la fameufe difpute fur la propriété des chofes qui fe confument par l'ufage, comme le pain & le refte de la nourriture. Saint Bonaventure lui-même 'foutint que les freres Mineurs renonçoient à cette propriété, & qu'elle paffoit au pape & à l'églife Romaine; ce qui fut accepté par le pape Nicolas III. Mais Jean XXII rejetta cette propriété imaginaire, & déclara que le fimple ufage de fait, auquel les prétendus fpirituels vouloient fe réduire, feroit un ufage injufte, étant dépouillé

de tout droit.

P. 541.

XI. Schifme entre les freres Mi

neurs.

Hift. liv. LXXXIX. 3.7.31.

Hift. liv. LXXXVI,

n. 2.

n.

Hift.liv. LXXXVI.

7. 33.
Hift. liv. XCII.n.

14.

Hift. liv. XCIII. n.

34.

Il déclara que l'obéiffance eft la principale vertu des religieux & préférable à la pauvreté; car ces freres indociles foutenoient qu'on ne doit point obéir aux fupérieurs quand ce qu'ils commandent eft contraire à la perfection. C'étoit l'effet des difputes fcolaftiques auxquelles ces freres s'exerçoient continuellement: on y traitoit tous les jours de nouvelles questions, & on y employoit toutes les fubtilités & les chicanes poffibles. On demandoit, par exemple, fi la règle oblige fous peine Cap. Exyc. de verb. de péché mortel, ou feulement de péché véniel? Si elle oblige aux confeils de l'évangile, comme aux préceptes? Si ce qu'elle prefcrit en forme d'admonition, d'exhortation ou d'inftruction, oblige autant que ce qu'elle exprime en termes impératifs? On s'accoutuma par-là à rafiner fur le décalogue & fur l'évangile.

fign. in 6.
Clem. Exivi, cod.

53.

Hift. liv. xc111, n.

Les effets de ces difputes frivoles ne furent que trop férieux; le pape Hift. liv. XCIII, R. Jean XXII ayant ofé condamner ces freres indociles, ils le déclarérent hérétique de leur propre autorité, & appellérent de fes conftitutions au futur concile. Enfin la révolte alla fi loin, que ces freres Mineurs, foutenus par l'empereur Louis de Baviére, firent dépofer Jean XXII, & mettre à fa place l'antipape Pierre de Corbière un d'entr'eux, qui, pour foutenir fa dignité, fut réduit à prendre de toutes mains; & c'eft à quoi fe termina l'humilité de ces frères, & leur zèle pour la pauvreté & la perfection évangélique.

Au refte, fi la mendicité des religieux n'a été autorisée dans l'églife que depuis le treiziéme fiécle, ce n'eft pas que l'invention en fût nouvelle. De

46, 47.

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